Le 21 juillet 2014, la Cour constitutionnelle a été saisie de deux requétes contre les propos de l’ancien ministre de l’Agriculture, Fatouma Amadou Djibril, incitant le peuple à accorder un troisième mandat au Chef de l’Etat. Dans sa décision, la Haute juridiction a donné raison au requérant et déclaré contraires à la Constitution les propos de Fatouma Djibril.
DECISION DCC 14 - 156 DU 19 AOUT 2014
La Cour Constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 21 juillet 2014 enregistrée à son Secrétariat le 22 juillet 2014 sous le numéro 1382/096/REC, par
laquelle Monsieur Jean Claude DOSSA forme un recours en inconstitutionnalité des « propos tenus par le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, au cours de l’émission « Zone Franche » de la
Télévision Canal 3 Bénin du dimanche 20 juillet 2014 » ;
Saisie d’une autre requête du 22 juillet 2014 enregistrée à son Secrétariat le 29 juillet 2014 sous le numéro 1422/098/REC, par laquelle Monsieur Armand BOGNON forme un recours contre les mêmes propos de Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL ;
VU la Constitution du 11 décembre 1990 ;
VU la Loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique
sur la Cour Constitutionnelle modifiée par la Loi du 31
mai 2001 ;
VU le Règlement Intérieur de la Cour Constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Madame Marcelline-C. GBEHA AFOUDA en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
CONTENU DES RECOURS
Considérant que le requérant Jean-Claude DOSSA expose : « ... En faisant fi des exigences de réserve et de mesure découlant de ses fonctions républicaines et en foulant aux pieds avec une légèreté rarement égalée les idéaux qui ont présidé à la tenue en février 1990 de l’historique Conférence des Forces Vives de la Nation devenue depuis lors le point de repère de notre jeune démocratie, Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL s’est rendue coupable d’un mépris condamnable à l’égard du principe de limitation du nombre de mandats présidentiels à deux consacré par l’article 42 de notre Loi Fondamentale qui dispose : ‘’Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels’’, en s’autorisant à envisager pour le Chef de l’Etat en exercice la possibilité d’un troisième mandat présidentiel à la tête du Bénin, au soir de son second et dernier mandat en cours. » ; qu’il poursuit : « Les extraits ci-dessous de sa sortie médiatique font foi de cette méprise : ‘’ Je crois que le peuple va décider. Le peuple va décider. Le Président ROOSEVELT en Amérique, c’était le Président le plus populaire de l’Amérique (...) Si le peuple béninois le veut, pourquoi pas ? Donc, le peuple va décider. Si le peuple veut que le Président Boni YAYI fasse un troisième mandat, pourquoi pas ? (...) C’est le peuple qui décide et c’est le peuple qui vote pour son chef. C’est ça la vraie démocratie. C’est ça la vraie démocratie’’ ; ‘’Si le peuple est conscient du fait que le Président doit continuer ses actions, le peuple peut décider. Je crois que le Chef de l’Etat doit faire aussi la volonté de son peuple’’ ; ‘’ En respectant la Constitution, je crois qu’on doit tenir compte de la volonté de son peuple’’ » ; Considérant qu’il conclut : « Sans être partisan d’une quelconque restriction de la liberté d’opinion à nos compatriotes, nous vous prions d’asseoir durablement dans la conscience collective l’intangibilité à des fins partisanes des principes de la Constitution, pierre angulaire de notre modèle démocratique, en condamnant les propos incriminés pour violation de l’esprit et de la lettre de la Constitution du 11 décembre 1990 » ;
Considérant que Monsieur Armand BOGNON, quant à lui, expose : « Invitée le 20 juillet 2014 sur l’émission ‘’Zone Franche’’ de la Télévision CANAL 3 à se prononcer sur les sujets d’actualité, Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, en sa qualité de Ministre de la République, chargée de l’Agriculture et de l’Elevage, a tenu des propos attentatoires à la démocratie et à l’Etat de droit auxquels le peuple béninois a solennellement affirmé son attachement à l’occasion de la Conférence des Forces Vives de la Nation et même sur une question tranchée par la Cour à travers sa Décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011. En effet, au cours de l’émission, interrogée sur la véracité des rumeurs qui font état de marches à venir pour solliciter un troisième mandat au Président Boni YAYI, la Ministre n’a pas démenti lesdites rumeurs. Mieux, elle a implicitement confirmé que des manoeuvres sont en cours pour permettre au Président Boni YAYI, en fin de son second et dernier mandat constitutionnel, d’en solliciter un troisième en des termes plus qu’évocateurs. Lorsque le journaliste lui demande : ‘’… est-ce que vous, vous êtes pour un troisième mandat du Chef de l’Etat ?’’, la réponse de la Ministre a été : ‘’ troisième mandat (…) le Chef de l’Etat est un homme de parole. Troisième mandat... Je sais que partout ailleurs, les producteurs veulent manifester leur joie au Président de la République parce que les autres années, ce n’est pas à cette date que les producteurs à 100% sont payés…’’. Insistant sur la question, Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL a fini par dire : « ...Je crois que le peuple va décider. Le peuple va décider. Le Président ROOSEVELT en Amérique, c’était le Président le plus populaire de l’Amérique (...) Si le peuple béninois le veut, pourquoi pas ? Donc, le peuple va décider. Si le peuple veut que le Président Boni YAYI fasse un troisième mandat, pourquoi pas ? (...) C’est le peuple qui décide et c’est le peuple qui vote pour son chef. C’est ça la vraie démocratie. C’est ça la vraie démocratie’’. De plus, pour confirmer et conforter sa position, elle laissa entendre : ‘’ Si le peuple est conscient du fait que le Président doit continuer ses actions, le peuple peut décider. Je crois que le Chef de l’Etat doit faire aussi la volonté de son peuple’’. Pour corroborer son propos, elle déclara dans un langage péremptoire : ‘’… en respectant la Constitution, je crois qu’on doit tenir compte de la volonté de son peuple…’’ » ;
Considérant qu’il ajoute : « Subséquemment aux propos de Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL en date du dimanche 20 juillet, et pour colmater les brèches, le Ministre d’Etat François Adébayo ABIOLA est passé le lendemain 21 juillet 2014 sur la Télévision ORTB au cours d’une autre émission pour déclarer, entre autres, ce qui suit : ‘’… j’apporte un démenti formel. Le Président de la République n’est ni demandeur ou accepteur d’un
troisième mandat. Ma collègue s’est certainement laissée aller. C’est une déclaration très grave. YAYI n’a jamais demandé à ma collègue d’aller dire ça. Vous me voyez aller dans le Plateau pour marcher pour un troisième mandat de YAYI ? Jamais ... !’’. Il a par ailleurs, pour apaiser, soutenu et insisté sur le fait que ‘’ le Chef de l’Etat, Boni YAYI, n’est pas demandeur d’un troisième mandat. Il n’est pas dans cette logique. Madame la Ministre s’est mal prise. Je veux savoir si le Chef de l’Etat lui avait fait des confidences. Une déclaration pareille est grave dans un pays où la démocratie est en permanente construction. Moi, je ne peux pas lui demander s’il revient pour un troisième mandat, car il l’a refusé à plusieurs reprises ...’’.
Sans vouloir dénier à Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, Ministre, la liberté d’opinion et d’expression, les propos de Madame la Ministre Fatouma AMADOU DJIBRIL, ès qualité, violent la Constitution en plusieurs dispositions et tendent même à remettre en cause votre jurisprudence » ;
Considérant que le requérant fait observer : « … Les déclarations de Madame la Ministre prônent des options auxquelles le peuple béninois a définitivement tourné dos à la Conférence Nationale et, par conséquent, violent le Préambule de la Constitution. En effet, dans le Préambule de la Constitution, il est écrit : ‘’ … la Conférence des Forces Vives de la Nation tenue à Cotonou du 19 au 28 février 1990, en redonnant confiance au peuple, a permis la réconciliation nationale et l’avènement d’une ère de Renouveau Démocratique.
Au lendemain de cette Conférence, NOUS, PEUPLE BENINOIS, réaffirmons notre opposition fondamentale à tout régime fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel ...’’ ; …vous convenez avec moi qu’en sa qualité de Ministre de la République, exerçant une partie des prérogatives du Président de la République, garant du respect de la Constitution, Madame la Ministre Fatouma AMADOU DJIBRIL ne saurait tenir de ces genres de propos dans l’exercice de ses prérogatives constitutionnelles. Qu’un Ministre du Gouvernement en exercice dise sur une chaîne de télévision que ‘’ Si le peuple est conscient du fait que le Président doit continuer ses actions, le peuple peut décider… je crois que le Chef de l’Etat doit faire aussi la volonté de son peuple’’ est un acte qui viole la Constitution du 11 décembre 1990, étant entendu que l’article 42 de notre Constitution dispose que ‘’ Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels’’.
S’il est constant que le Président YAYI Boni est en train d’exercer son deuxième et dernier mandat, il est inacceptable qu’un Ministre de son Gouvernement annonce publiquement cette possibilité de lui permettre de faire un autre mandat. Cette déclaration qui peut créer des troubles dans notre pays est attentatoire à notre Etat de droit en construction au Bénin » ;
Considérant qu’il poursuit : « Mieux, tirant moyens de votre
jurisprudence, les déclarations du genre ne sauraient être faites de plus par un Ministre de la République d’autant plus que le sujet en question a définitivement été tranché par la Cour.
Imaginer et annoncer publiquement que le peuple béninois peut demander au Président Boni YAYI de refaire un troisième mandat viole la jurisprudence de la Haute Juridiction, notamment la Décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011 dans laquelle votre Cour a dit et jugé que : ‘’ Considérant que l’examen de la loi fait ressortir que l’article 6 est contraire à la Constitution en ce qu’il ne cite pas toutes les options fondamentales de la Conférence Nationale de février 1990 et qui sont reprises par les articles 42, 44 et 54 de la Constitution ; qu’il s’agit du nombre de mandats présidentiels, de la limitation d’âge pour les candidats à l’élection présidentielle et de la nature présidentielle du régime politique dans notre pays ; que l’article 6 doit donc être reformulé comme suit :
Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au référendum, les options fondamentales de la Conférence Nationale de février 1990, à savoir :
la forme républicaine et la laïcité de l’Etat ;
l’atteinte à l’intégrité du territoire national ;
le mandat présidentiel de cinq ans renouvelable une seule fois ;
la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout
candidat à l’élection présidentielle ;
le type présidentiel du régime politique au Bénin’’ » ; qu’il demande à la Cour de condamner Madame le Ministre Fatouma AMADOU DJIBRIL également pour violation de l’article 35 de la Constitution aux termes duquel : « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun. » ;
INSTRUCTION DES RECOURS
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction de la Cour, Madame le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de
la Pêche, Fatouma AMADOU DJIBRIL, écrit : « … Les faits et
éléments de droit : …le dimanche 20 juillet 2014, au cours de l’émission « Zone Franche » de la Télévision Canal 3 du Bénin, j’ai expliqué de long en large comment le Gouvernement a réussi à redonner la confiance aux producteurs du coton, aux égreneurs et aux transporteurs.
Par ailleurs, au cours de l’émission, nous nous sommes focalisés sur les objectifs atteints de part et d’autre et sur ce que
nous pensons faire de notre filière coton. C’est à la fin de l’émission que les journalistes, entre autres, ont demandé si le
Président allait faire un troisième mandat. Alors, j’ai commencé par répondre en disant que le Président est un homme de parole, que devant le Président OBAMA et le Pape il avait donné sa parole sur le respect de deux (02) mandats, mais sans l’articuler ; mais par la suite, avec l’insistance des journalistes, j’ai dit que Franklin Délano ROOSEVELT devrait faire deux (02) mandats, mais avec la volonté du peuple, il en avait fait plus. C’est en donnant cet exemple que j’ai dit pourquoi pas un troisième mandat si le peuple le demande, bien sûr sans grande conviction, dans la mesure où ce sujet n’était pas du tout à l’ordre du jour. Je signale que mes propos sont incompris, que je n’ai jamais voulu dire que le Président devrait faire un troisième mandat en violation de notre Loi Fondamentale. Mes propos ne se sont jamais focalisés sur un hypothétique troisième mandat du Président de la République.
Le requérant, Monsieur Jean-Claude DOSSA, sort mes propos de leur contexte ; c’est l’insistance et la question dirigée
des journalistes qui ont suscité les réponses que j’ai émises. Je suis restée strictement dans le cadre des questions qui me sont posées. Je suis très respectueuse de notre Loi Fondamentale et l’analyse de Monsieur DOSSA me paraît sommaire, inacceptable au fond, empreinte de mauvaise foi. De même, mes propos de fin d’émission n’ont pas été avancés de manière constante, ne constituent pas des appels à la déstabilisation des Institutions, voire à s’écarter des principes démocratiques, à tourner dos à la Constitution… les allégations de Monsieur Jean-Claude DOSSA ne sont aucunement fondées.
La Haute Juridiction doit le débouter. » ;
Considérant qu’elle poursuit : « Examen de la procédure entreprise par le requérant et ses moyens : …en ce qui concerne le ‘’ contrôle de la conformité à la Constitution’’, le Règlement
Intérieur du 5 juillet 1993 de la Cour Constitutionnelle en son
article 29 alinéa 2 dispose : ‘’Pour être valable, la requête émanant d’une organisation non gouvernementale, d’une association ou d’un citoyen doit comporter ses noms, prénoms, adresse précise et signature’’ … la modification de l’article 29 alinéa 2 du Règlement Intérieur de la Cour Constitutionnelle du 18 novembre 1997 dispose : ‘’Pour être valable, la requête émanant d’une organisation non gouvernementale, d’une association ou d’un citoyen doit comporter ses nom, prénoms, adresse précise et signature ou empreinte digitale’’ … il ressort de ces dispositions précitées que la Cour dans son analyse doit déclarer la requête du
requérant irrecevable s’il s’avère qu’un seul élément manque, en ce qui concerne les nom, prénoms, adresse précise et signature ou empreinte digitale du requérant. » ; qu’elle ajoute : « … le requérant ne fait pas mention des articles de la Constitution qui sont violés, … ses allégations sont sans base légale et doivent donc être rejetées … mes propos ne doivent pas être interprétés comme une violation de la Constitution, mais pris strictement dans le contexte de l’émission et des questions qui me sont posées … l’article 23 alinéa 1 de la Loi Fondamentale dispose :
‘’ Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de
religion, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements. L’exercice du culte et l’expression des croyances s’effectuent dans le respect de la laïcité de l’Etat’’ … il résulte de ces dispositions que mes propos ne doivent pas être interprétés comme pouvant porter atteinte à la paix et à la cohésion nationale et ne peuvent être considérés
comme contraires à la Constitution. De même, mes propos ne violent ni le Préambule de la Constitution qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité ni la Constitution qui est
la volonté du peuple. En effet, j’ai eu à dire au cours de l’émission : ‘’En respectant la Constitution, je crois qu’on doit respecter la volonté de son peuple’’. Effectivement, la volonté du peuple est déjà dans la Constitution ; ne pas comprendre ainsi, c’est me prêter des intentions. Aussi, en abordant ce sujet à la fin de l’émission ai-je commencé par dire que le Président est un homme de parole, que devant le Président OBAMA et le Pape ... il avait donné sa parole pour le respect des deux (02) mandats … il ressort de tout ce qui précède que le Juge constitutionnel doit rejeter les allégations soulevées dans la requête incriminée parce que non fondées. » ;
Considérant qu’elle conclut : « Il est de jurisprudence constante que le Juge constitutionnel doit rejeter les allégations du requérant parce que non fondées. (cf. Décision DCC 14-126 du 08 juillet 2014 et Décision DCC 14-099 du 22 mai 2014)… dans le cas d’espèce, mes propos ne demandent pas de s’écarter des
principes démocratiques, ne demandent pas de tourner dos à la Constitution ou de violer les principes démocratiques » ;
Considérant que Madame Berthe CAKPOSSA, Directrice de la Télévision Canal 3 Bénin a, quant à elle, en réponse à la mesure d’instruction qui lui a été adressée, transmis à la Cour de céans un CD portant enregistrement vidéo de l’émission ‘’ Zone Franche ‘’ du dimanche 20 juillet 2014 dont Madame Fatoumata AMADOU DJIBRIL était l’invitée ;
ANALYSE DES RECOURS
Considérant que les deux recours sous examen portent sur le même objet et tendent aux mêmes fins ; qu’il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule et même décision ;
Considérant qu’aux termes des articles 34 et 42 de la Constitution : « Tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République. » ; « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois.
En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels. » ; que selon l’article 124 alinéas 1 et 3 de la même Constitution : « Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles » ;
Considérant que la Constitution, en tant que Loi Fondamentale de l’Etat, met en oeuvre une idée de droit qui innerve toute l’organisation de la vie politique, économique, sociale et le fonctionnement des pouvoirs publics ; que l’idée de droit dégagée par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990, fondatrice du Renouveau Démocratique, est l’alternance démocratique ; que cette idée de droit constitue l’essence même de la Constitution adoptée par le Peuple béninois en décembre 1990 ; qu’ainsi, dans le Préambule de la Constitution, le Peuple béninois a affirmé son opposition fondamentale à tout régime politique fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel. » ; que ce principe est confirmé par l’article 42 de la Constitution qui précise qu’en aucun cas, nul ne doit exercer plus de deux mandats présidentiels ; que depuis 1990, tous les Présidents de la République ont respecté cette règle de l’alternance démocratique ; Considérant que lors de sa prestation de serment le 06 avril 2011, serment reçu par le Président de la Cour Constitutionnelle devant l’Assemblée Nationale et la Cour Suprême, le Président de la République a déclaré : « … Ces réformes constitutionnelles ne remettrontpas en cause les dispositions des articles 41 et 42 de notre Loi Fondamentale relatifs à la limitation dunombre de mandats à deux et à la limitation d’âge à 70 ans. C’est donc le lieu de vous rappeler, mes chers compatriotes, que le mandat que vous venez de me renouveler est bel et bien le second et le tout dernier... » ; que dans sa Décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011, la Cour, saisie du contrôle de constitutionnalité de la loi organique portant conditions de recours au référendum, a exclu de toute révision de la Constitution les options fondamentales de la Conférence des Forces Vives dont, entre autres, la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels ;
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier que Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, a déclaré au cours del’émission « Zone Franche » sur la chaîne de Télévision Canal 3 le dimanche 20 juillet 2014 : « … Je crois que le peuple va décider. Le peuple va décider… Le Président ROOSEVELT en Amérique, c’était le Président le plus
populaire de l’Amérique ... il a été de façon spéciale aussi reconduit… Si le peuple béninois veut, pourquoi pas ? Donc, le peuple va décider. Si le peuple décide que le Président Boni YAYI fasse un troisième mandat, pourquoi pas ? ... C’est le peuple qui décide et c’est le peuple qui vote pour son chef. Voilà. C’est ça la vraie démocratie. C’est ça la vraie démocratie … Si le peuple est conscient du fait que le Président doit continuer ses actions, le peuple peut décider. Je crois que un Chef de l’Etat doit faire aussi la volonté de son peuple … Même en respectant la Constitution, je crois que on doit tenir compte de la volonté de son peuple… » ;
Considérant que dans sa Décision DCC 13-071 du 11 juillet 2013, la Cour a dit et jugé que si « l’usage de la liberté d’expression ne saurait constituer en lui-même une violation de la loi … le contenu de la parole peut être de nature à enfreindre la loi y compris la loi constitutionnelle » ; que tout citoyen béninois, et
Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, prise en sa qualité de Ministre, jouit de la liberté de pensée,d’opinion et d’expression reconnue à tout citoyen par la Constitution ; que cependant, cette liberté d’opinion consacrée par la Constitution n’exonère pas le citoyen du respect de la Constitution ; que cetteexigence de respect de la Constitution est encore plus grande s’agissant d’un Ministre de la République dont l’impact de l’opinion sur la conscience collective est plus fort que celui d’un citoyen ordinaire ; que les propos du Ministre Fatouma AMADOU DJIBRIL s’analysent comme une invitation à soumettre au Peuple béninois la question de la limitation à deux du nombre demandats présidentiels ; que remettre en cause le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels prévu par la Constitution constitue une violation, non seulement de l’article 42 de la Constitution, mais aussi de l’article 124 alinéa 3 de la Constitution, la Haute Juridiction ayant dit et jugé que sont exclues de toute révision de la Constitution les options fondamentales de la Conférence des ForcesVives dont, entre autres, la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels ; qu’eu égard à tout ce qui
précède, il échet pour la Cour de dire et juger que Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, a, dans ses propos tenus au cours de l’émission « Zone Franche » du 20 juillet 2014 sur la chaîne de Télévision Canal 3, violé les articles 34, 42 et 124 précités de la Constitution ;
D E C I D E :
Article 1er.- Le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, a violé la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera notifiée à Messieurs Jean-
Claude DOSSA, Armand BOGNON et à Madame
Fatouma AMADOU DJIBRIL, Ministre de l’Agriculture,
de l’Elevage et de la Pêche et publiée au Journal Officiel.
Ont siégé à Cotonou, le dix-neuf août deux mille quatorze,
Messieurs
Théodore HOLO Président
Zimé Yérima KORA-YAROU Vice-Président
Simplice C. DATO Membre
Bernard D. DEGBOE Membre
Madame Marcelline-C GBEHA AFOUDA Membre
Monsieur Akibou IBRAHIM G. Membre
Madame Lamatou NASSIROU Membre
Le Rapporteur, Le Président
Marcelline-C. GBEHA-AFOUDA Professeur Théodore HOLO.-