Du 22 mai 2013
N° 2012/08949
Arrêt ordonnant un complément d’information
sur la demande d’extradition du nommé :
Patrice Talon
Reçu copie de l’arrêt et pris connaissance le
22.05.2013
Cour d’Appel de Paris
Pôle 7 -Cinquième chambre
Arrêt statuant en matière d’extradition
Arrêt
(N° pages)
Prononcé en audience publique le 22 mai 2013 et ordonnant un complément d’information en ce qui concerne la demande d’extradition de :
Talon Patrice né el 1er mai 1958 à Abomey (Bénin)
de Adrien et de Justice Guèdèbé de nationalité béninoise demeurant 5 squares Thiers 75016 Paris remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d’Appel de Paris en date du 06 décembre 2012
Assisté de Me Bourdon, avocat choisi et entendu sans l’assistance d’un interprète l’intéressé ayant déclaré comprendre et parler la langue française
Composition de la Cour lors des débats, du délibéré et du prononcé de l’arrêt
M. Bartholin, Président
M. Lageze, Conseiller,
Mme Bouvenot-Jacquot, Conseiller,
Tous trois désignés conformément à l’article 191 du code de procédure pénale
Greffier : Mme Binart, aux débats et au prononcé de l’arrêt
Ministère public : Représenté aux débats et au prononcé de l’arrêt par M. Lecompte, avocat général
Débats :
A l’audience publique du 17 avril 2013 ont été entendus :
Talon Patrice, en son interrogatoire conformément aux articles 696-13 et 696-15 du code de procédure pénale,
M. Lageze, Conseiller, en son rapport,
M. Lecompte, avocat général, en ses réquisitions
Me Charrière -Bournazel, avocat représentant l’Etat du Bénin en ses observations
Me William Bourdon avocat du comparant et celui-ci lui-même, qui a eu la parole le dernier, en leurs observations.
Le comparant s’est exprimé sans l’assistance d’un interprète ayant déclaré parler et comprendre la langue française.
L’affaire a été mise en délibéré pour l’avis de la Cour être prononcé à l’audience du mercredi 22 mai 2013 à 14 heures.
Rappel de la procédure :
Par note, en date du 19 décembre 2012, complétée par une seconde note du 3 janvier 2013, le ministère des affaires étrangères de la République du Bénin a fait parvenir par l’intermédiaire de l’ambassade de France à Cotonou le 14 janvier 2013 au Ministère de la justice et le 15 février 2013 au greffe de la Cour, une demande d’extradition visant Patrice Talon et Olivier Boko.
Cette demande d’extradition est présentée aux fins de l’exécution d’un mandat d’arrêt délivré le 22 octobre 2012 par M. Angelo Djidjoho Houssou, juge d’instruction au Tribunal de première instance de 1ère classe de Cotonou (Bénin), pour des faits d’association de malfaiteurs et de tentative d’assassinat, commis courant 2012, en tout cas du 17 au 20 octobre 2012 à Cotonou (Bénin).
Le 5 décembre 2012, cet étranger a, sur la base de la demande d’arrestation provisoire qui avait été décernée à son encontre le 23 octobre 2012, été appréhendé à son domicile, sis 5, square Thiers 75016 Paris, commune située dans le ressort de la cour d’Appel de céans.
Le 6 décembre 2012, M. le Procureur Général a procédé à l’interrogatoire de l’intéressé dont il a été dressé procès-verbal.
Ce même jour, M le Procureur Général a saisi le magistrat délégué par le Premier Président de la Cour d’Appel de Paris aux fins d’incarcération immédiate.
En date également du 6 décembre 2012 le magistrat délégué a délivré une ordonnance de placement sous contrôle judiciaire.
Le 15 février 2013, le gouvernement béninois a fait parvenir à la Cour un courriel indiquant que certaines pièces de la demande d’extradition ont été soulignées et annotées par l’autorité judiciaire béninoise.
Le 1er mars 2013, M. le Procureur Général a notifié à M. Talon Patrice la demande d’extradition parvenue en original à la Cour le 15 février 2013.
A l’audience publique de la chambre de l’instruction du 13 mars 2013, notification a été faite à l’intéressé du titre en vertu duquel l’arrestation a initialement eu lieu, des pièces produites à l’appui de la demande d’extradition, ainsi que du courriel précité. A cette audience, l’affaire a été renvoyée à celle du 17 avril 2013 pour être examinée au fond.
Le 10 avril 2013, le gouvernement béninois a fait parvenir à la Cour, via le ministère des affaires étrangères, une nouvelle demande d’extradition, accompagnée de pièces de justice, rectificatives d’erreurs matérielles contenues dans la première demande d’extradition quant à l’orthographe d’Olivier Boko. Ces pièces ont été versées au dossier de la procédure le jour même de leur réception.
A l’audience publique de la chambre de l’instruction du 17 avril 2013, notification a été faite à Talon Patrice du titre en vertu duquel l’arrestation a initialement eu lieu, des pièces de justice produites à l’appui de la demande d’extradition, du courriel précité ainsi que des nouvelles pièces parvenues à la Cour le 10 avri1 2013.
A cette même audience, avant examen de l’affaire, la Cour a rendu un arrêt, sur le fondement de l’article 696-16 du code de procédure pénale, autorisant l’Etat du Bénin à intervenir, par l’entremise de Me Charrière Bournazel, aux audiences au cours desquelles la demande d’extradition est examinée.
Me Bourdon, avocat de Talon Patrice, a déposé le 16 avril 2013 à 16h09 au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé ce même jour par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
Me Charrière - Bournazel, avocat habilité par l’Etat béninois, a déposé le 16 avril 2013 à 10h40, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire intitulé « observations de l’Etat requérant » : pièce visée par le greffier et communiquée au Ministère Public.
Décision
prise après en avoir délibéré conformément à l’article 200 du code de procédure pénale
En la forme
Considérant qu’il a été satisfait aux formes et aux délais prescrits par les articles LIII à LXXI de l’accord franco-béninois de coopération en matière de justice en date du 27 février 1975 ainsi que par les articles 696-8 et suivants du code de procédure pénale relatifs à la procédure d’extradition de droit commun ; que la procédure est donc régulière en la forme ;
Considérant qu’il est constant, aux termes de l’article 696-16 de ce même code, que l’Etat requérant autorisé, à l’instar de l’Etat béninois, à intervenir à l’audience au cours de laquelle la demande d’extradition est examinée, ne devient pas pour autant partie à la procédure ; que n’étant pas partie à la procédure, le conseil qui le représente est sans qualité pour déposer un mémoire en son nom, quand bien même ce dernier serait-il intitulé « observations de l’Etat requérant » ; qu’il échet, en conséquence, de déclarer irrecevable ledit mémoire déposé au greffe de la Cour le 16 avril 2013 à 10h40 par Me Charrière - Bournazel, au nom de l’Etat du Bénin ;
Au fond
Par note verbale de son ambassade à Paris en date du 19 décembre 2012, complétée par une seconde note verbale du 3 janvier 2012, le gouvernement du Bénin a sollicité l’extradition de Talon Patrice pour l’exécution d’un mandat d’arrêt délivré le 22 octobre 2012 par M. Angelo Djidjoho Houssou, juge d’instruction au tribunal de première instance de 1ère classe de Cotonou (Bénin), pour des faits d’association de malfaiteurs et de tentative d’assassinat, commis courant 2012, en tout cas du 17 au 22 octobre 2012 à Cotonou (Bénin) ; infractions prévues et réprimées par les articles 265,266,267 ,2,295,296 et 302 alinéa 1 du code pénal béninois.
Devant la chambre de l’instruction, Talon Patrice a reconnu que le titre en vertu duquel la demande d’extradition est présentée s’appliquait bien à sa personne mais n’a pas consenti à être remis aux autorités requérantes.
La demande d’extradition initiale a été complétée par une note, en date du 22 janvier 2013 en date du 22 Janvier 2013, du Ministère de la Justice, de la législation et des droits de l’homme, par laquelle les autorités béninoises garantissent que ni la peine de mort ni la peine de travaux forcés ne seront ni requises ni prononcées ni exécutées, à l’encontre de Talon Patrice.
Selon les pièces produites par l’Etat requérant, il est reproché à Patrice Talon d’être l’instigateur d’une tentative d’assassinat par empoisonnement du chef de l’Etat de la République du Bénin, soit M. Thomas Boni Yayi.
Les autorités béninoises apportent, sur ces points, les précisions suivantes :
le 17 octobre 2012, le Président se trouvait en visite officielle en Belgique et séjournait dans un hôtel de Bruxelles en compagnie de Mme Zoubérath Kora, à la fois sa nièce et sa gouvernante ;
Patrice Talon, qui séjournait dans le même hôtel, l’aurait convaincue de remettre au Président, en lieu et place des médicaments qu’il prenait habituellement, des substances toxiques que lui avaient préparées son médecin personnel, le docteur Ibrahim Mama Cissé ;
Patrice Talon aurait promis au médecin et à la nièce la somme d’ 1 milliard de francs Cfa (soit l’équivalent de 1,5 million d’euros) pour lui faire ingérer
les médicaments frelatés ;
les préparatifs de ce complot ont démarré, courant septembre 2012 à New-York, lors d’une rencontre ayant réuni Olivier Boko, en qualité de représentant de Patrice Talon, le docteur Ibrahim Mama Cissé, ainsi que Moudjaidou Soumanou, ancien ministre du commerce : réunion au cours de laquelle a été discutée la question des médicaments que prenait le Président ;
le 19 octobre 2012, Moudjaidou Soumanou transportait, sur les instructions de Patrice Talon par avion de la compagnie « Air France ». Les comprimés que le Président était supposé ingurgiter à Bruxelles ;
l’opération d’empoisonnement du Président ; qui devait avoir lieu le lendemain échouait finalement, l’un de ses gardes du corps ayant été informé de ce complot ;
la preuve de cette tentative d’empoisonnement résulte de ce que les plaquettes des médicaments, qui étaient destinés au Président, ont été « déblistéreés », c’est- à -dire ouvertes, et les comprimés remis au moyen d’un scotch ;
le 22 octobre 2012, la nièce, le médecin personnel du Président et l’ancien ministre étaient écroués à Cotonou (Bénin) et inculpés d’association de malfaiteurs et de tentative d’assassinat.
Les autorités béninoises précisent également que le délit d’association de malfaiteurs, prévu et réprimé par les articles 265, 266 et 267 du code pénal béninois, fait encourir à son auteur une peine de travaux forcés à temps. En ce qui concerne, le crime de tentative d’assassinat, prévu et réprimé par les articles 2,295,296 et 302, alinéa 1er du code pénal béninois, il est punissable en droit béninois de la peine de mort.
En droit français, les faits considérés peuvent également faire l’objet de qualifications pénales équivalentes.
Compte-tenu de la date à laquelle ils auraient été commis, les faits considérés ne paraissent être prescrits en droit français.
Pour les mêmes motifs que ceux exposés supra, ils ne paraissent pas davantage être prescrits en droit béninois, étant toutefois observé que les autorités béninoises ne produisent aucune copie des articles du code pénal ou du code de procédure pénale béninois établissant que l’action publique y afférente n’est pas prescrite en droit béninois.
M. le Procureur Général requiert que la Cour, avant de rendre son avis, ordonne un complément d’information.
Me Bourdon, avocat de Patrice Talon, sollicite, pour les motifs exposés dans son mémoire et faisant notamment valoir que la demande d’extradition de ce dernier a été faite dans un but politique et que l’intéressé a fait une demande d’asile auprès de l’Ofpra, que la Cour donne un avis défavorable à la demande d’extradition considérée.
Ceci étant exposé
Considérant qu’il est constant que l’article LXIII de l’accord franco-béninois de coopération en matière de justice, signé à Cotonou le 25 février 1975, stipule que :
« Lorsque des renseignements complémentaires lui seront indispensables pour s’assurer que les conditions requises par le présent accord sont réunies, l’Etat requis, dans le cas où l’omission lui apparaîtra susceptible d’être réparée, avertira l’Etat requérant par la voie diplomatique avant de rejeter la demande.
Un délai pourra être fixé par l’Etat requis pour l’obtention de ces renseignements.
Considérant que s’il n’appartient pas aux autorités françaises, en matière d’extradition, de connaitre la réalité des charges pesant sur Patrice Talon, il incombe cependant à la Cour de veiller au respect des dispositions légales applicables au cas d’espèce et notamment de celles prévues par les stipulations de l’accord de coopération précité ;
Considérant que les pièces produites par le gouvernement béninois, à l’appui de sa demande d’extradition, ne permettent pas à la Cour de s’assurer que ladite demande satisfait, dans son intégralité auxdites exigences légales et notamment à celles prévues aux articles LIX et LX de l’accord de coopération susvisé ;
Qu’il y a, dès lors, lieu, en application de l’article LXIII de ce même accord, d’ordonner un complément d’information dans les conditions précisées au dispositif
Par ces motifs
La cour
Vu l’article 696-16 du code de procédure pénale,
Déclare irrecevable le mémoire intitulé « observations de l’Etat requérant » déposé à la Cour le 16 avril 2013 à 10h 40 par Me Charrière Bournazel, au nom de l’Etat du Bénin.
Vu l’accord franco-béninois de coopération en matière de justice, signé à Cotonou le 25 février 1975, et notamment son article LXIII ;
Statuant avant-dire droit
Ordonne un complément d’information à l’effet de permettre au gouvernement béninois de bien vouloir :
1°) préciser le temps et le lieu de commission des deux infractions reprochées à Patrice Talon (celles-ci ayant manifestement été commises, au moins en partie, à l’étranger, hors du territoire béninois) ;
2°) communiquer les éléments tirés de la procédure pénale béninoise permettant d’impliquer Patrice Talon dans les deux infractions pour lesquelles son extradition est sollicitée (avec production, le cas échéant, d’une copie des rapports d’expertise toxicologique ou autres établis à l’occasion des faits dénoncés) ;
3°) préciser la date à laquelle l’association de malfaiteurs et la tentative d’assassinat reprochées à Patrice Talon seront prescrites en droit béninois ;
4°) adresser une copie des dispositions du droit pénal béninois et/ du code de procédure pénale béninois permettant d’établir que les faits pour lesquels l’extradition de Patrice Talon est demandée, ne sont pas prescrits en droit béninois ;
5°) préciser, compte-tenu des engagements pris par le gouvernement béninois en matière de peine de mort et de peine de travaux forcés à temps, les peines encourues « en remplacement » par Patrice Talon au titre à la fois de l’association de malfaiteurs et de la tentative d’assassinat, qui lui sont reprochées ;
6°) préciser l’état d’avancement du projet de révision de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 et, en particulier, de son article 42 ;
Dans l’hypothèse où ce projet serait toujours d’actualité, préciser quelle est la nouvelle rédaction envisagée dudit article 42.
7°) préciser si la République du Bénin est partie à la convention de New-York du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
En cas de réponse positive à cette question, indiquer depuis quelle date.
Dit que les informations sollicitées devront parvenir à la Cour dans un délai de deux mois à compter de la notification à l’autorité béninoise du présent arrêt.
Ordonne un complément d’information à l’effet également de demander au procureur général de saisir l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) aux deux fins suivantes :
1°) faire préciser par ledit Office si la République du Bénin est actuellement inscrite sur la liste des « pays d’origine sûrs » au sens de la loi n°203-1176 du 10 décembre 2003 modifiée.
En cas de réponse positive à cette question, indiquer les conséquences juridiques qu’il convient de déduire de cette inscription, notamment au regard des dispositions pertinentes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et, plus particulièrement, en matière de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
2°) faire préciser par ledit Office, au cas où un ressortissant d’un Etat considéré comme un pays d’origine sûr, au sens de la loi précitée, fait néanmoins une demande d’asile auprès de ce même Office, quel est le délai moyen de traitement de ce type de demande.
Dit que les informations sollicitées devront parvenir à la Cour, dans les meilleurs délais et, au plus tard, dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt aura été porté à la connaissance de l’Opfra.
Renvoie l’examen de la cause à l’audience du mercredi 18 septembre 2013 à 14 heures
Dit qu’à la diligence de M. le Procureur Général le dossier sera envoyé à Mme le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, avec une expédition authentique du présent arrêt.