Chers compatriotes, chers amis,
Après quarante (40) mois de détention préventive à la prison civile de Cotonou, me voici de retour dans la jouissance du droit d’aller et venir. Malgré l’âpreté de l’épreuve, ma joie n’en est que plus intense et je remercie le Tout-Puissant qui a rendu cette pénitence possible et m’a donné la force d’en porter la croix.
Je veux aussi rendre hommage ici à mes codétenus, dans cette maison d’arrêt qui aura été notre commune habitation durant nos séjours croisés. Je voudrais qu’ils aient l’assurance que je ne les oublierai pas.
Vis-à-vis d’eux, comme d’ailleurs de multiples autres catégories de personnes d’horizons et profils divers venues à mon chevet, ma dette est insolvable, parce qu’ils m’ont offert ce qu’il y a de plus cher pour l’homme : un devoir d’humanité.
Parmi eux, des jeunes gens de conviction se sont organisés et ont livré une rude bataille dans la presse et sur les réseaux sociaux, sans moyens et à leur corps défendant. Ils ne s’en sont pas arrêtés là. À la nouvelle de ma libération, ils se sont organisés spontanément, et m’ont offert un accueil émouvant, aux antipodes de la crainte que je pouvais nourrir après la vive campagne d’intoxication dont ma réputation a fait assidûment l’objet.
Je prie le Bon Dieu de pardonner à ceux qui, ne pouvant avoir la générosité de cœur de ces « petits » enfants, portent l’impudeur de les soupçonner.
C’est en hommage à leur engagement, ensuite en réponse aux milliers d’internautes qui m’ont adressé des mots chaleureux, et à travers eux, à tout le peuple béninois, que j’écris cette adresse à notre nation.
I- DES SIGNES ENTRE LES LIGNES
A mon premier dimanche de liberté depuis quarante (40) mois, certains jeunes amis m’ont révélé, au travers d’une motion de soutien, que la date du 11 août, jour de ma libération, coïncidait avec la célébration d’une certaine Vierge Chrétienne, du nom de Sainte Claire, qui, à dix-huit (18) ans, aurait tout abandonné pour se mettre au service des pauvres. Le lien établi par eux, entre la symbolique de cette sainte date et mon engagement au profit du mieux-être des couches défavorisées de notre pays, m’a étreint le cœur et laissé soupçonner un intéressant secret des chiffres dans mon cursus carcéral.
Je me suis alors attelé à comprendre pourquoi je devais passer quarante (40) mois en prison.
En effet, mes avocats et moi-même, nous sommes battus de bec et d’ongle, dès les premiers mois de ma détention, pour une mise en liberté, au moins provisoire. Nous avons fait de notre mieux, et en dépit des pressions politiques, le plus grand moment de victoire à nos yeux, c’est cette décision de la chambre d’Appel du 1er juillet 2013, ordonnant ma mise en liberté, sans caution et sans condition.
Mais cette victoire en droit, n’a pas suffi, et plus d’un (01) an après, j’étais toujours derrière les verrous. La décision du 06 juin 2014, qui assujettit ma libération à une caution de trois cent millions (300.000.000) FCFA nous est tombée dessus comme une douche froide ; car, non seulement, elle contrastait avec toutes les décisions antérieures, mais surtout parce que tous mes avoirs en banque sont gelés depuis le 23 décembre 2010, date à laquelle des agents lourdement armés avaient reçu l’impérieuse consigne, de me ramener mort ou vif.
C’est dans ce contexte que j’ai dû me rendre le 18 avril 2011 au juge d’instruction, la Cour Constitutionnelle ayant pris le contre-pied de sa propre décision intervenue quelques années auparavant, pour me déclarer inéligible et lever mon immunité. C’est comme cela qu’a commencé ma bataille pour ma liberté, et elle a duré quarante (40) mois.
Quand j’ai cherché, j’ai découvert que dans la tradition judéo-chrétienne, le nombre « 40 » porte le sceau de la maturité, de l’épreuve, et de la victoire sur l’épreuve. Le déluge dura quarante jours ; quand il eut quarante (40) ans, Moïse se retira dans la montagne quarante jours et quarante nuits ; Salomon régna pendant quarante ans sur Israël ; le Christ jeuna quarante jours et quarante nuits dans le désert et monta au ciel quarante jours après sa résurrection.
Je n’ose pas me comparer à ces figures et faits de mémoire. Mais l’ensemble de ces signes renvoie, comme on le voit, à la maturité du sujet et à l’achèvement de l’épreuve.
Rapporté à mon contexte, j’ose espérer que l’épreuve est terminée et que demain, je pourrai prendre place à la table de la félicité, aux côtés de ces nombreuses personnes du nord et du sud, de l’est et de l’ouest, qui m’ont porté dans leur cœur, ne serait-ce qu’une seconde durant, et expérimenté la douleur de mes épouses, de mes enfants et, surtout, de ma fille de cinq (05) ans, qui a connu son père entre les murs d’une prison.
Ces signes m’indiquent que les déboires appartiennent au passé et que l’avenir se chargera d’écrire l’histoire.
Au reste, j’ai espoir que notre nation renaîtra toujours de ses cendres, parce qu’en dépit de la méchanceté de certains de nos compatriotes, il y a des gens généreux de cœur dans toutes les contrées de notre pays, dans toutes les catégories sociales, dans toutes les générations, et dans tous les camps politiques.
A ceux-là, qui dans les moments de désespoir, ont été pour moi une bouée de sauvetage, ma prière est que le Seigneur miséricordieux, Celui « qui change les temps et les circonstances, qui renverse et qui établit les rois… », leur accorde la grâce de prendre part à sa gloire, lui qui a souffert et a payé pour nos péchés.
II- ADRESSE A LA CLASSE POLITIQUE
Ma détention, sans occuper le cœur de l’actualité politique et la tenir en haleine comme l’Affaire Talon, a intéressé bon nombre de nos compatriotes. Parmi eux, il y a ceux qui naïvement ont cru à la thèse qui me présente comme un escroc international. Si leur jugement à mon sujet a été et demeure sévère, il sera injuste de leur en vouloir d’avoir mordu à l’hameçon d’une info d’intox largement disponible et répandue comme arme de guerre, pour se défaire d’un adversaire politique estimé redoutable dans le Zou et l’Atlantique. Ils n’auront pas été volontairement méchants.
Que Dieu nous prête vie, afin que ces témoins auditifs du marketing de dénigrement contre Vodonou Désiré, soient aussi demain les témoins d’une vérité que les juges connaissent en leur âme conscience et qu’ils auront un jour le courage de dire à haute et intelligible voix.
Plus encore à eux donc, c’est aux hommes politiques de mon pays qu’il me plaît de m’adresser ici, dans leur gestion du dossier VODONOU Désiré.
Je répète avant d’aller plus loin, qu’il y a eu des hirondelles, dans tous les camps, pour avoir le courage de s’approcher d’un prisonnier malfamé comme moi, pour écouter ma part de vérité et faire triompher la voix de leur conscience. Mais comme elles étaient rares ! Comme elles se sont raréfiées au fil des jours !
Mais « malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal, qui changent les ténèbres en lumière, et la lumière en ténèbres, qui changent l’amertume en douceur, et la douceur en amertume …malheur à ceux qui ….justifient le coupable pour un présent, et enlèvent aux innocents leurs droits ! » avertit Esaïe, au chapitre 5, verset 20-23de son livre.
Quand dans une République, un homme tend à contrôler tous les pouvoirs, par tous les moyens de ruse et de guerre, il lui faut des ouvriers pour exécuter son œuvre. Il les recrute souvent au sein du peuple et des instances de contre-pouvoir, et les commet à exécuter ses basses œuvres, contre une place au soleil.
Mais le pouvoir qu’il tient et conserve par ce stratagème est un pouvoir précaire mais absolu, et comme le relève Jean-Jacques Rousseau : « Tout pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument »
J’écris à la classe politique de mon pays à cette occasion, non point pour jouer les donneurs de leçon, mais pour dire aux animateurs de la mouvance qu’ils devront à l’avenir être de plus en plus nombreux à être des objecteurs de conscience, s’ils veulent préserver cette démocratie, qui est la marque déposée de notre pays en Afrique subsaharienne.
Sinon, ils mettent en péril la justice, et avant elle, la fraternité. Or, lorsque le vouloir-vivre ensemble s’estompe, les pays rentrent dans un cycle infernal, dans un cercle vicieux.
S’ils ne jouent pas ce rôle, ils sont les géniteurs futurs d’un congénère du maréchal Idi Amin Dada qui tranchait à coups de machettes, le pénis à ses opposants.
« Mon parti d’accord, ma patrie d’abord », tel devrait être leur leitmotiv, car l’injuste privation de liberté à un adversaire politique et les saletés dont on embaume sa réputation sont une chose dangereuse pour lui, dangereuse pour la nation aussi.
Mais moi, je n’ai aucune rancune à assouvir. Bien au contraire, je suis confus de reconnaissance pour ceux qui sont allés à la quête des vérités, pour les confronter et dégager la seule vraie vérité sur mon incarcération.
Je voudrais aussi saluer la mobilisation de mes amis politiques de Forces Clé et de la coalition Union Fait la Nation en ma faveur. Ils n’ont pas été complètement inactifs durant ma détention.
Mais ont-ils été suffisamment actifs ? Là-dessus, j’ai des interrogations auxquelles ils devraient m’aider à répondre.
S’ils traitent ainsi qu’ils l’ont fait, un soldat de ma trempe tombé entre les mains de l’ennemi, sur le champ de bataille, quelle leçon de militantisme donnent-ils aux jeunes ?
Quant à moi, je rends grâce au Dieu vivant qui m’a délivré des griffes meurtrières du désespoir, quand le tribut commençait à me peser trop lourd, parce qu’en ce moment même, il a envoyé sur mon chemin des êtres humains humbles et dignes, qui m’ont rappelé que j’étais encore vivant.
Merci à tous ceux-là qui se reconnaissent dans cette formule, car ils ont été en plus de ma famille biologique et de mes avocats, l’échelle de retour dans le monde vivant après ma mort clinique du 1er août 2012.
Pour finir sur ce chapitre, je veux m’adresser au président de la République et lui rappeler ses extraits du songe de Nabuchodonosor expliqué par Daniel au roi :
« O roi, tu regardais, et tu voyais une grande statue ; cette statue était immense, et d’une splendeur extraordinaire ; elle était debout devant toi, et son aspect était terrible. La tête de cette statue était d’or pur ; sa poitrine et ses bras étaient d’argent ; son ventre et ses cuisses étaient d’airain ; ses jambes, de fer ; ses pieds, en partie de fer et en partie d’argile.
Tu regardais, lorsqu’une pierre se détacha sans le secours d’aucune main, frappa les pieds de fer et d’argile de la statue, et les mit en pièces.
Alors le fer, l’argile, l’airain, l’argent et l’or, furent brisés ensemble, et devinrent comme la balle qui s’échappe d’une aire en été ; le vent les emporta, et nulle trace n’en fut retrouvée » Daniel 2v31à35.
C’est ainsi qu’un pouvoir tout puissant se brise un jour, parce qu’on a manqué de faire attention au socle sur lequel il repose.
Si ce socle est d’argile, il se brisera. Mais quand un pouvoir est fondé sur la justice, la fraternité, l’égalité pour tous, les hommes qui le portent passent et le jour où ils rendent le témoin à un successeur, on les regarde comme héros de leur peuple.
Tout en renouvelant mon pardon à tous les acteurs politiques, toutes tendances confondues, qui à mes yeux auront, failli à leur mission, je tenais par gratitude à ceux qui ont adopté une attitude plus audacieuse, à libérer le fond de mon cœur et me vider du piège d’amertume.
III- CE QUE LES JEUNES DOIVENT EXIGER, CE QUE LES AINES DOIVENT DONNER
En dépit des doutes qui m’habitent aujourd’hui, l’espoir est le sentiment qui domine mon cœur.
Les surprises agréables que j’ai eues lors de ma détention et au moment de ma libération ont un grand prix à mes yeux. Elles m’indiquent que la voie que j’ai empruntée était la meilleure.
Aussi, sans posture partisane ni postulats idéologiques, et malgré la chape de plomb qui pèse sur mon avenir politique, je regarde l’avenir avec une certaine sérénité. Il sera incarné par la générosité de cœur, si les jeunes que j’ai connus et vus à l’œuvre ces dernières années, luttent pour imposer leur ligne et leur vue sur un théâtre politique livré aux mains des bêtes féroces.
Pour le reste, tant que mon cœur continuera à battre, je demeurerai aux côtés des humbles populations de notre pays, et si Dieu m’en donne la force, je serai désormais à travers ma fondation, présent dans les soixante-dix-sept communes du Bénin.
C’est ainsi que nous allons former une ceinture de mains fraternelles et entonner l’hymne de la fraternité :
« Chantons notre chanson fraternelle, mes frères….
« Dans nos mains brûle l’espérance….
« Chantons…au long de tous ces chemins ouverts à l’infini…
« L’aurore est lente, mais s’avance », Nicolas Guillén, Elégie à Jacques Roumain, 1948.
Chers compatriotes, chers frères, mes chers amis, MERCI, MERCI pour votre soutien, pour votre courage. L’avenir se dresse devant nous, immense. Osons aller à sa rencontre en hommes de cœur.