Les fonctions de ministre et de député, au Bénin, ne procurent pas toujours le bonheur attendu à ceux qui y passent. Il y en a dont les vies basculent en bien ou en mal quand ils sont hors du jeu politique. Les témoignages sont éloquents, mais aussi poignants.
Quand il débarquait samedi dernier au palais du Roi Agoli Agbo à Abomey, dans son Hammer, flambant neuf, couleur grise, Blaise Ahanhanzo avait l’air bien heureux. Pas seulement parce qu’il est désormais, une tête couronnée au nom évocateur et pesant de Da Sèmlinko Alomangba Lomandjotodo II Ahanhanzo Glèlè mais parce qu’il ne semble pas trop affecté par son départ du gouvernement. «Tout va bien, je suis tranquille et serein», lâche-t-il. Il est après tout un roi désormais et ne devrait donc afficher aucun signe de tristesse ni quelque sentiment de déception par rapport à quoi que ce soit. Il reste que l’ancien ministre de l’Environnement, également ancien maire d’Abomey ne semble pas partager le même enthousiasme au plan politique. Quand on lui pose la question de savoir s’il respire toujours Renaissance du Bénin, il rétorque, les yeux hagards : « J’en suis un membre fondateur ». C’est en fait ce parti que dirige le fils du président-maire Nicéphore Soglo qui l’a proposé, il y a quelques mois à Yayi pour faire partie de son gouvernement, et qui l’a également délogé de ce poste, remplacé par le jeune Christian Sossouhounto, alors 3ème adjoint au maire de Cotonou. Tout cela relève du passé aujourd’hui pour le Roi de la lignée des Ahanhanzo, qui est désormais entre Cotonou et Abomey, presque toutes les semaines pour répondre à des obligations coutumières. En attendant peut-être, une nouvelle remontée sur la scène politique nationale.
Irénée Pascal Koupaki. Un autre cas d’école. Imposant et prestigieux ancien ministre d’Etat de Boni Yayi, l’homme gère son « après Yayi » tranquillement. Ex haut cadre chevronné de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Pascal Irénée Koupaki a passé 7 années avec Boni Yayi, à divers postes ministériels (Economie et Finances, Développement et coordination gouvernementale). Puis enfin, le titre de premier ministre qu’il gardera jusqu’à son départ du pouvoir. Regrette-t-il ses années de hautes fonctions au sommet de l’Etat ? Son livret bleu sorti, il y a quelques mois en dit long sur la perception qu’il a désormais des choses. « «J’ai mis mon enthousiasme, mon cœur et mon être à l’ouvrage, car je partageais la vision du développement qu’il a proposée au peuple et j’en ai tiré des valeurs comme l’équité, la solidarité, la transparence, l’ouverture d’esprit, la civilité, la confiance, la reddition de compte ». Heureux d’avoir été si proche de la gestion de la chose à un niveau si élevé, l’homme ne semble pas avoir perdu son temps. Entre sa résidence privée située à Cadjèhoun, non loin du champ de foire et un bureau installé dans un immeuble à Ganhi, il s’occupe à présent de lui-même et sans doute de sa nouvelle ambition : la course à la présidentielle de 2016. Ce projet est encore entouré d’un flou artistique, mais vraisemblablement, il serait partant. Les réunions régulières de ses partisans et « lieutenants » ne visent que cette seule perspective. « Soyez calme, le moment viendra où il annoncera officiellement sa candidature au peuple béninoise », annonce, convaincu, un très proche à lui, sous anonymat.
Les « moins heureux »
Il y en a qui sont moins heureux dans le groupe des ministres mis de côté par Boni Yayi. Ceux-ci sont plutôt révoltés et ne manquent pas d’occasion pour exprimer leur amertume contre un chef d’Etat qu’ils adulaient pourtant. Au nombre de ceux-ci, Armand Zinzindohoué, l’ex-truculent ministre de l’Intérieur. Il a été limogé au temps fort de l’affaire de placement d’argent «Icc-Services et consorts», pour avoir «manœuvré» au profit des complices incarcérés depuis lors, dont Guy Akplogan, la tête de file du groupe des mis en cause. Armand Zizindohoué, éjecté du gouvernement de Yayi, a également connu des déboires policiers dans cette affaire, au point, où il vit aujourd’hui presque comme un fugitif et un « oiseau abattu ». A son domicile de Vèdoko, les portes d’entrées restent hermétiquement fermées à longueur de journée. Et les visites sont filtrées au maximum. Que fait-il à l’intérieur ? Mystère. Toutes les tentatives pour en savoir plus sont demeurées vaines. Le pasteur qu’il est également ne manquerait pas de lui dicter une activité religieuse plus accrue pour tenir le moral haut. Sans doute. Certaines informations l’avaient annoncé, entre temps, comme exilé au Ghana, un pays qu’il fréquente depuis longtemps. Bref, Armand Zinzindohoué garde visiblement un souvenir traumatisant de son passage au gouvernement.
Le souvenir n’est pas non moins amer chez Soulé Mana Lawani, ancien ministre de l’Economie et des Finances de Boni Yayi, emporté aussi par une autre affaire, Cen-Sad. Une affaire de « surfacturations exorbitantes» dans l’achat des équipements et autres quand se préparait le 10ème sommet de la Cen-Sad (Communauté des États sahélo-sahariens) de Cotonou, courant 2008. Economiste hors pair, respecté, dit-on, dans les milieux financiers internationaux de par le monde, ce pieux cadre musulman aura fini sa fonction ministérielle auprès de Yayi avec difficulté. Qu’est-il devenu aujourd’hui ? Très peu de gens peuvent le dire puisque l’homme entoure sa vie actuelle d’une totale discrétion. Mais des sources crédibles rapportent qu’il n’a pas quitté le Bénin depuis lors. Il attend certainement le dénouement de son dossier bloqué sur le chemin de la Haute cour de justice, alors sollicitée par Boni Yayi pour le juger, autant que Armand Zinzindohoué, et même des ministres du régime précédent, dont Kamarou Fassassi. Tous trainent des dossiers de « malversations financières » qu’ils rejettent en bloc, à ce jour.
Il y a eu des passages plus tumultueux. Roger Gbégnonvi, ex ministre de l’Alphabétisation de Boni Yayi, a retrouvé ses habitudes quotidiennes, depuis qu’il a été sorti du gouvernement. Il n’en garde que de mauvais souvenirs. Le célèbre chroniqueur à la plume acerbe se partage aujourd’hui entre des missions de consultations privées, des cours dans quelques établissements supérieurs de la place, et sa petite famille à qui il a beaucoup d’attachement.
Qui pouvait encore oublier l’épopée de Gaston Zossou, l’ancien ministre de Communication du président Kérékou, qui chaque jeudi, cherchait les meilleurs mots pour défendre l’indéfendable. Pour pérorer à n’en plus finir sur la « grandeur » des décisions et actes du gouvernement auquel il appartenait. Le rendez-vous hebdomadaire auquel il conviait toute la presse béninoise était presque devenu un feuilleton télévisé que ne rataient plus beaucoup de Béninois. Mais tout ce temps est fini depuis la fin de l’ère Kérékou pour un Gaston Zossou moins mythique aujourd’hui. Entre sa résidence de Vèdoko et celle familiale de Porto-Novo, l’homme passe assez de temps à lire, toujours en quête du verbe le plus percutant pour enrichir davantage son vocabulaire quotidien. Mais Gaston Zossou s’est également donné du boulot en intégrant le cercle des opposants béninois au régime de Boni Yayi. De temps à autre, on le voit aux cotés des leaders de l’Union fait la Nation pour des déclarations incendiaires contre Boni Yayi, quand lui-même ne s’arroge pas la même tache pour vouer aux gémonies le chef de l’Etat et son gouvernement. Acteur intrépide du mouvement « Mercredi Rouge » Gaston Zossou, a dû payer le prix entre temps, lorsqu’une horde de policiers armés débarqua chez lui, le soupçonnant de préparer une marche de protestation dans les rues de Cotonou.
Des ministres repêchés pour la présidence
Les chefs d’Etat antérieurs, Mathieu Kérékou et Nicéphore Dieudonné Soglo étaient moins enclin à rappeler automatiquement auprès d’eux à d’autres postes, des ministres qu’ils limogeaient fraichement. Boni Yayi est tout le contraire. A la suite de chaque remaniement ministériel, des ministres écartés sont rappelés sans attendre pour siéger à la présidence de la république à titre de conseillers. Il l’a encore fait, quelques jours seulement après le dernier remaniement ministériel, en nommant l’ex-ministre de la Fonction publique, Martial Sounton, conseiller spécial. Cela a suffi pour que ce dernier se précipite dans la vague des remerciements par le biais d’une messe d’action de grâce au cours de laquelle, il a chanté et loué l’Eternel. Parce que justement, c’est un homme de Dieu et un frère en Christ qui pratique la même église que le chef de l’Etat. Martial Sounton qui a été deux fois ministre, une première fois à l’Intérieur et la seconde fois à la Fonction publique, doit être heureux depuis peu de se retrouver à nouveau dans les encablures du pouvoir. Mais aussi à côté d’un autre conseiller, Benoit Dègla, qui fut également ministre de l’Intérieur de Boni Yayi dans un passé récent. Il le conseille aujourd’hui en matière sécuritaire et ne devrait pas trop s’en plaindre. Il est toujours dans les arcanes du pouvoir. Des arcanes qui ne désemplissent pas d’autres ministres repêchés, qui après avoir conseillé Boni Yayi sont balancés à la tête de certaines grosses entreprises d’Etat. L’exemple de Soumanou Toléba, directeur général de la Sobemap est édifiant. Il donne l’impression d’être imperturbable à ce poste, en dépit des affaires internes qui ne manquent pas de l’éclabousser, dont celle plus récente liée à un dossier de passation de marché pour l’achat de très grands équipements de manutention. Si Boni Yayi même l’a désavoué dans ce dossier, en indiquant qu’il ne lui a dicté aucune démarche visant à contourner les règles de passation de marchés publics en vigueur au Bénin, il n’a pas poussé sa colère plus loin en le délogeant, par exemple, de cette fonction. Du moins, à ce jour, puisque Toléba est toujours là et continue de gérer les affaires de la Sobemap. Le maintien de cet ancien ministre de la Culture dans l’entourage de Yayi a aussi des raisons politiques, lorsqu’on sait qu’il reste et demeure l’un des maillions politiques importants du chef de l’Etat dans le septentrion, d’où il est originaire. A la présidentielle de 2006, comme à celle de 2011, Toléba était de tous les combats enclenchés dans les régions du nord Bénin pour assurer une victoire sans faille au candidat Yayi.
Les affaires pour survivre…..
Bernard Lani Davo fut ministre de l’Enseignement secondaire sous Boni Yayi, et anciennement député à l’Assemblée nationale, au temps du président Mathieu Kérékou. Administrateur de banque et ancien cadre de la Banque centrale du Bénin (BCB), il n’a pas perdu ses réflexes d’acteur économique et d’homme d’affaires. Après son passage au parlement et par la suite au gouvernement, Bernard Davo a repris en main la direction de sa boutique agréée de distribution d’équipements (antennes, décodeurs et autres) de la chaine de télévision internationale Canal +. «C’est d’abord la santé avant tout. Les changements ne sont pas toujours faciles, mais on s’y adapte. Ce marché est saturé aujourd’hui, mais je me bats pour tirer mon épingle du jeu », confie-t-il dans son bureau d’Agontikon. Il y est désormais tous les jours, pas parce que sa résidence aussi est là, mais l’homme est très attaché au travail. « Dans notre subconscient, il est inconcevable que quelqu’un qui a été ministre ou député soit un démuni, raison de plus pour toujours tenir la dragée haute », avoue-t-il. La fonction du ministre ou de député a ses bons et mauvais côtés. Bernard Davo en sait quelque chose quand il se rappelle que presque tout le monde voudrait qu’il leur rende service à l’époque. Et même, en tant qu’ancien ministre aujourd’hui, les demandes de services ne tarissent pas. Reste qu’il ne leur accorde plus la même importance qu’avant, ses moyens étant nettement limités.
L’Assemblée nationale a été un passage inattendu pour le cas du jeune Eustache Akpovi, à une certaine époque où régnait encore le président Mathieu Kérékou, de retour aux affaires, après la période révolutionnaire. Ce transitaire, alors très en vue dans les affaires fleurissantes de véhicules d’occasion au port de Cotonou, s’était lancé dans le combat politique engagé pour faire réélire le président Kérékou en 2001. C’était un influent leader des jeunes qui drainait de la foule derrière le Général, notamment à Cotonou, son fief électoral. Cela lui a valu une bonne position sur la liste électorale aux législatives de 2003. Et mieux encore, il se retrouvera dans le bureau de l’Assemblée nationale au poste stratégique de deuxième vice-président. C’était l’époque des grandeurs pour Eustache Akpovi qui roulait des véhicules haut-de-gamme, Chrysler, Navigator et autres. Ses résidences étaient également majestueuses et ne passaient pas inaperçues à Cotonou. Mais fini Kérékou, fini les affaires, fini le parlement, l’homme vit désormais dans une totale discrétion et apparait rarement dans les grandes cérémonies nationales. Plus d’activité politique aussi. A Vèdoko où il loge dans un de ses immeubles, il passe une vie tranquille et sobre. Ses affaires sont moins florissantes qu’hier et se gèrent désormais à l’abri des regards indiscrets. Il se refuse même à toute déclaration sur quelque sujet que ce soit. Il semble bien qu’il n’a plus du goût pour la politique.
Il y en a un autre qui est beaucoup plus actif sur les deux plans. Dénis Oba Chabi lorgne sans doute à nouveau son ancien siège au parlement. Député alors élu dans la 10ème circonscription électorale sous le règne de Kérékou II, ce natif de Savè donne tout l’air d’un richissime homme d’affaires. Ses véhicules sont des haut-de-gamme aussi, avec parfois son nom inscrit en lettres d’or sur la peinture. Toujours entre deux avions, pour ses affaires et sa société d’import-export, Dénis Oba Chabi, ne manque pas non plus de temps pour le terrain politique. Régulièrement, il descend dans son fief électoral à l’occasion des meetings, réunions politiques et autres activités grand public. Il est un leader pur et dur des Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE) de Savè et est très engagé derrière le chef de l’Etat, Boni Yayi. Mais l’homme parle très peu et se confie très rarement à la presse. Pour lui, « il faut agir, agir et agir encore ».
Il y a d’autres anciens parlementaires qui ont disparu de la circulation au profit de leurs villages respectifs pour y passer certainement leurs derniers jours dans la tranquillité de l’atmosphère rurale. A l’abri de tout et de tout.
Ex-femmes ministres, toujours actives
La dame à la grande chevelure. Elle a eu des ambitions plus élevées dans le passé, pour avoir été à plusieurs reprises candidate à la présidentielle. Marie Elise Gbèdo, avocate au Barreau de Cotonou avait déjà été ministre sous Mathieu Kérékou avant de retrouver la même fonction, avec le président Boni Yayi dès sa réélection en 2011. D’abord ministre du Commerce et de l’Industrie, elle se verra parachutée à la tête de la maison de la Justice béninoise, sa maison. Ce ne fut pas pourtant la belle époque, pour l’avocate qui a dû affronter la grève des magistrats avec beaucoup de maladresses, pour avoir voulu dicter ses lois à elle, contre celles prescrites par les textes, dans la polémique autour des incorrections dans les nominations de magistrats. Mais après son dernier passage tumultueux dans le gouvernement de Yayi, Marie Elise Gbèdo a retrouvé la plénitude de sa fonction d’avocat et est plus affairée qu’avant entre les multiples dossiers qui encombrent les armoires de son cabinet sis non loin de la Place Bulgarie à Cotonou. Elle ne se repose donc pas, encore qu’elle soit restée très active dans le mouvement associatif à travers l’Association des femmes juristes du Bénin, pour laquelle, elle se bat corps et âme. Sa jeune sœur Réckya Madougou, une autre femme combattante, qui fut également ministre, est elle aussi toujours mobile. Elle voyage beaucoup depuis qu’elle n’est plus dans le gouvernement, pour des consultations sur plusieurs sujets importants notamment, ceux relatifs à la micro-finance, après ses brillants succès en la matière auprès de Yayi. Elle est devenue également femme d’affaires, propriétaire d’une majestueuse boutique à Ganhi, « Style RM » (Style Réckya Madougou), où se vendent des tenues dames haut-de-gamme.
Claire Houngan Ayémona a, quant à elle, raté récemment un retour aux affaires, après le rejet de sa candidature par l’Assemblée nationale, au poste du représentant des magistrats au sein de la nouvelle Commission électorale nationale autonome (Cena) dont le mandat est de 7 ans. L’ancienne ministre de la famille sous le président Mathieu Kérékou n’a cependant jamais chômé, parce qu’elle est magistrat de profession et sert toujours l’Etat. Il y a aussi et surtout sa chère Fondation Regard d’Amour basée à Abomey-Calavi qui s’occupe des enfants déshérités, orphelins et autres. Et elle s’y plait bien apparemment. Le monde des enfants est son « meilleur monde » comparativement à la politique pour laquelle, elle n’a jamais manifesté de vocation, selon son entourage.
Mais lorsqu’on parle de politique justement au niveau de la gent féminine béninoise, il y a une doyenne en la matière. Ancienne députée, déjà à l’Assemblée nationale révolutionnaire, plusieurs fois ministre. Elle a pour nom, Karimou Rafiatou. Une véritable amazone, qui malgré son âge avancé et son handicap, des suites d’un accident de circulation, est restée affairée. Elle est membre du Front d’actions pour la défense des acquis démocratiques que dirige Etienne Détchénou et s’implique ardemment dans toutes les actions internes qui se mènent. « Ce pays m’est trop cher, il m’a tout donné et j’ai le devoir de travailler à son émergence jusqu’à mon dernier souffle », se plait-elle souvent à dire.
La liste des anciennes femmes ministres et députées est longue. Christine Ouinsavi, Léa Hounkpè, Vicentia Bocco, Flore Gangbo, Marina d’Almeida Massougbodji, Mamata Djaouga, etc, sont plusieurs autres qui, après avoir vécu l’expérience du pouvoir, ont retrouvé leur train-train quotidien, les unes dans des activités privées, les autres admises à la retraite.
Codjo Sodokin, secrétaire général de l’alliance FCBE, sociologue de formation: « Chaque ministre paye toujours en bien ou en mal le prix de sa nomination »
Codjo Sodokin, secrétaire général des Forces Cauris pour un Bénin émergent (FCBE) se dit déçu par les genres de ministres et députés que le Bénin a connus jusque-là. S’il estime qu’il en a qui ont du mérite, il se désole des incapacités de plusieurs autres à accomplir les missions pour lesquelles, ils sont nommés. Quant à ce qu’ils deviennent, une fois hors du gouvernement, il pense que tout est lié à la manière dont ils accèdent à cette fonction.
L’Evénement Précis : Quel regard portez-vous aujourd’hui au Bénin sur la fonction du ministre et celle du député ?
Codjo Sodokin : Je dois d’ abord commencer par les députés pour dire qu’ils sont élus par le peuple, leurs mandants dans leurs circonscriptions électorales respectives. Par contre, les ministres, eux autres sont nommés. L’accession au pouvoir n’est donc pas du même ordre. S’agissant des députés, nous savons que c’est le rôle de contrôle et de veille qu’ils ont à jouer. Et je regrette amèrement qu’à ce niveau, l’argent prend le pas sur tout le reste. Aujourd’hui, on peut dire banalement que c’est la fin des idéologies et que l’argent est devenu l’alpha et l’oméga. Et à partir de là, les comportements ne peuvent plus suivre une ligne droite. Et c’est pour cela que notre assemblée est devenue assemblée à géométrie variable où les choses se font et se défont au gré des intérêts et au gré des évènements. Ensuite, ceux qui y vont sont ceux-là qui ont les moyens nécessaires pour acheter les consciences. Et effectivement, les élections aujourd’hui ne se font plus sur la base d’un programme. Et à ce niveau, la composition de l’assemblée montre que ce sont les anciens douaniers, des anciens politiciens, des commerçants et quelques intellectuels, qui dans leur région, ont peut être joui des notoriétés à leur façon. A partir de là, la gestion, soit, serait dans les mains d’une minorité ou bien ce serait une gestion par endroit ou par moment chaotique. En réalité, le député qui est là et qui n’a pas la culture nécessaire, doit avoir peur de prendre des décisions à chaque instant.
Et les ministres ?
Quant au ministre, je dirais qu’il y a beaucoup de déterminants qui jouent. Le premier est tribal. Ensuite, il y a le clientélisme. Sans oublier qu’il y a, par moment, le népotisme et la démagogie de ceux qui doivent accéder, et comment ils arrivent à enfariner les gens et comment acheter ces postes. Si non, pour être ministre, il faut au moins être un ancien militant qu’on a affecté à des postes politiques ou à des postes de gestion de l’organisation qui a amené le premier responsable au pouvoir. Quand vous prenez tel parti, il y a des responsables qui sont affectés à tel ou tel poste, qu’ils auront à occuper demain, parce qu’ils en ont déjà l’expérience. Mais ce que nous voyons aujourd’hui, ce sont des recommandations ou encore des considérations qui ne tiennent pas forcément compte de la capacité des hommes nommés. Et lorsqu’un ministre arrive et dit qu’il n’est même pas du parti du chef de l’Etat, je me demande sur quel programme, il va marcher. Comment va-t-il suivre le chef de l’Etat qui a été élu sur une base donnée. Nous avons de ces anomalies-là, même des inconnus et totalement inconnus sur l’échiquier politique qui apparaissent, et naturellement, ce sont des faux pas, qui s’ils ne sont pas dans la gestion, se retrouvent dans les déclarations et qui compromettent dangereusement les relations avec les partenaires sociaux.
Quelle comparaison faites-vous entre les ministres et députés d’avant et ceux d’aujourd’hui ?
A cette question, je ne dirai pas grand-chose. Mais, il y a des points qui donnent le nœud même du processus. Dans le temps, au moins, les gens veillent à la surface politique, à l’étoffe politique du prétendant au poste, et à partir de là, l’enquête se mène avec les dirigeants et les ténors du pouvoir. Dans les régions, on connaît qui peut faire quoi et qui peut mobiliser, parce que s’il devient ministre et que c’est à partir de ce moment qu’il va apprendre à mobiliser, ce ne serait que naturellement du folklore. Et c’est là où je dis qu’un ministre, dans ces conditions, va nécessairement être fébrile, parce qu’il va toujours avoir peur des autres qui ont toujours fait cela, et qui n’ont rien et qui l’ont vu tout à l’heure dans des positions équivoques et tout de suite promus à un rang élevé. Il aura donc peur des autres et n’aura pas le pied au sol pour faire son travail, et à chaque instant, il va croire que les gens complotent contre lui.
On a connu assez de députés et assez de ministres depuis 1960. Il y en a très peu qui sont encore au devant des affaires pendant que les autres sont à l’oubliette. Comment expliquez-vous cet état de chose ?
Cela s’entend. Le pouvoir a quelque chose de caractéristique. La façon de gérer le pouvoir et même de le quitter dépend de la façon dont le pouvoir a été conquis. Je donne un exemple très simple. Lorsque vous avez conquis le pouvoir avec des malversations, vous avez, par exemple, tué avant d’avoir ce pouvoir. Mais cette mort vous suit, et vous n’avez pas envie de quitter parce que vous avez peur, et si vous quittez, vous avez envie même de vous cacher parce qu’il y a des choses que la nature même n’oublie pas. Si des ministres quittent le pouvoir et tombent très vite dans l’oubliette, c’est parce que c’était une conquête et une ascension qui n’ont pas été basées sur la capacité de l’individu. Et c’est comme un hasard, et le hasard ne résiste pas au temps. Il ne peut en être autrement lorsqu’au moment où tu gérais le pouvoir, il y avait eu trop d’animosités, trop d’ennemis, tu n’avais pas d’égard envers les autres, tu n’as pas compris que tu es redevable à ceux qui t’ont fait. Tu as craché sur eux, alors tu te retrouves seul après avoir quitté le pouvoir. Ce n’est pas seulement la honte, mais c’est la peur d’aller vers des gens que tu as insulté au moment où tu avais le pouvoir.
Par contre, on a connu aussi des députés et ministres qui ont bâti leurs fortunes par ce passage au pouvoir et qui ne se plaignent de rien aujourd’hui ?
Oui, c’est vrai. Il faut dire que chaque chose a son intelligence. Il y a des voleurs intelligents. Il y a des ministres qui, après avoir servi, redeviennent comme tout le monde. On les retrouve soit à pied ou à Zémidjan, mais si tu penses que tu avais l’argent facile et tu en as fait ce que tu voulais, après avoir quitté le pouvoir, on est désemparé et désorienté. Même l’argent, il faut savoir comment on l’a et d’où cela vient. C’est cela qu’on appelle la culture. Si d’autres s’en sortent, c’est parce qu’ils ont eu intelligemment le temps d’amasser beaucoup d’argent. Il y a des ministres dans ce pays qui sont milliardaires et ils ne s’affichent pas. Ils savent utiliser discrètement ce qu’ils ont usurpé dans le pays.
Est-ce que vraiment, un homme peut devenir milliardaire parce qu’il a été ministre ou député ?
Ce n’est pas du tout normal. Aucun salaire honnête ne peut conduire à cette situation. C’est du vol sur le dos des populations. Vous savez, le contrôle dans notre pays, tient de l’affairisme. Qui contrôle d’ailleurs qui lorsqu’on sait que celui qui contrôle a également les mains sales et ne peut aller loin ? Et vous savez dans notre pays, que depuis qu’on a diligenté des enquêtes sur un certain nombre de dossiers de malversations financières, on n’a jamais de suite parce que cela n’aboutit pas.
Puisque nous copions souvent la France, on constate que là-bas les anciens ministres et anciens députés ne se reposent pas pour autant. Ils sont dans plusieurs consultations et sont également auteurs d’ouvrages abordant des questions du développement de leur pays. Mais il n’y a rien du genre au Bénin par exemple ?
Vous comprenez aisément que cela ne se réalise pas au Bénin, quand vous avez à peine le niveau du Ce2 et vous avez été député, je ne sais pas ce que vous allez écrire à la fin de votre mandature. Et vous voyez les désertions où les gens vont à l’Assemblée nationale au petit bonheur de la chance. Et quand ils veulent, ils s’occupent de leurs propres affaires. Les débats ne sont pas à la hauteur, si non, c’est pour suivre les autres et voter. Nous, nous avons mis le pied dans la culture des autres et nous voulons faire de la démocratie, mais nous ne prenons pas par le bon bout. Les autres l’ont essayé pendant des siècles. Ils l’ont essayé après l’avoir étudié. Mais nous ne prenons pas le temps de savoir correctement ce que nous voulons faire. Nous ne pouvons donc pas nous comparer à des gens qui savent que s’ils ne sont pas experts dans leur domaine, ils ne se présentent pas. Lorsque vous êtes, par exemple, dans une commission de loi, sans avoir quelques notions de droit, vous voyez que cela est bien difficile. C’est un pédalage à vide que nous faisons. Et comme peut-être la scolarisation avance maintenant, nous pouvons espérer qu’à la longue, les choses iront en s’améliorant. Mais ce qui chagrine un peu et qui dérange est que la génération montante suit les pas de l’affairisme. On veut arriver très vite. On devient porteur de tee-shirt de quelqu’un parce qu’il vous donne le subside. Et c’est cela qui fait peur. Si l’allure avait continué comme les organisations de masse d’avant, dont les Rajumo, les Feamf, les Ugeef, les Sonagnon, qui étaient vraiment des organisations qui avaient éclairé la masse, les gens parleraient autrement du Bénin ; parce que voyez-vous, c’est cette culture-là qui nous avait accompagnés à la conférence nationale et je pense que si vous sortez et on sait que vous êtes Béninois, on vous considère. On était très haut dans le firmament démocratique.
Jean Roger Ahoyo, ancien ministre de l’Environnement du président Soglo, Professeur à la retraite: « La fonction de ministre est tellement galvaudée aujourd’hui qu’il faut s’inquiéter pour l’avenir des bénéficiaires »
« Je m’offusque de ce que, chaque fois qu’on nomme un ministre, il se trouve dans l’obligation d’aller vers les siens, d’organiser des messes et autres réjouissances populaires, pour célébrer sa nomination et remercier abondamment le président qui l’a nommé. Tout laisse croire qu’on l’a nommé parce qu’il n’est pas compétent, mais un simple client prêt à chanter à tout moment les louanges du chef de l’Etat. Politicien un jour, politicien tous les jours. Moi j’ai commencé à militer très tôt à partir du collège. Et cela m’a poursuivi jusqu’à aujourd’hui. Et je ne cesserai pas de militer jusqu’à ma mort. Actuellement, je suis le président des adhérents directs de l’Union fait la Nation. Je ne suis donc plus à un poste de responsabilité politique, mais je suis actif politiquement. On ne peut pas laisser diriger le pays par les gens qui sont là. Je le dis en toute responsabilité, ils sont incompétents. Si on ne fait pas attention, ils vont nous mener dans le mur.
Regardez déjà les gens qu’on nomme ministre aujourd’hui. Vous avez vu cela avant Boni Yayi ? Ces nouvelles races de ministres sont des gens qu’on peut chasser avec un coup de pèle. La fonction ministérielle est aujourd’hui galvaudée et banalisée au point où je m’inquiète même pour ceux qui se disent ministres aujourd’hui. Etre ministre aujourd’hui n’a plus son pesant d’or. Les gens qui sont nommés sont très surpris et aussi très complexés au point où ils se précipitent pour remercier le chef de l’Etat, leur bienfaiteur. De mon point de vue, être ministres est l’aboutissement d’une carrière de haut fonctionnaire, et non le début. Et à partir de ce moment-là, vous pouvez remercier par une simple lettre, celui qui vous a nommé. C’est normal. Mais je comprends leur motivation. Aujourd’hui, cela fait beaucoup gagner quand on vous nomme ministre. En mon temps, moi, je gagnais mon salaire d’Enseignement du supérieur plus une indemnité de logement, de déplacement, et une autre de représentation. Mais je vous avoue que tout cela n’atteignait pas 500.000 FCFA. Quand on le dit, les gens tombent des nues. Mais c’est cela la vérité. Aujourd’hui, ils sont autour de 2 millions. Evidemment quand une telle fortune tombe sur la tête de quelqu’un, il la ressent comme un rêve. C’est regrettable, le régime prochain aura beaucoup à faire.
Victor Topanou : l’ancien ministre qui veut devenir chef d’Etat
Il est désormais furieux contre l’homme qu’il a pourtant servi à la présidence et dans le gouvernement par le passé. Victor Prudent Topanou, ancien conseiller de Boni Yayi, ancien ministre de la Justice et porte-parole du gouvernement ne semble pas avoir fait de façon agréable sa première expérience de gestion des affaires de l’Etat en compagnie de Boni Yayi. Tout laisse croire aujourd’hui que cet enseignant de droit à l’Université d’Abomey-Calavi n’avait jamais partagé la vision du chef de l’Etat qu’il a pourtant servi à des niveaux très importants. « Le système Yayi s’est illustré dans la caporalisation des institutions de l’Etat malgré leur autonomie reconnue par la constitution du 11 décembre 1990, la politique de l’intimidation et des déclarations de toutes sortes remettant la quiétude des populations en cause », a-t-il récemment dénoncé sur une émission de télévision. Victor Topkanou, en réalité, n’avait jamais fait la politique au sens réel du terme avant l’avènement de Boni Yayi. Mais il y a pris goût avec cet homme, et même s’il le renie désormais, il ambitionne d’aller vivre lui-même également l’expérience de la gestion du pouvoir au sommet de l’Etat. Sa candidature à la présidentielle de 2016 n’est plus un secret de polichinelle. Elle est connue de tous. Et Victor Tokpanou la défend contre vents et marées, à la recherche des voies électorales nécessaires pour concrétiser un tel rêve. Il a désormais un langage d’homme politique depuis qu’il a créé son parti politique, le Front Uni pour la République (FUR) et formule le vœu qu’il n’y ait plus au Bénin des présidents sans expérience politique. Entre ses cours à l’université et ses consultations de juriste en clientèle privée, Victor Tokpanou ménage suffisamment son calendrier quotidien pour gérer au mieux sa subite carrière politique. Et surtout, la présidentielle de 2016, pour laquelle, il est véritablement engagé. Qui ne risque rien, n’a rien, dit-on souvent.
Pierre Osho : de l’homme d’Etat au simple citoyen
Il est sans doute l’un des plus vieux ministres béninois encore en vie. Le septuagénaire Pierre Osho a connu des gloires sous le président Mathieu Kérérou, quand il accédait une première fois au pouvoir en 1972, comme à son retour en 1996. C’était le plus fidèle des fidèles du Général, qui lui a offert presque 10 ans de gestion du très important Ministère de la Défense nationale de 1996 à 2006. Mais le fringant et charismatique Pierre Osho d’avant semble avoir perdu aujourd’hui sa classe et mène une vie plutôt simple. Il est fréquent de le voir circuler dans une petite Toyota dans la ville de Cotonou, un bas-de-gamme, contre ces Chevrolet et Land Cruzer d’avant. Ses ennuis ne sont pas visiblement que sanitaires. Le train de vie de cet homme a véritablement pris un coup depuis qu’il a quitté les affaires, et il n’est pas rare de le voir se plaindre de ses nouvelles et modestes conditions de vie. Sa pension de retraite, fut-il, un cadre supérieur, suffit-elle à couvrir ses besoins actuels ? Pas si sûr. Même s’il se garde de parler de sa prie privée, Pierre Osho n’hésite pas à rappeler ses dernières mésaventures, alors qu’il manifestait l’ambition de devenir chef de l’Etat dans la foulée de la présidentielle de 2011. Il y renoncera au dernier moment, en annonçant publiquement « la mascarade » qui se préparerait pour faire réélire Boni Yayi contre vents et marrées. Mais en vérité, l’homme avait d’autres raisons non moins négligeables. Une élection présidentielle est une question de gros sous, avant tout. Il n’en avait donc pas mobilisé autant, comme il le souhaitait. Bien au contraire, il s’était « suffisamment endetté » pour assurer le financement des premières actions de terrain. A l’occasion d’une rencontre informelle dans sa résidence d’Akassato, route de Bohicon, l’ancien ministre de la Défense, n’a pas caché son indignation de voir que l’argent prime désormais sur tout au Bénin, même sur la morale politique. Bref, c’est un Pierre Osho fragile, réduit à une simple vie qui suit aujourd’hui l’actualité de son pays dans sa retraite définitive. En attendant, l’appel du Seigneur. Un beau jour.
Les inconséquences d’un enrichissement brusque et illicite
Accéder à un poste ministériel où être élu député aujourd’hui au Bénin est considéré comme une manne providentielle dont rêvent beaucoup de Béninois. Cela se ressent dans les sentiments de joie et les réjouissances de toutes sortes qui s’observent au lendemain de chaque remaniement du gouvernement et de proclamation de résultats d’élections. En vérité, le poste convoité apporte beaucoup d’avantages à ceux qui les décrochent. Des avantages particulièrement pécuniaires qui élèvent du coup leur niveau de vie à un tel point qu’ils vivent leur départ comme un deuil. Une chute lamentable, de laquelle certains se relèvent difficilement. Selon les indiscrétions, un tout puissant ministre de Kérékou avait acheté en un temps record une dizaine d’immeubles dans la ville de Cotonou, dans lesquels vivaient ses femmes et maitresses. Avec quel salaire ? Celui du ministre qui n’a véritablement pas connu une augmentation exponentielle au fil du temps ? Certainement pas. Mais il a déchanté aujourd’hui et a déjà vendu la moitié de ces immeubles pour assurer sa survie et répondre aux multiples besoins d’un homme au train de vie élevé. La fonction ministérielle s’ouvre à des opportunités d’enrichissement illicite dans un pays où la corruption sévit toujours. Mais lorsqu’ils quittent les affaires, ces ministres devenus précocement fortunés redescendent à leur niveau d’avant, les sources d’argent ayant tari. Si ceux qui sont plus habiles, réinvestissent les pactoles de ministres dans des activités génératrices de revenus, nombreux sont ceux qui gaspillent l’argent avant de se rendre compte plus tard de leurs erreurs.