De nombreux pays africains n’ont toujours pas acquis leur indépendance énergétique. Les délestages y sont fréquents. Pour remédier à cela, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a décidé de mettre sur pied un programme régional commun. Ibrahima Thiam, président de l’Autorité de régulation régionale du secteur de l’électricité de la Cedeao, rencontré lors du sommet annuel de la Banque mondiale de développement, à Marrakech, nous explique en quoi consiste ce projet.
Afrik.com : Comment expliquez-vous que depuis les indépendances la plupart des pays africains n’aient pas acquis leur indépendance énergétique ? Ibrahima Thiam : L’absence de vision sur le long terme est l’une des premières raison de cet échec. L’Afrique de l’ouest a un potentiel énorme en énergie mais il est mal exploité. Nous disposons de 56 000 mégawatts d’électricité, nous avons également du gaz, du charbon. Mais tout ce potentiel est très mal exploité ce qui explique les délestages fréquents dans les pays de la région. Les prix de l’électricité y sont les plus chers. Les sociétés qui sont censés la produire ne sont pas performantes. Il est temps que les Africains réalisent des actions concrètes au lieu de toujours faire des discours. Cela fait cinquante ans qu’on fait des discours alors qu’il n’y a rien de concret. Maintenant ça suffit, il est temps d’agir !
Afrik.com : En parlant d’actions concrètes, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a décidé de mettre en place un projet régionale commun de l’énergie pour mettre un terme aux délestages. Ou en est ce projet ? Quand allez-vous concrètement le mettre en oeuvre ? Ibrahima Thiam : Nous avons déjà approuvé le plan directeur du projet. Nous avons à partir du Nigeria des lignes de production que nous allons développer au Ghana et Bénin. Nous avons également des lignes d’interconnexions qui vont partir du Sénégal jusqu’en Côte d’Ivoire, Sierra-Leone, Liberia et Guinée. Tous ces projets nous permettront de mettre en service des projets hydrauliques trois fois moins chers que tous ceux que nous avons jusqu’à présent afin d’atteindre nos objectifs.
Afrik.com : Quels sont les objectifs que vous souhaitez atteindre ? Ibrahima Thiam : L’objectif de ce projet est de permettre à l’électricité de circuler partout dans la région. Notre but est que 75% de la population ait accès à l’électricité. Nous voulons aussi diviser les couts de l’électricité par deux. D’ici 2025, nous avons prévu de mettre un budget de 24 milliard de Fcfa pour réaliser ce projet. Nous avons changer notre approche vis-à-vis de ce sérieux problème. Désormais, nous voulons mettre en place des projets de grande envergures, ce qui permettra de réduire les coûts de production de l’électricité.
Afrik.com : Actuellement quels sont les pays les mieux lotis en énergie ? Ibrahima Thiam : En terme de potentiel d’énergie c’est le Nigeria qui est le pays le mieux lotis dans la région. Mais en matière de service, à l’exeption de la Côte d’Ivoire, tous les pays sont confrontés à des problèmes de délestages. La Côte d’Ivoire a certes une bonne base mais son équilibre est également précaire. Le Ghana, lui, est confronté à des délestages fréquents qui ne sont pas dus au manque de volonté politique mais à l’absence de performance des sociétés de production d’électricité. En Guinée, le réseau est totalement désuet avec en moyenne 45% de pertes en énergie. Si vous prenez les cas de la Sierra Leone et du Liberia le secteur électrique est quasiment inexistant. Au Sénégal, l’équilibre a été rétabli mais les moyens de production utilisés sont tellement coûteux que le prix de l’électricité est toujours extrêmement cher.
Afrik.com : L’Afrique dispose d’un énorme potentiel en énergie solaire. Pourquoi ne l’exploitez-vous pas pour réduire les coûts de l’électricité ? Ibrahima Thiam : Nous avons un centre spécialisé qui travaille sur ce projet. Mais cela dit il y a encore un travail à faire sur le plan de la réglementation mais aussi de la mutation des technologies. En effet pourquoi on ne produirait pas de l’énergie solaire à partir de chaque toit ? C’est à dire permettre à chacun de produire de l’électricité de sa propre inititative sans passer par le réseau général, ce qui devrait permettre de faire des économies. Mais cela demande des réseaux intelligents et des innovations technologiques performantes. Sans compter que beaucoup y sont souvent réticents.
Afrik.com : Mais c’est avant tout aux politiques de jouer leur rôle pour développer l’énergie solaire... Ibrahima Thiam : Effectivement la volonté politique doit être déterminante pour faire progresser ce projet. Par exemple, les immigrés qui investissent beaucoup en Afrique ne pensent pas à rentabiliser leur investissement. Les dirigeants devraient les inciter à investir dans l’énergie solaire qui est un secteur d’avenir qui pourrait permettre d’électrifier des localités ; au lieu de laisser les puissances occidentales réfléchir à notre place et nous proposer des solutions inefficaces qui ne sont pas adaptés à nos besoins. Le problème de l’Afrique c’est qu’elle n’a pas su développer les capacités de ses institutions pour avancer. Ce sont toujours les puissances occidentales qui nous font des proposition qu’on appliquent sans se poser de question. Et lorsqu’on se rend compte que cela fonctionne pas, on recommence à zéro et on tourne en rond. La Chine par exemple propose des panneaux solaires beaucoup moins chers que les pays occidentaux. Mais ils font barrage pour que nous n’ayons pas accès au marché chinois alors qu’ils sont les premiers à se rendre en Chine pour acheter les produits chinois ! Pourquoi refusent-ils qu’on fasse de même alors qu’ils ne peuvent plus rien pour nous ?