Le Conseil des ministres du mardi 28 mai dernier a procédé à des nominations de magistrats dans certaines juridictions et à la Chancellerie. Seulement, l’Union nationale des magistrats du Bénin (Unamab) a trouvé des failles à ce redéploiement. L’Unamab qualifie ces nominations de provocatrices et démotivantes.
REPLIQUE DE L’UNAMAB AUX NOMINATIONS RENDUES PUBLIQUES PAR LE CONSEIL DES MINISTRES DU 28 MAI 2013
Le Conseil des Ministres, en sa séance du 28 mai 2013, a procédé, sur proposition de Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme, Porte-parole du Gouvernement et après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature en ses sessions des 30 août, 06 septembre et 26 septembre 2012, à des nominations de magistrats dans certaines juridictions et à la Chancellerie. Ces nominations violent, non seulement les règles de préséance prévues par la loi portant Statut de la magistrature en son article 37, mais instituent, au grand dam des justiciables, une gestion peu rationnelle du personnel magistrat.
Au titre de la violation des règles de préséance
L’article 37 de la loi portant Statut de la Magistrature dispose que «Les emplois susceptibles d’être attribués aux magistrats compte tenu de leurs grades sont définis comme suit :
1) parmi les magistrats de grade initial, sont nommés :
- les juges et substituts des tribunaux de première instance ;
- les vice-présidents des tribunaux de première instance de 2eme classe ;
- les magistrats en service à l’administration centrale de la justice ;
2) parmi les magistrats du grade intermédiaire, sont nommés :
- les juges d’instruction des premiers cabinets des tribunaux de première instance de 1ère classe ;
- les présidents et procureurs des tribunaux de première instance de 2ème classe ;
- les directeurs adjoints à l’administration centrale de la justice ;
3) parmi les magistrats du grade terminal, sont nommés :
- les juges d’instruction des premiers cabinets des tribunaux de 1ère instance de 1ère classe ;
- les directeurs à l’administration centrale de la justice ;
- les conseillers et substituts du procureur général à la cour d’appel ;
- les présidents, vice-présidents et procureurs des tribunaux de 1ère instance de 1ère classe ;
- les inspecteurs des services judiciaires ;
4) parmi les magistrats de classe exceptionnelle et du grade terminal dernier échelon, sont nommés :
- les présidents des cours d’appel ;
- les procureurs généraux près les cours d’appel ;
- l’inspecteur général adjoint des services judiciaires ;
- les substituts du procureur général près la Cour Suprême ;
5) parmi les magistrats du grade hors-classe, sont nommés :
- le procureur général près la Cour Suprême ;
- les avocats généraux près la Cour Suprême ;
- l’inspecteur général des services judiciaires.»
Il est aisé d’articuler sur les nominations prononcées par le Conseil des Ministres du 28 mai 2013, les observations ci-dessous :
-au tribunal de Première Instance de Première Classe de Parakou, le Procureur de la République n’a pas le grade exigé pour la fonction. En effet, il résulte de l’article 37 sus-cité que pour être Procureur de la République dans une juridiction de Première Classe, le magistrat pressenti pour un tel poste doit avoir le grade A1-8. A la date du 28 mai 2013, le magistrat nommé Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Parakou, ne peut officiellement exhiber un acte lui conférant le grade exigé par la loi,
-au Tribunal de Première Instance de Première Classe de Cotonou, le Président du tribunal nommé est moins gradé que le Procureur de la République, ce qui de mémoire de Béninois, est sans précédent à la justice.
Mieux, au niveau des cabinets d’instruction, le juge du troisième cabinet est moins gradé que ceux des 4ème et 5ème cabinets qui sont ses aînés dans le corps de la magistrature. Quant au premier cabinet, il n’a pas préséance sur le quatrième. En observance des us et coutumes jamais violés avant 2006, les juridictions ont chacune une cote. Au regard de cette pratique à valeur de loi, le moins jeune ne peut être nommé juge d’instruction du premier cabinet à Cotonou au moment où ses aînés de plusieurs années seront juges d’instruction des premiers cabinets de Porto-Novo et de Parakou, juridictions moins importante que le tribunal de Cotonou. Il en est également de la présidence du Tribunal de Première Instance de Première Classe de Cotonou. En effet, le magistrat le moins ancien ne peut pas être Président à Cotonou au moment où ses collègues plus gradés que lui seront Présidents à Parakou et à Porto-Novo.
Au titre de la gestion peu rationnelle du personnel magistrat
Il convient de noter l’absence de juge d’instruction au 2ème cabinet du Tribunal de Première Instance de Deuxième Classe de Lokossa et au 1er cabinet du Tribunal de Première Instance de Première Classe d’Abomey, alors ces cabinets d’instruction, qui sont sans magistrat depuis bientôt deux ans, regorgent de détenus qui croupissent en prisons faute de juge pour instruire leurs dossiers.
Au parquet de Lokossa, il y a deux deuxièmes substituts sans premier, preuve que le Gouvernement gère le personnel magistrat en service dans les juridictions sans tableau de bord. Mieux, alors que toutes les nouvelles juridictions (Djougou, Pobè, Allada et Savalou) ont eu droit chacune à un juge au tribunal, le Tribunal de Première Instance de Première Classe d’Aplahoué a été le parent pauvre de cette répartition peu rationnelle.
Un cas très triste est celui de l’actuel Procureur de Parakou qui était Conseiller à la Cour d’Appel de Parakou d’où il a été ramené pour être Procureur de la République dans la même ville. A travers les nominations du 28 mai 2013, l’intéressé a été à nouveau nommé Conseiller à la même Cour d’Appel.
La même situation de gestion peu orthodoxe de carrière peut être relevée au niveau de Madame Claire HOUNGAN AYEMONA. L’intéressée a été nommée Conseiller à la Cour d’Appel d’Abomey, alors qu’elle a été précédemment respectivement Conseiller et Substitut Général à la Cour d’Appel de Cotonou. La nommer comme conseiller à la Cour d’Appel d’Abomey constitue une rétrogradation.
Par ailleurs, le compte rendu du Conseil des Ministres vise l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature en ses sessions des 30 août, 06 septembre et 26 septembre 2012. Or, sur la liste examinée en ses sessions figurait le nom de Cyriaque DOGUE proposé par l’ex Garde des Sceaux comme Procureur Général près la Cour Suprême. Monsieur Cyriaque DOGUE ayant été admis, à compter du 1er avril 2013 à faire valoir ses droits à la retraite, le Gouvernement de chef, a apuré la liste soumise au Conseil de son nom. Une telle purge viole la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature, l’exécutif n’ayant pas la possibilité de corriger une liste à lui soumis par le Conseil Supérieur de la Magistrature. En visant une délibération du Conseil Supérieur de la Magistrature ayant porté sur une liste précise et en rendant publique une liste remaniée, le Gouvernement a altéré la sincérité des délibérations dudit Conseil.
Le Parquet Général près la Cour Suprême, depuis plusieurs mois, est sans Procureur Général, la Chambre judiciaire sans président et le Conseil Supérieur de la Magistrature sans représentants des magistrats. Ce tableau pas très reluisant affiche, à n’en point douter, la perception qu’a l’exécutif du système judiciaire de notre pays.
Ces nominations n’ont d’autres visées que de diviser les magistrats mobilisés autour du juge Angelo HOUSSOU à l’effet de l’aider à recouvrer ses attributs de citoyens libres. Sinon, comment peut-on comprendre que ces propositions de nominations faites par l’ex Garde des Sceaux et gelées depuis plusieurs mois soient remises au goût du jour par le Gouvernement au lendemain de la plainte avec constitution de partie civile contre les responsables de la police nationale par l’intéressé ?
Ces nominations provocatrices, démotivantes ne sont pas de nature à faire régner la paix entre l’exécutif et l’UNAMAB. Loin des secousses permanentes, la justice de notre pays nécessite des réformes approfondies et courageuses indispensables pour attirer les investissements vers la destination Bénin. La politisation de la justice de notre pays est une épée de Damoclès qui nous guette tous.