Depuis quelques années, la planification familiale gagne les cœurs dans le rang des chefs de famille. Longtemps demeurés réticents vis-à-vis de l’adoption de ces moyens contraceptifs par leurs conjointes, les hommes en applaudissent de plus en plus les nombreux bienfaits.
Le couple Akowanou a le sourire aux lèvres en cette matinée ensoleillée du mercredi 17 mai 2013. Dame Assiba Akowanou vient de réussir à se faire insérer sous le bras gauche les implants par les soins de la sage femme du centre de Jesugnon de Godomey, l’un des nombreux centres de santé affiliés à l’Association Béninoise pour la planification familiale (ABPF). « Depuis que j’ai été informé de l’existence de cette méthode, j’étais impatient de la faire profiter à ma femme pour un meilleur contrôle des naissances au sein de notre famille », explique cet homme d’une trentaine d’années, conducteur de taxi-moto de son état. « La naissance rapprochée de mes deux derniers enfants m’a presque ruiné à cause des dépenses en soins de santé auxquelles j’ai fait constamment face. J’en suis même venu à perdre toute quiétude et à me livrer à l’alcool. C’est donc pour ne plus vivre une telle situation qui a remis en cause tous mes objectifs que, suivant les conseils du médecin, j’ai accompagné ma femme ici pour recourir aux méthodes de planification », confie-t-il sous le regard complice de cette dernière. Cette adhésion n’est cependant pas encore partagée dans la plupart des foyers béninois. Réticents à l’usage des méthodes de planification que sont le préservatif, la pilule, le collier, le DIU, les implants…de nombreux hommes continuent encore de freiner l’accès des femmes à ces moyens destinés à favoriser le plein épanouissement des familles.
Traditions et religions au cœur des réticences
« Personnellement, en tant que catholique, ma religion ne me permet pas d’utiliser le préservatif », explique Mathias Amoussou. D’un air serein, ce père de sept enfants, âgé d’une quarantaine d’années prend appui sur les réticences affichées par les autorités pontificales à l’usage de cette méthode, pour justifier sa position. Cette réticence s’observe aussi auprès de Bio Amoussa. « Je refuse à ma femme d’utiliser la pilule ou toute autre méthode à des fins de contraception parce que c’est Dieu qui donne l’enfant », confie-t-il, entre deux bouffées de cigarette. « Ces méthodes ne sont pas en harmonie avec mes convictions religieuses », poursuit ce fervent pratiquant de la religion musulmane. D’ailleurs, explique de son côté le tradi-praticien Dah Voglossou, « ces méthodes de Blancs ne nous conviennent pas. Pourquoi voulez-vous que nous ayons à employer le préservatif ou que nos femmes utilisent la pilule alors qu’elles vivent sous un toit où elles y sont pour avoir des enfants ? », interroge ce tenant des valeurs traditionnelles qui perçoit à travers ces méthodes des facteurs de promotion de l’infidélité dans les couples et de la prostitution au sein de la jeunesse. Dans une société béninoise où le taux d’analphabétisme atteint 80% des populations, de tels arguments sont en terrain fertile pour leur propension, selon le sociologue Yves Dah Lokonon. « L’enfant est une richesse dans notre société. Il n’y a pas lieu d’empêcher sa venue », explique, pour sa part, Marcellin Kougbé, un menuisier en service au quartier Zogbohouè de Cotonou avant d’avouer que « la semaine écoulée seulement, j’ai définitivement interdit à ma femme de continuer à rendre visite à notre voisine qui lui conseille d’utiliser des méthodes de contraception ». Ainsi, emmurés dans des considérations religieuses ou culturelles, nombre de chefs de familles se mettent en marge des nombreux bienfaits de l’utilisation des méthodes contraceptives auxquelles n’ont eu recours en 2011 que 7% des femmes béninoises, selon le Docteur Edgard O. Clédjo, Directeur exécutif de l’ABPF. Et pourtant, explique-t-il, « la planification familiale apporte le bonheur à toute la famille et à la société tout entière ».
Une recette pour l’épanouissement des hommes
« Vous ne pouvez pas imaginer mon bonheur depuis que ma femme et moi, avons décidé de planifier les naissances de nos enfants. Mes enfants ont une santé plus robuste et leur développement corporel est très appréciable », explique le sieur Félicien Orou avec un enthousiasme contagieux. « Si tous les chefs de familles pouvaient expérimenter au moins une des méthodes de contraception, j’ai la certitude qu’ils ne feraient plus obstacle à leur utilisation », renchérit cet agent commercial. Pour lui, en effet, « les hommes sont autant que les femmes, de gros bénéficiaires de l’espacement des naissances ». Le foyer Fandohan d’Agla Akplomey n’ignore pas ces bienfaits. A en croire le chef de cette famille, Eustache Fandohan, « depuis que ma femme a adopté le DIU, je la vois plus épanouie. Elle accomplit sans grande crainte ses devoirs conjugaux et nos rapports sont plus apaisés. En plus, elle mène son commerce et contribue aux charges de la famille ; ce qui me soulage énormément ». Pour lui, la planification constitue ainsi un véritable levier pour l’épanouissement des familles au Bénin. Cette observation trouve un écho favorable auprès du Dr Edgard Clédjo qui voit une prise de conscience croissante à travers la baisse du nombre moyen d’enfants par femme au Bénin de 7,1 en 1992 à 4,9 en 2011. Ainsi, à en croire le spécialiste, « la planification familiale est d’autant à adopter par les hommes qu’elle réduit le risque de mortalité des femmes dont 1500 meurent chaque année au Bénin des suites de complications liées à la grossesse et accroît la chance de survie des enfants ». Etudiant en faculté de Droit de l’Université d’Abomey-Calavi, Sosthène de Souza voit, pour sa part, la planification familiale comme un véritable rempart contre les grossesses non désirées auxquelles sont exposées, selon des statistiques du Ministère de la santé, 90% des femmes en âge de procréer. « Sans l’usage du préservatif et de la pilule, mon amie serait déjà victime d’une grossesse non désirée. Nos études seraient en conséquence déjà conjuguées au passé », explique le jeune homme de 25 ans. Aussi, se réjouit-il de l’existence de la Loi 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la Santé Sexuelle et de reproduction (SSR) qui favorise l’adoption de ces méthodes auxquelles 81% des populations ont accès dans les 873 formations sanitaires du pays. Pour renforcer cet intérêt croissant des hommes pour les méthodes contraceptives, la sensibilisation ainsi que la disponibilité et l’accessibilité des produits demeurent un enjeu pour les acteurs de la santé au Bénin. En attendant, feignant d’ignorer les regards indiscrets qui l’observent, le sieur Thomas Akowanou ne se prive d’offrir un baiser plein de câlins à sa femme en songeant à une vie familiale plus épanouie.
Jean Claude Dossa