Elles ont cours au Bénin, largement dans la partie Sud, l’usure et les cérémonies ruineuses. Pourtant, si la loi les interdit, les populations les ignorent royalement. Méconnaissance des textes, qui gagneraient cependant à être actualisés, ou simple défiance à l’autorité publique ? Sans doute un peu des deux…
Dans l’absolu, l’usure est admise et tolérée. Mais jusqu’à un certain seuil. C’est donc son abus qui est sanctionné. C’est la loi N°83-008 du 17 mai 1983 qui en fixe le régime. Elle pose que : « Constitue un prêt usuraire, tout prêt ou toute convention dissimulant un prêt d’argent consenti, en toute matière, à taux effectif global excédant, à la date à laquelle il est stipulé, de plus de deux tiers le taux maximum des intérêts débiteurs que les banques sont autorisées à appliquer à leurs concours ». Cela revient à dire que le taux du prêt usuraire toléré ne doit pas atteindre deux fois le taux maximum pratiqué en banque. Concrètement, tous calculs faits, le taux d’intérêt de l’usure ne saurait dépasser 1,66 fois celui fixé pour les banques ; soit par exemple si le taux d’intérêt bancaire admis est de 11%, pas plus de 18,33% pour l’usure.Sans doute à cause de l’imprécision ou des difficultés rencontrées dans la pratique pour la détermination du taux d’intérêt répréhensible, ou pour tenir compte de l’évolution, cette loi a été modifiée en 2003 par la loi N° 2003-22 du 11 novembre qui précise quelque peu la définition de 1983. Elle considère plutôt comme « prêt usuraire, tout prêt ou toute convention, dissimulant un prêt d’argent consenti en toute matière, à un taux effectif global, excédant à la date de sa stipulation, le taux d’usure. Le taux d’usure est déterminé par le Conseil des ministres de l’Union monétaire ouest africaine. Il est publié au journal officiel ou dans le journal d’annonces légales à l’initiative du ministre chargé des Finances ». De la lecture combinée de ces deux définitions, la seconde paraissant plus accessible, il semble se dégager que l’usure en elle-même est admise et que c’est son abus, la pratique de taux usuraire, qui est réprouvée. L’usure serait donc considérée comme un prêt normal entre particuliers, ou entre particuliers et personnes morales (y compris les banques ?) mais dont le taux peut être substantiellement relevé en raison des risques encourus par le prêteur du fait de l’insolvabilité ou de la mauvaise foi de l’emprunteur qui pourraient générer de véritables difficultés de recouvrement, voire l’incertitude. D’ailleurs le nouvel article 4 institué par la loi modificative de 2003, précise que « Le taux plafond tel que défini à l’article premier de la présente loi et au-delà duquel le délit d’usure est constitué, peut être majoré, pour certaines catégories d’opérations qui, en raison de leur nature, comportent des frais élevés de perceptions forfaitaires dont le montant sera fixé par le Conseil des ministres de l’Union monétaire ouest africaine sur proposition de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest ». Cela revient à considérer, concrètement, que le taux d’usure peut être supérieur à celui qui se déduirait littéralement de l’article 1er de la loi.
Souci d’encadrement
L’article 12 nouveau de la loi pose que « Le taux d’intérêt légal est, en toute matière, fixé pour toute la durée de l’année civile. Il est pour l’année considérée, égal à la moyenne pondérée du taux d’escompte pratiqué par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest au cours de l’année civile précédente. Il est publié au journal officiel, à l’initiative du ministre chargé des Finances». Quant à l’article 3, il précise en son premier alinéa que «Le taux effectif global d’intérêt conventionnel est le taux calculé en tenant compte de l’amortissement de la créance et auquel s’ajoutent les frais, les rémunérations de toute nature, y compris ceux payés à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt»; et modère en son second alinéa que «Toutefois, n’entrent pas dans le calcul du taux effectif global d’intérêt les impôts et taxes payés à l’occasion de la conclusion ou de l’exécution du contrat » ; ceux-ci incombant en principe au prêteur.La loi nuance aussi que les prêts accordés à l’occasion de ventes à tempérament sont considérés assimilés à des prêts conventionnels et, de ce fait, soumis aux dispositions de son article 1er (article 5).Cependant, s’agissant de prêt sur les denrées ou autres choses mobilières, et en cas de vente ou de troc à crédit, l’article 6 de la loi impose que « la valeur des choses remises ou le prix payé par le débiteur, en principal et accessoires, ne pourra excéder la valeur des choses reçues d’un montant supérieur à celui correspondant au taux d’intérêt maximum fixé à l’article 1er… »
Des peines encourues
Parce que l’usure est un délit, la loi organise sa répression. Ainsi, aux termes de l’article 7 de la loi du 17 mai 1983, « sera puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de cent mille à cinq millions de FCFA (100.000 à 5.000.000) ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque aura consenti à autrui un prêt usuraire ou apporté sciemment à quelque titre et de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, son concours à l’obtention ou à l’octroi d’un prêt usuraire. En cas de récidive, le maximum de la peine sera porté à cinq ans d’emprisonnement et à 15.000.000 FCFA d’amende ». Il affleure de cette disposition que le législateur considère l’emprunteur, dans une opération usuraire, comme une victime. C’est la raison pour laquelle la sanction ne vise que le prêteur, soit la partie économiquement forte. L’article 8 de la loi prévoit en sus qu’ «outre les peines fixées par l’article précédent, le tribunal peut ordonner la publication de sa décision aux frais du condamné dans les journaux qu’il désigne, ainsi que sous toute forme qu’il appréciera. La cessation provisoire ou définitive de toute personne morale qui s’est livrée ou dont les dirigeants se sont livrés à des opérations usuraires, assortie de la nomination d’un administrateur ou d’un liquidateur». Bien plus, l’alinéa suivant du même article 8 établit qu’ «en cas de cessation provisoire d’activités, le délinquant, ou l’entreprise doit continuer à payer à son personnel, les salaires et indemnités de toute nature auxquels celui-ci a droit ». Cependant, «la durée de cette obligation ne saurait excéder trois mois». Mais «en cas de récidive, la fermeture définitive sera ordonnée ».Les mêmes peines peuvent s’appliquer à «ceux qui, chargés à titre quelconque de la direction ou de l’administration d’une entreprise, société, association, coopérative ou autre personne morale, laissent sciemment toute personne soumise à leur autorité ou à leur contrôle contrevenir aux dispositions de la présente loi » (article 9).
Intérêt et prescription
Suivant l’article 10 de la loi, «lorsqu’un prêt est usuraire, les perceptions excessives sont imputées de plein droit sur les intérêts calculés…, alors échus et pour le surplus, s’il y a lieu sur le capital de la créance. Si la créance est éteinte en capital et intérêt, les sommes indûment perçues seront restituées avec intérêts légaux du jour où elles auront été payées ». Ainsi, l’emprunteur, considéré comme vulnérable, peut récupérer les débours excessifs qu’il aurait effectués au profit du prêteur. De plus, lorsqu’intervient une condamnation au paiement d’intérêt au taux de l’intérêt légal, celui-ci est majoré de moitié à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fut-ce par provision (article 13). Une façon pour le législateur de faire vivre à l’usurier nonchalant ce qu’il fait vivre à ces débiteurs ? En tout cas, pour mieux cerner les usuriers, la loi fait courir le délai de prescription du délit d’usure pour compter du jour de la dernière perception soit d’intérêt, soit de capital ou de la dernière remise de chose se rattachant à l’opération usuraire (article 11). Sachant que le remboursement d’un prêt usuraire peut s’étendre sur une longue durée, le souci du législateur apparaît ici, tant que durent les remises, en principal ou en intérêt, de cerner l’usurier.Si la loi traque l’usurier, il y a le bénéficiaire du prêt usuraire qui a généralement le temps de subir les remboursements exagérés, parfois sur de longues périodes. Or bien souvent, ces prêts usuraires ne servent pas à émanciper le débiteur de la pauvreté ou de la précarité. Ils lui servent plutôt à régler des problèmes ponctuels dont, parfois, les dépenses qu’il s’impose en cas de survenue de décès d’un proche. Il «achète de l’argent» pour y faire face, comme l’on dit par ici. Et pourtant, en ce domaine aussi, la loi a entendu organiser les choses pour prémunir les populations des dépenses exorbitantes.
Cérémonies ruineuses : attention aux dépenses excessives !
C’est l’ordonnance N° 11 P.R./MJL publiée au Journal Officiel le 15 mai 1967 mais entrée en vigueur le 1er juillet de la même année qui organise la répression des dépenses excessives à l’occasion des cérémonies familiales. Apparemment, la pratique qui a cours aujourd’hui à l’occasion des cérémonies visées, comportait déjà ses mêmes travers en ces temps-là. Au point d’obliger l’Etat à s’y pencher. L’énergie que véhicule cette ordonnance laisse deviner tout le désordre qui prévalait. En tout cas, son article 2 prévoit que « Tout rassemblement, à l’occasion d’événement autres que les mariages et les décès, doit prendre fin au plus tard à vingt-et-une heures lorsque plus de dix personnes adultes ne vivant pas habituellement avec l’organisateur sont appelées à y participer. Le montant total des dépenses en denrées, boissons et services de toute nature, effectuées tant par l’organisateur que par les participants, ne peut être supérieur à dix mille francs ».Quant à l’article 3, il ordonne que «Tout rassemblement à l’occasion d’un mariage doit, dans tous les cas, prendre fin au plus tard à vingt trois heures. Le montant total des dépenses en denrées, boissons et services de toute nature, effectuées tant par l’organisateur que par les participants, ne peut être supérieur à vingt mille francs».En outre, l’article 4 édicte : «Les décès et inhumations ne peuvent donner lieu à aucun rassemblement autres que ceux prescrits par les rites religieux tendant à manifester l’affliction, causée par la disparition du défunt. Tout rassemblement ayant pour effet des réjouissances à cette occasion est interdit. La consommation de boissons alcoolisées au cours des rassemblements autorisés ou non autorisés est strictement interdite. Les personnes dont la présence n’est pas indispensable aux proches parents du défunt ne peuvent séjourner plus de vingt-quatre heures consécutives après l’enterrement dans la maison mortuaire ou dans ses dépendances ».Rapporté au contexte d’aujourd’hui, cela fait peut-être rire. Mais l’esprit de la loi demeure même si elle avait, peut-être hier, un relent politique. Pas d’exhibition ni d’abus à l’occasion de ces cérémonies. Seules particulièrement attendues aux cérémonies mortuaires et dans la sobriété, les personnes qui y ont effectivement intérêt. Point de rassemblement grandiose comme on en voit souvent aujourd’hui. Et si cette ordonnance devait être appliquée aujourd’hui, on mettrait tous les Béninois en prison, relève le juriste Serge Prince Agbodjan. Qui rappelait déjà dans une réflexion publiée en 2010 par la revue «Droit et Lois» qu’elle prévoit une amende de vingt mille à deux cent mille francs et un emprisonnement d’un mois à trois mois à l’encontre de « …quiconque aura, dans les cas prévus aux articles 2 et 3, procédé ou sciemment contribué à des dépenses dont le montant excède le maximum légal, c’est-à-dire plus de dix mille FCFA pour les événements autres que les mariages et les décès et plus de vingt mille FCFA pour le mariage ; quiconque aura, dans les cas prévus à l’article 4, organisé une manifestation interdite ou servi des boissons alcoolisées au cours d’un rassemblement autorisé ou non autorisé ; quiconque aura séjourné dans la maison mortuaire ou ses dépendances, en infraction à l’article 4, alinéa 3 ou aura autorisé ou facilité ledit séjour ; quiconque sera trouvé en état d’ivresse manifeste sur les lieux d’une cérémonie familiale. » et que la juridiction de jugement peut en plus ordonner la publicité autour de sa décision. Tout ceci pour signifier qu’ « il est admis par la doctrine et les nombreuses jurisprudences qu’une loi ne meurt pas par désuétude ». En clair, selon le juriste, quoique désuète en ses dispositions, cette ordonnance reste d’application. On imagine alors si les forces de sécurité devaient écumer les lieux de fêtes diverses chaque week-end… Voila pourquoi le juriste appelle le législateur à abroger cette ordonnance ou à l’actualiser. Car, analyse-t-il, « la nécessité de réprimer les cérémonies ruineuses est encore d’actualité. C’est pourquoi nos législateurs doivent éviter aux Béninois d’être des délinquants juridiques… »