La ville de Grand-Popo, située dans le département du Mono s’impose aujourd’hui comme un pôle de production local de produits maraîchers. Autour de cette activité, une main d’œuvre forte et experte travaille pour satisfaire la demande en légumes. Hommes et femmes, adultes et jeunes s’y adonnent avec dévouement. Si elle est prenante, l’activité de maraîchage n’est pas moins rentable…
Par Maryse ASSOGBADJO
Grand-Popo. Les planches de légumes qui s’étendent sur de grandes surfaces renseignent de l’importance que prend le maraîchage dans cette ville bercée par la mélodie de l’océan qui la borde. C’est dimanche. Il est 11h09 sur le site de maraîchage de Zévilatindji. La ville est calme mais le croisement régulier des véhicules renseigne que c’est une ville qui ne se repose presque pas. C’est le jour de repos par excellence pour la plupart des travailleurs qui, à défaut d’aller au culte, s’offrent du repos après une semaine de travail. Mais le terme "repos" n’existe pas dans le vocabulaire des maraîchers. Tous les jours sont consacrés au travail et le suivi des planches constitue la principale occupation et la priorité. Pas question donc de délaisser les planches pour prétendre à un quelconque repos le dimanche.
L’ambiance observée ce jour-là renseigne d’ailleurs bien à ce sujet. Ici, le maraîchage éveille plutôt les sens. Les maraîchers, organisés en coopératives, sont répartis sur divers sites dont la superficie s’étend sur plusieurs hectares qu’ils exploitent régulièrement, compte tenu de la demande forte. Les récoltes sont convoyées vers les pays voisins tels que le Nigeria, le Togo et le Ghana. «Nous ne saurions abandonner les légumes au profit de l’église, au risque de voir mourir nos récoltes», nous souffle Donatien Zagatin, jeune maraîcher sur le site.
L’expertise de tous, femmes et hommes, petits et grands est mise à contribution pour la culture et la récolte. Sur le site, convivialité et joie se conjuguent avec dynamisme, endurance et méthode pour le bonheur des plants mis en terre et pour la satisfaction des besoins en produits maraîchers des populations.Autour de l’entreprise, tous s’affairent à la tâche, chacun y allant de sa spécialité. Les uns sont préposés à l’arrosage des plantes, les autres s’emploient à défricher les terres envahies par les herbes.
Le système d’arrosage nécessite également une méthode. Lequel est constitué d’un puits d’où est tirée l’eau par une motopompe. En actionnant cette dernière, les plus jeunes peuvent se servir de l’appareil pour arroser suffisamment et plus facilement une surface de semence beaucoup plus étendue et ainsi, décupler leur productivité. Pendant ce temps, certaines catégories d’acteurs s’emploient à la récolte des cultures et d’autres à leur convoyage pour la vente. C’est un travail à la chaîne qui occupe parfois plusieurs membres d’une même famille. Pendant les congés et les vacances scolaires, la main-d’œuvre est davantage renforcée, nous explique-t-on. La fatigue, la pluie, le soleil et autres intempéries semblent être relégués au second rang, tant l’ambiance quotidienne est à la bonne humeur. La finalité étant de travailler pour la beauté des produits et pour combattre l’extrême pauvreté au Bénin et dans la sous région, a confié Félix Kassa, l’un des responsables du site.
Et mieux, la terre semble favorable à toutes les cultures : oignon, tomate, concombre, laitue, betterave, carotte, poivron, chou et bien d’autres sortes de légumes, utiles à la consommation. Sur le site, la culture de l’oignon constitue l’activité la plus prisée. Les raisons de ce choix, tiennent notamment aux intérêts pécuniaires qui découlent de la vente, explique Félix.
Le maraîchage : un métier comme tout autre
La terre ne ment pas, dit-on. Pour Félix Kassa, la fidélité à la terre paye. Celui qui s’applique vraiment à ce métier en reçoit les retombées positives, explique-t-il. Pour cet homme qui avoue ne rien envier à un fonctionnaire, le maraîchage représente toute sa vie et celle de sa famille. «Nous vivons de ce métier et nous ne nous plaignons aucunement. Avec la pression démographique, les demandes deviennent de plus en plus fortes. A ce jour, aucune mévente n’a été encore enregistrée sur le site. Nous réalisons de bonnes recettes grâce à ce métier», se réjouit-il. Le maraîchage est si bénéfique que Félix pense déjà à léguer cet héritage à ses enfants. «C’est mon père qui m’a passé la main et à mon tour, je dois également passer le témoin à mes enfants», envisage-t-il avec assurance. Ici, le maraîchage, loin d’être un simple métier, constitue une vaste entreprise qui emploie deux types de travailleurs : les occasionnels et les permanents. Les premiers servent dans les travaux secondaires, tels que le désherbage, l’arrosage. Ils sont rémunérés sur la base de l’ancienneté, de l’efficacité et du rendement.
Ainsi le revenu journalier varie entre 1500 et 2000 FCFA, pour l’ouvrier qui finit sa part du travail quotidien. Le salaire de base des permanents varie entre 18 000 et 21 000 FCFA. Revenu qui s'accroît systématiquement à partir du troisième mois d’embauche. Les mieux lotis se retrouvent au-dessus du Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) qui est aujourd’hui fixé à 40 000 FCFA. Félix Kassa emploie, à lui seul, au moins une vingtaine d’agents au titre de la main d’œuvre permanente.
Dame Assanah Koundé est, quant à elle, un agent occasionnel. «Au départ, raconte-t-elle, je vendais à manger. Au fil du temps, j’ai dû abandonner cette activité au profit du maraîchage à cause des risques auxquels j’étais exposée». Ne disposant pas d’une autre alternative pour le moment, cette femme, la cinquantaine environ, a décidé de se servir d’une ressource plus ou moins disponible: la terre. Et elle se satisfait du fait qu’avec le maraîchage elle arrive à joindre les deux bouts. Cependant, sa satisfaction est mesurée, nuance-t-elle, parce que le fruit de son labeur ne lui suffit pas vraiment pour se sortir de la pauvreté.
N’est pas maraîcher qui veut
Tout n’est donc pas si rose dans l’univers des maraîchers de Grand-Popo. Les difficultés inhérentes à tout métier s’imposent également à eux. Il arrive parfois que les cultures soient confrontées aux affres de la nature. «Généralement ce sont les parasites, tels que les nématodes, les chenilles, les mouches blanches, sans compter les effets dévastateurs des oiseaux, qui viennent détruire toute notre récolte, ce qui nous donne du fil à retordre», déplore Félix Kassa. Dans la même logique, poursuit-il, «nous sommes confrontés parfois à la mévente, lorsque le marché est saturé. Et pendant les périodes de contre-saison, nous sommes obligés de produire très peu pour sauver les récoltes».
Dans ces cas de figure, dit-il, «Nous cultivons très peu, afin de ne pas nous abandonner à l’oisiveté». A côté de quelques arrosoirs modernes, les plus jeunes se servent également d’autres en forme de tuyaux qu’ils tiennent à bout de bras pour arroser leurs cultures deux fois par jour. Ce qui fait qu’à la fin de la journée, ils sont totalement épuisés.En dehors de ces difficultés, le maraîchage a aussi ses exigences. A en croire Félix Kassa, «ne devient pas maraîcher qui veut». On le devient encore moins du jour au lendemain. «Pour s’imposer dans le domaine, il faut avoir suivi une formation en bonne et due forme auprès des grands maraîchers. Et disposer de la terre, d’une installation d’irrigation, avant de penser au financement et à la main d’œuvre», enseigne-t-il. Toutefois, le maraîchage revêt également un caractère sensible et délicat.
Pas question de confier certaines tâches à des mains peu qualifiées, au risque de détruire les plants mis en terre, explique encore Félix. Qui poursuit : «Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, c’est une filière bien organisée par les gestionnaires de site qui ont élaboré une feuille de route bien précise. C’est d’ailleurs ce qui les motive à l’œuvre. En associant les femmes et les enfants, il s’agit pour nous de produire de sorte à augmenter les revenus des ménages locaux, à combattre la déperdition scolaire, la délinquance juvénile et l’exode rural.
Le tout, afin de lutter contre l’insécurité alimentaire». Il est question en plus, développe notre interlocuteur principal, «de protéger les femmes contre les maladies liées au contact direct et prolongé avec l’essence, d’améliorer l’alimentation et la santé des populations locales, de stimuler et d’encourager toutes les couches à s’investir davantage dans la production maraîchère».
De fait, analyse-t-il, «les femmes qui s’adonnent au maraîchage sont plus autonomes et capables de contribuer de manière plus substantielle aux charges ménagères. Les écoliers et élèves ne quittent plus les bancs pour défaut de paiement de la scolarité et la population se nourrit bien et se porte mieux.Toutes choses qui confirment que le maraîchage n’est pas un sot métier.