5 ans ! C’est le délai donné par l’ancien député de la 5ème législature, Janvier Yahouédéou, pour que les Béninois se rendent compte de leur erreur avec le vote de la loi 2009-10 portant réalisation du Rena et de l’établissement de la Lépi. C’était le 13 mai 2009. Devant les 82 autres députés, il a été le seul à n’avoir pas voté pour cette Lépi. Face au blocage total constaté, quelle solution préconise-t-il aujourd’hui pour sortir le pays de l’impasse ? Votre journal a de la mémoire. Voici l’intégralité de ses explications de vote négatif.
« Monsieur le Président, je n’ai n’ai pas voté pour cette loi sur la Lépi. J’ai été seul à me comprendre, mais que puis-je, seul, face à l’avis contraire de toute une Assemblée nationale ? Monsieur le Président, je voudrais rappeler que c’est le 19 février 2009, à Bohicon, au Congrès du Parti Undp de M. Zinsou, ancien président de la République que j’avais tiré la sonnette d’alarme, pour dire qu’une bonne Lépi n’était pas possible pour 2011.
J’ai mené à mes frais des tournées de sensibilisation, des communications dans la presse écrite, sur les radios et télévisions pour me faire comprendre. Après tous ces investissements, je me rends compte aujourd’hui que tous mes efforts n’ont été que des cris dans le désert.
Je n’ai pas voté pour cette loi parce qu’avant de mettre en valeur un produit, on doit tenir compte de l’environnement, du contexte et de la période. Vous ne verrez, par exemple, pas un fabricant de glace ou de glaçon, faire de la publicité en plein hiver !
Du point de vue politique, on devrait lancer le processus de mise en place de la Lépi soit au début du mandat d’un nouveau président de la République, au moment où, il n’a pas encore pris goût au pouvoir ; soit au cours d’un second et dernier mandat. Mais vous ne pouvez pas demander à un président, candidat à sa propre succession, d’organiser en Afrique un processus comme la Lépi sans qu’il ne veuille tirer d’une manière ou d’une autre, le drap de son côté. Je ne dis pas que c’est le cas du président Yayi Boni. Mais c’est humain que ses opposants émettent des doutes sur la sincérité de ce qui se fait. Chers collègues, faisons très attention, car ça n’arrive pas qu’aux autres. Nous disons très facilement ‘’Dieu aime le Bénin, Dieu aime le Bénin’’. Qu’est-ce que les autres pays ont fait pour que Dieu ne les aime pas ? Ce sont les Béninois qui aident Dieu à aimer le Bénin. Ce sont les Béninois eux-mêmes qui inspirent la paix, avec des hommes comme feu Monseigneur de Souza, Hubert Maga, les présidents Nicéphore Soglo et Mathieu Kérékou.
De grâce, prenons-nous au sérieux. Si ça pète, c’est sur vos têtes que vous verrez le président Yayi Boni s’en aller en hélicoptère. Mais pour nous autres, c’est avec des postes téléviseurs sur la tête et des nattes sous les bras que nous allons nous retrouver. Je ne vois pas pourquoi on tient forcément à une Lépi pour 2011, si on veut être sincère. En 1991, il y a eu des élections présidentielles à un moment très sensible de la vie politique de notre pays. Il en a été de même en 1996, 2001, 2006. Même le président Yayi Boni a été crédité de 35% des suffrages au 1er tour de la présidentielle de 2006, sans avoir des représentants à la Céna, puisqu’il n’était pas politique. Si de grands partis comme la Rb, le Psd, le Prd, qu’on met à l’indexe comme fraudeurs potentiels aujourd’hui, n’ont pas pu obtenir plus de 25% des électeurs à l’époque et qu’un nouveau a pu faire 35%, c’est qu’il faut arrêter de se faire peur et de désorienter le peuple. La Lépi oui ! Mais pas une Lépi taillée sur mesure et à gros risques. Nous n’avons pas le temps matériel pour organiser une bonne Lépi, crédible pour 2011.
Les audiences foraines organisées par le gouvernement n’ont tenu compte que des enfants âgés de 15 ans et plus. Mais ceux qui avaient 14 ans en 2007 et qui n’avaient pas d’actes de naissance auront 18 ans en 2011. Que faire ? La conséquence est que pour les élections présidentielles et législatives de 2011, puis communales de 2013, seuls les Béninois ayant un acte de naissance pourront obtenir leurs cartes d’électeur et pouvoir voter. Ceci pose le problème du Ravec (Recensement à vocation état civil) précédemment organisé par le gouvernement du président Yayi Boni. Est-ce qu’un bilan du Ravec a été fait ? Combien de Béninois ont été effectivement enregistrés, et ce par Commune et Département ? Que faisons-nous des milliers d’étrangers qui sont devenus Béninois du jour au lendemain ? Est-ce que tous les Béninois de souche, habitués aux votes ont obtenu leurs actes de naissance ? Tout ceci conditionne la faisabilité de la Lépi pour 2011, à cause des raisons de transparence politique avant les difficultés techniques liées au Réna (Recensement national approfondi) et au nettoyage des listes.
Je tiens à insister et dire au peuple béninois que, dans les pays développés, un projet d’une telle envergure politique, nécessite une phase pilote avant une mise en œuvre à grande échelle. La phase pilote permet de se rendre compte des difficultés et des imprévus dans la conception du projet.
Sur le plan technique
Je pose les problèmes liés aux compétences techniques disponibles et aux délais. Pour la cartographie censitaire, il a été prévu un délai de mise en place de 4 mois au lieu des 12 prévus par les experts. Ce qui est aberrant. Puisqu’on doit observer à chaque étape une transparence totale. Le plus inquiétant, sera le mode de transfert des informations des centres d’enregistrement vers le serveur central situé à Cotonou. Par quel canal ? Pour l’instant, ce qui est prévu est le transfert par Cd ou cartes mémoires, au lieu d’une mise à jour en temps réel, ou en différé, par transfert téléinformatique ou par satellite.
A tout cela s’ajoutent les problèmes liés à l’énergie. Les batteries des kits d’enregistrement ont une autonomie réelle de 5 heures ou 6 au plus. A ce jour, des Communes entières comme Pèrèrè ne sont pas du tout ou peu électrifiées. D’autres comme Ouinhi, Zagnanado, Zakpota, etc sont électrifiées au quart.
Pour terminer, je m’inquiète sur la sincérité des dédoublonnages. La biométrie offre des avantages mais beaucoup d’inconvénients. En dehors de la qualité des équipements de capture, il faudra se préoccuper de la compétence des agents recenseurs des informaticiens, de l’honnêteté et de l’impartialité politique des personnes chargées des validations des traitements post-inscriptions. Autant de questions à régler en combien de temps ?
On a largement le temps d’une bonne élection classique et laisser le processus de la Lépi en cours se dérouler dans de meilleures conditions.
Les députés ont voté pour cette Lépi. Devant l’histoire, j’ai pris mes responsabilités en votant contre. Mais je suis sûr que les collègues ne savent pas l’erreur grave qu’ils viennent de commettre. En mon âme et conscience, j’ai voté contre cette Lépi et je donne rendez-vous au peuple béninois dans 5 ans. On n’aurait pas fini avec les désastres liés à cette Lépi. Que Dieu nous protège.
Je vous remercie. »
Malheureusement, nul n’est prophète chez soi !
Janvier Yahouédéou, avant d’être acteur et homme politique, est d’abord un professionnel de l’informatique. Il fait partie des toutes premières grandes figures du Bénin à manipuler avec aisance, l’outil informatique. Fondateur du Groupe « Master Soft », Janvier Yahouédéou constituait pour la 5ème législature une véritable expertise pour la réalisation du Recensement national approfondi (Rena) et de l’établissement de la Liste électoralle permanente informatisée (Lépi). Sans fausse modestie, l’Assemblée nationale, au risque de se tromper, comme on s’en aperçoit aujourd’hui, devrait même lui confier la gestion du projet de réalisation du fichier électoral parce qu’il est techniquement au point. Dans l’exposé des motifs de son vote contre la loi 2009-10 portant réalisation du Réna et de l’établissement de la Lépi, Janvier Yahouédéou a démontré avec méthode et minutie, comment le processus devrait être conduit. Pour lui, la réalisation de la Lépi doit couvrir une période de 5 ans. Il a souligné les moments propices au démarrage du projet et a précisé le temps matériel à consacrer à chaque phase. Cette démonstration cadre d’ailleurs avec les méthodes classiques de conception et de mise en œuvre de tout projet de grande envergure. Janvier Yahouédéou serait un député français, que sa prédication d’alors aurait été prise très au sérieux. Il aurait retenu l’attention de la classe politique et de ses collègues parlementaires du fait de ses compétences pointues dans le secteur de l’informatique. Mais, puisque nul n’est prophète chez soi, sa compétence a été reléguée au second rang. Et ainsi, des godillots ont induit en erreur les autres députés pour qu’ils engagent le Bénin dans un processus insondable et sans lendemain. Après un lustre, il est regrettable de constater que l’histoire donne raison à Janvier Yahouédéou, qui, pourtant, l’avait prédit avec précision et finesse. C’est en amont qu’il fallait résoudre les problèmes qui se posent aujourd’hui au Conseil d’orientation et de supervision de la Lépi dans la confection du fichier électoral moderne. Il fallait consacrer le temps nécessaire afin de dépenser moins. C’est à ce prix que la démocratie béninoise se porterait à merveille.