Nous visitons cette semaine le roman Le dernier refuge de l’Algéro-canadien Salah Benlabed qui visite à sa façon une page méconnue de l’histoire en faisant se côtoyer des personnages aussi bien fictifs que réels. Il nous de parle guerre et c’est dans cet univers qu’il fait habilement acter la jeune Houria, innocente bergère arrachée à ses montagnes et propulsée malgré elle au cœur du conflit. Le dernier refuge est paru en 2011 aux éditions de la Pleine Lune au Canada.
Stephens Akplogan, Ecrivain-Biographe
La guerre et les massacres qu’elle engendre n’ont pas empêché que les yeux habitués à contempler la beauté du charme et le cœur dont le destin naturel est de se couver de sentiments plus qu’affectueux d’aller s’approvisionner au comptoir des émotions fortes. Houria est prise d’amour pour son protecteur Moumen qui n’est pas indifférent à la beauté de cette femme toujours éclatante malgré son deuil
Mais dans l’attente éprouvante de Houria et la réticence de Moumen, c’est la culture de ce peuple, les ressorts des codes qui régissent l’art de l’amour et de la séduction que Salah Benlabed met en évidence.
Aujourd’hui, un vent froid fait frissonner les branches entremêlées aux mèches fantomatiques d’un épais brouillard ; quelques flocons de neige tourbillonnent dans le ciel de la forêt muette…
Vos montures nerveuses s’emballent à la moindre hésitation, vous obligeant à garder le silence ; un silence qui accroit l’angoisse et la nervosité et que tu aimerais voir brisé par les mots que tu espères ou un geste, un simple et clair regard… Tu en fais la prière à Dieu et implores le Destin…
Mais il n’y a pas plus de destinée imposée au bébé qui nait qu’il n’y en a pour un personnage de roman ! Et même en supposant que Moumen t’ait aimée dès le premier jour, il ne peut te laisser deviner ses sentiments : dans sa position de protecteur, devant ta fragilité et ton isolement, son esprit chevaleresque lui interdit de profiter de la situation. Quant à toi, comme femme de ce pays, tu ne peux lui monter un quelconque intérêt : tu es astreinte à l’attente et à la retenue ! N’a-t-on pas d’ailleurs dans tes montagnes l’habitude de ce dicton : « N’attends rien de personne et tu seras comblée par la plus petite miette », aussi Moumen se cantonne à son rôle de chef ou de médecin, laisse-le te guider, te soigner.
Montre-lui tes plaies ; ouvre-lui ton cœur et tu verras.
Alors demain ?
C’est bien, Houria, aujourd’hui tu t’es faite belle ! Tu rayonnes ! Ton khôl rend tes yeux si brillants et si vifs que Moumen aimerait certainement vivre dans leur lumière ! Le souak dont tu as frotté tes dents doit lui donner envie de t’embrasser ! As-tu noté que ce matin, même s’il ne t’a fait aucun compliment, il a tout de même suggéré : « Houria, tu devrais mettre fin à ton deuil et penser à l’avenir. Regarde ceux qui t’entourent et dont tu ne sais pas qu’ils t’aiment… Quand à ceux que tu as perdus, ne les oublie pas et patiente ; tu les retrouveras au paradis de Dieu.
Après ces mots, étrangement, tu es devenue encore plus impatiente et même parfois agressive.
La déception d’un cœur qui attend est terrible. Houria espérait avoir les faveurs du cœur de Moumen mais elle n’avait que son attention, une attention dont la teneur sous la plume indiscrète du romancier était déjà l’attention d’un cœur aimant. La jeunesse, l’inexpérience de la jeune fille l’empêchent d’en discerner la lueur. L’auteur nous mène dans un contexte de guerre où les conflits de toute nature et de toute cause se jouent de nos humeurs et sensibilités mais ironie du sort ils ne nous empêchent pas de ressentir et de désirer le regard de l’autre se poser sur nous. Les sentiments de la jeune Houria malgré son deuil et ses tribulations sont légitimes mais son éducation et sa culture semblent lui imposer une retenue certaine devant l’envie de se rendre à la passion qui poussait dans son cœur. On pourrait aller jusqu’à penser que l’état de non droit qu’autorise le contexte de guerre et de conflits relaté par Salah Benlabed n’est pas une excuse suffisante pour laisser libre cours à ses envies. L’éducation et la tradition deviennent là la mesure de démesure de nos passions intimes.
Quel regard porter sur ces institutions sociales qui ont le destin de nous armer pour l’équilibre de notre vie avec notre existence ?