(Ou nous allons à la concertation ou nous donnons la main au chaos)
Plus de doute. Les élections communales et locales n’auront pas lieu avant 2015. Le cercle des présidents des institutions de la République à l’exception du président de l’Assemblée nationale, Mathurin Nago a, de façon tacite, demandé aux populations de prendre leur mal en patience en ce qui concerne les élections communales et locales qu’elles attendent depuis mars 2013. Une requête qui depuis hier a du mal à être acceptée par bon nombre d’électeurs qui, depuis plus d’un an, désespèrent de ne pas renouveler leurs conseils communaux. Entre suspicions, désapprobation, dégoût et compréhension, les commentaires vont bon train au sein de la classe politique et de la société civile dans sa large composante. Lazare Sèhouéto est de ceux-là qui pensent que trop, c’est trop. Pour le parlementaire, les présidents des institutions de la République outrepassent leurs prérogatives. Pas plus que ça. En effet, constate-t-il, aucun avis n’est sollicité, ni des partis politiques, ni des forces sociales encore moins de la représentation nationale. Alors, s’interroge-t-il, quelle garantie est offerte pour que les délais qu’ils ont avancés, bien sûr au sein du cercle des présidents d’institutions de la République présents au conclave du palais de la
Marina soient respectés ?
Au vu des nombreuses promesses non tenues, il n’y a pas de risque à dire aucune. Et même des députés de la majorité présidentielle à l’instar de Soulé Sabi Moussa, quoique soutenant les présidents des institutions dans leur logique de report des élections, ont la sagesse d’appeler à la concertation afin de s’assurer de la volonté des uns et des autres d’organiser ces scrutins tant attendus. D’ailleurs, la vérité des présidents des institutions dont Ousmane Batoko s’est fait le porte-parole, n’était qu’un secret de polichinelle. Le député de la majorité présidentielle, Chabi Sika, membre du Comité d’orientation et de supervision pour la correction de la Liste électorale permanente informatisée (Cos-Lépi) avait, il y a à peine deux semaines, affirmé à qui voulait l’entendre que les élections à la base ne se tiendraient pas en 2014. Les faits lui donnent aujourd’hui raison. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’opposition au travers des sorties médiatiques comme celle de Me Adrien Houngbédji lors de son dernier passage sur Zone franche de Canal 3 s’est insurgée contre les incessants reports qui en définitive peuvent faire le lit d’autres plans machiavéliques.
Et si plan machiavélique il devait y avoir, ce serait sans le président de l’Assemblée nationale et deuxième personnalité de l’Etat, Mathurin Nago. Contrairement aux habitudes, le président Nago n’a pas été invité par le président de la République, Boni Yayi pour donner un ‘‘semblant’’ de légalité au report des élections communales. La suspicion, les intérêts divergents puis l’adversité politique étalée au grand jour à Bopa n’ayant pas résisté à une complicité de 8 ans, personne ne doit aujourd’hui s’étonner de l’écartement de Nago d’un jeu qui au finish ne profite qu’au seul initiateur des rencontres informelles entre présidents des institutions de la République.
Les oreilles de Nago devenues carrément indiscrètes et ses propos de plus en plus virulents contre la gestion politique et la gouvernance instaurée au sommet de l’Etat, il n’y avait pas de quoi lui faire confiance et qu’il ait été le bienvenu à une rencontre où, sans doute, l’issue des échanges est décidée par une seule personne. Donc, il n’y a pas de quoi s’étonner de l’absence de Nago à la réunion qui a débouché sur le report des élections communales.
A quel titre Ousmane Batoko a-t-il annoncé le report des élections communales et locales ? Certainement pas au titre de président de la Cour suprême, ce qui équivaudrait à une grave méconnaissance des attributions constitutionnelles assignées à cette institution de la République. En effet, la Cour suprême est la plus haute juridiction de l’Etat en matière administrative, judiciaire et des comptes. Elle est également compétente en ce qui concerne le contentieux des élections locales. Elle veille au respect de la légalité en vue de l’enracinement de l’État de droit et de la consolidation de la démocratie. Voilà ce que nous enseigne la loi constitutionnelle. Dès lors, l’on veut bien croire que la carapace ‘’des institutions de la République’’, qui par ailleurs ne répond à aucune logique de la Constitution du 11 décembre 1990, ne servira pas longtemps à couvrir et à justifier la violation de la loi et que le président Batoko n’a pas mesuré la portée de son acte.
L’honorable Candide Azannaï, avait prêché dans le désert quand il déclarait contraire à la loi fondamentale, le conclave périodique des présidents d’institutions. A la croisée des chemins, même l’aveugle peut désormais se convaincre de ce que cette initiative n’était pas anodine, mais préparait l’opinion à accepter des verdicts de présidents d’institutions contraires à la Constitution, à l’image de cette déclaration de Batoko : ‘’il n’est pas possible d’organiser les élections avant la fin de cette année 2014’’. Le plus surprenant, c’est que le président de la Cour suprême se fonde sur des contraintes légales, qui justifieraient la non organisation des élections, qui en elle-même est une violation des textes. Rien à dire, c’est sûrement une des astuces du génie béninois. Mais l’on peut toujours s’interroger.
Revient-il aux présidents d’institutions d’œuvrer ou de faire en sorte que les élections s’organisent correctement et surtout à échéance constitutionnelle comme l’affirme celui qui a fait office de porte-parole des présidents d’institutions ? Visiblement, le vice-président du Conseil supérieur de la magistrature a encore beaucoup à apprendre de la loi constitutionnelle. Peut-on se permettre de douter des capacités intrinsèques de l’homme ? La réponse est négative à plusieurs égards : Le président de la Cour suprême est nommé (…), parmi les magistrats et les juristes de haut niveau, ayant quinze ans au moins d’expérience professionnelle par décret pris en Conseil des ministres. Ousmane Batoko devrait donc savoir que seul le Chef de l’Etat est habilité à convoquer le corps électoral et en cette matière, les présidents d’institutions n’ont aucune autorité légale à ‘’faire en sorte que les élections s’organisent correctement et à échéance constitutionnelle’’. Le président Kérékou avait donné la leçon en 2006, lors du second tour de l’élection présidentielle en convoquant le corps électoral, pour pouvoir respecter le délai fatidique du 6 avril 2006. Et les Béninois étaient allés aux urnes, bien que le délai entre le premier et le deuxième tour ne fut pas respecté. Le peuple tient à sa démocratie et Batoko devrait le savoir. La période révolutionnaire est loin derrière nous, et bien qu’on soit des témoins de cette époque, on peut toujours s’éclairer à l’aune de la démocratie. Heureusement, l’Assemblée nationale se démarque déjà de cette conspiration contre la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.
Maintenant, il doit être clair que la faute des reports incessants ne doit pas être orpheline. Le premier responsable est le Cos-Lépi qui vient pour une énième fois, prouver que c’est à son niveau que le bât blesse. En effet, cet organe n’est jamais parvenu à respecter les différents chronogrammes fixés. Septembre est passé comme si de rien n’était. Novembre s’approche et d’ores et déjà, les Béninois savent à quoi s’en tenir. Le Cos-Lépi ne prend décidément pas assez de précautions avant de faire des promesses. Car, promettre sans tenir, c’est très grave pour une institution qui a un rôle capital à jouer dans l’organisation des élections.
C’est le moment de le dire. Le report sine die des élections communales est aujourd’hui, quoiqu’on dise, une grosse erreur. En l’absence de contrainte, de loi, il n’y a pas de volonté et en quoi peut-on incriminer celui qui n’a aucune contrainte de faire vite et qui peut prendre tout son temps ? En rien. Beaucoup se rendent compte de plus en plus que les députés, au lieu de reporter sine die les élections locales, devraient en principe fixer une date butoir afin d’amener les acteurs à mettre tout en œuvre pour respecter le délai. Mais, avec ce qui se passe, c’est l’incertitude totale.
Bref, tout le monde est coupable, même la société civile qui n’a pas assez grogné pour faire changer les choses. En effet, rien ne prouve qu’on ira aux élections communales avant les législatives de mars 2015. Ce n’est pas exagéré de dire qu’à l’allure où vont les choses, il est possible que les législatives qui sont des élections constitutionnelles passent avant les communales régies par une loi organique. Et si avec le cafouillage qui se dessine, on n’y prend garde, on aboutira à coup sûr à un chaos.
Les implications du report des élections
La situation qui se présente ne sera pas sans conséquences sur la vie sociopolitique nationale. Si « Techniquement, physiquement et matériellement, on ne pourra pas organiser les élections à la fin de l’année 2014 », il serait difficile d’ouvrir une nouvelle année avec des élections aussi importantes que les communales et les locales dont les contentieux relatifs au précédent scrutin n’ont pas été totalement vidés jusqu’à la fin de l’actuelle mandature des maires. C’est la deuxième fois que le Bénin va connaître de l’organisation de ces élections. La première fois, sous l’ère de Pascal Todjinou, alors président de la Commission électorale nationale autonome (Cena), avait été une rude épreuve. Maintenant, organiser une seconde fois ces élections dans les conditions actuelles, lorsqu’on sait que la même Cena qui va organiser les communales et les locales en janvier sera encore au front pour organiser les législatives deux mois après, c’est-à-dire en mars, il y a de quoi s’inquiéter.
Qui ne sait pas que les élections communales et locales sont des élections à plusieurs tours ? Donc, bien malin qui pourra dire ce qui adviendrait lorsque la thèse du couplage va se préciser. Ceci ouvrira sans doute la voie aux protestations et va créer indubitablement des tensions. Aussi, de potentiels candidats seraient-ils privés d’affronter les élections sur deux fronts. De quel temps vont disposer la Cour suprême et la Cour constitutionnelle chargées respectivement de connaître des contentieux des communales et des locales d’une part, et des législatives d’autre part ? Des citoyens se sentiront lésés à cause de la restriction qu’induirait le couplage. Au finish, c’est un imbroglio qui va prendre place et va nourrir la tension.
La concertation ou le chaos
Alors, il ne reste aux Béninois que deux voies. Soit, chacun met de l’eau dans son vin et adhère à une indispensable concertation pour sortir de l’imbroglio ou les populations prennent la voie du bras de fer et de la rue qui, comme on peut se l’imaginer, peut nous conduire à des situations graves. En un mot, le Bénin est à la croisée des chemins et pour éviter la loi du plus fort, la dictature, il est préférable d’aller au consensus.