Quel bilan pour l’UEMOA et quelles sont ses perspectives ? Telles sont les préoccupations placées au centre de l’interview que nous a accordé l’ancien ministre béninois du commerce, John Igué qui fut aussi directeur de l’Institut de l’Afrique de l’ouest. Pour lui, il faudra désormais renforcer la solidarité au sein de l’Union qui a fêté ce lundi 20 octobre 2014, ses vingt ans d’existence.
L’Evénement Précis : Quelles sont les grandes avancées obtenues après 20 ans d’intégration ?
John Igué : La solidarité. C’est extrêmement important d’être solidaires face à nos différents problèmes. La colonisation a eu pour objectif de briser cela. La plus belle expression qui y est liée est la division des peuples entre plusieurs Etats. Par l’intégration, nous allons reconstruire les structures de base qui ont été détruites par la colonisation, dans le cadre de la politique du diviser pour régner. Cela nous a énormément fragilisés. Ce qui a détruit notre capacité à nous mettre ensemble pour relever les différents défis qui se posent à nous. Ce que l’union fait aujourd’hui est de nous ramener à cette perspective. De ce point de vue, l’expérience mérite d’être faite.
Quels sont les défis majeurs qui restent encore à l’union ?
Vous avez écouté le discours du président de la République. Il les a listés en six points. Ce sont les points fondamentaux à retenir : la libre circulation des personnes et des biens, la question de l’énergie, la question de l’agriculture à travers notre sécurité alimentaire, parce qu’un pays aussi fourni en terres et en eau ne peut continuer éternellement à dépenser l’essentiel de son budget à acheter du riz et de la farine de blé à l’étranger. C’est une sorte d’insulte à nos populations. Et ça crée des dépendances énormes ; la facture de la nourriture dans certains Etats revient à des milliards. Si on continue sur cette voie, la capacité à résoudre les problèmes liés à l’éducation, à la santé et à l’emploi des jeunes ne sera jamais réalisée. La question de l’agriculture reste fondamentale pour nourrir nos parents dans de très bonnes conditions et surtout se défaire de notre dépendance alimentaire.
Le 4e défi porte sur les infrastructures de communication. Sans s’intégrer par les voies de routes, des ondes et de rail, il n’y a pas de communauté. La question des infrastructures est comparable aux nerfs qui maintiennent notre organisme en vie. Sans régler la question des infrastructures de base, nous ne pouvons prétendre au développement. La plus grande conséquence des frontières et de la balkanisation de l’Afrique est l’enclavement. Pour régler cet enclavement aujourd’hui, la question des infrastructures de communication à tous les niveaux est devenue fondamentale et urgente. Puis cinquièmement, la question des ressources humaines doit être réglée. Sans lesdites ressources, nous continuons toujours à dépendre de l’Europe et de la Chine.
Il faudrait que nous-mêmes inventions les portables, que nous inventions les satellites pour aller dans l’espace pour minimiser les coûts de communication ; que nous inventions les armes nécessaires à notre auto-défense et qui seront différentes de celles que les Européens ont déjà mises sur le marché ; que nous inventions une autre manière de nous développer.
Tout cela en retenant que sans une ambiance de paix et de sécurité, ce n’est que vain mot.
Comment les mettre en application ?
Il faut assainir les cadres politiques dans nos pays. Voilà les problèmes qui sont les nôtres aujourd’hui et auxquels nous devons faire face. Et aucun Etat, par lui-même, ne peut y faire face seul. L’expérience de la révolution béninoise est là pour nous montrer que, quels que soient les efforts d’assainissement que vous mettez en place, si vos partenaires ne sont pas avec vous, ce sont eux qui vont les détruire comme ce fut le cas lors de la révolution chez nous.
La période la plus glorieuse et la plus avantageuse pour le Bénin était la période révolutionnaire. Malheureusement, nos ennemis font développer des discours contraires aujourd’hui. Et vous voyez, depuis 1990 que nous avons fait la Conférence nationale, les gains pour le pays sont nuls. Nous sommes obligés de revenir en arrière pour faire taire avec les discours la pensée unique et le mimétisme à l’occidentale. Et ce mimétisme n’a jamais été accepté par nos populations et parents. D’où les émeutes, les crises et les coups élevés des élections qui font que les institutions sont en voie de blocage aujourd’hui. Nous devons réfléchir à cela profondément. Et ne pas commettre des bêtises.
Les échanges commerciaux entre les Etats ont du plomb dans l’aile
L’UEMOA a commis une erreur fondamentale. La réforme macro-économique ne peut pas impulser l’intégration. Or, c’est ce que les Occidentaux ont proposé faire pour créer les conditions devant permettre aux multinationales étrangères de prospérer. C’est ce que nous avons fait ; c’est pourquoi le commerce ne marche pas. On ne peut pas se baser sur les réformes macro économiques pour faire avancer une région, encore moins un pays ; voilà les erreurs que nous avons commises. Il faut les accompagner de transformations sociales radicales ; or sur lesdites transformations, il n’y a pas d’efforts. C’est ce qui fait que les échanges commerciaux ne marchent pas. Il faut absolument coupler la réforme macro économique avec des solutions relatives aux transformations sociales. Un exemple patent : tout le monde a dit que nous étions à une croissance de 6 à 10%. La crise du Mali et celle de la fièvre Ebola ont détruit tout cela.
Les échanges commerciaux ne peuvent pas marcher dans une économie de compétition telle que la nôtre. Tout le monde fait le coton et le palmier à huile et cherche à avoir le pétrole. Il n’y a plus des économies de complémentarité. Ce sont les réformes macroéconomiques axées sur le paiement des services de la dette. Ainsi, c’est comme cela que toutes les institutions internationales nous ont poussés vers la culture d’exportation pour payer la dette. Donc, on n’a pas pensé à une économie intégrée.
Quelles propositions faites-vous ?
Lorsque le diagnostic est posé, il n’y a pas de problème. Ce qu’il faut faire est de spécialiser les pays et ne plus se contenter de se faire la concurrence et de créer des initiatives pour des économies complémentaires, spécialiser les pays et non plus de se concurrencer comme c’est le cas aujourd’hui parce que c’est cette concurrence qui nous empêche d’améliorer les produits de vente. Pendant la révolution, les gens nous ont proposé la raffinerie qui était à Lomé et l’usine de marbre qui était à côté du port. Après les calculs, quand on a conclu que ce n’est pas rentable, le président d’un Etat voisin (Eyadema) a dit d’amener et ils se sont lancés sans réussir. C’est comme l’expérience de la sidérurgie et si nous continuons à faire la politique de l’autruche dans notre marche vers l’intégration, nous ne bougerons pas.
L’exemple précis du coton que le Burkina, le Bénin et le Mali produisent chacun de son côté…
Oui. On connaît les pays qui peuvent faire le coton dans de bonnes conditions. Il faut regrouper ces pays autour d’un même bassin de production et le tour est joué. C’est ce que l’Afrique occidentale française (AOF) en mettant en place des bassins de production : bassins arachidier, cotonnier, même l’argent pour fonctionner et en partant, ils ont détruit tout cela et nous ont laissés à nous-mêmes. Car l’indépendance a été accordée à tous les pays africains dans l’inachèvement du rêve colonial. C’est de cette manière que l’Afrique a été piégée. Les Etats n’avaient pas la formation intellectuelle requise. Souvenez-vous, nos premiers dirigeants étaient des instituteurs. C’est cela les problèmes que nous gérons aujourd’hui. Les solutions sont simples mais à condition que nous soyons solidaires.