Le président de la Cour suprême, Ousmane Batoko, a procédé hier à l’ouverture de la rentrée judiciaire 2014-2015 de l’institution. C’était en présence du Chef de l’Etat, le président Boni Yayi, président du Conseil supérieur de la magistrature, des membres de son gouvernement, des praticiens de droit, des membres des corps diplomatique et consulaire accrédités au Bénin, du président de la Cour suprême de la République du Mali, Nouhoum Tapily, du représentant du président de la Cour suprême de la Côte d’Ivoire, le Magistrat Dakouly Gnago, des magistrats ayant pris part du 27 au 29 octobre 2014 à la 7ème session de formation des magistrats des juridictions membres de l’Association Africaine des Hautes juridictions francophones (AA-HJF) tenue à l’Ecole régionale supérieure de la magistrature (Ersuma) à Porto-Novo au Bénin et des autorités politico-administratives.
Le président de la Cour suprême, Ousmane Batoko, a procédé hier à l’ouverture de la rentrée judiciaire 2014-2015 de l’institution en présence du Chef de l’Etat, le président Boni Yayi, président du Conseil supérieur de la magistrature et de plusieurs autres personnalités. Placée sous le thème « La dimension sacerdotale de l’office du juge », cette rentrée judiciaire aura été pour le Bâtonnier de l’Ordre national des Avocats, Cyrille Y. Djikui, l’occasion de faire son observation sur ledit thème. A l’en croire, « il s’agit de repenser les enjeux et les défis qui attendent la justice en cette période où le Bénin traverse une zone de turbulence sociopolitique à l’aune de l’effort à consentir par les Magistrats ». « …On entend couramment dire que juger est une fonction divine ; c’est un attribut divin. En nous proposant de réfléchir sur la dimension sacerdotale de l’office du juge, le président de la Cour suprême nous invite à cesser de nous focaliser sur ce que la fonction de juge comporte de plus fort, marquer un arrêt et revisiter son aspect trop souvent oublié à savoir l’humilité et le sacrifice qui doit caractériser la fonction du juge dans un esprit de probité avec un cœur débordant d’irrésistible envie de tout donner sans rien attendre en retour (…) Ce renoncement volontaire face aux enjeux et défis qui attendent le Bénin dans les prochains jours appelle de chaque juge, une élévation d’esprit, un dépassement de soi… », a t-il déclaré. Dans son réquisitoire, le Procureur général près la Cour suprême, Raoul Hector Ouendo, a rappelé les principes fondamentaux de la fonction du juge qui lui donne une dimension sacerdotale. « …La fonction du juge est quelque chose de sacré. Le juge doit se fier à la loi. Le juge doit veiller à ce que son office soit permanent même en temps de crise. Le juge doit rester digne. Il ne descend pas dans l’arène sociale… », a t-il affirmé en substance. A la suite du Procureur général près la Cour suprême, Raoul Hector Ouendo, le président de la Cour suprême, Ousmane Batoko, a pris la parole pour son discours d’ouverture de la rentrée judiciaire 2014-2015. Il s’agit d’un discours qui porte sur les défis qui attendent le secteur de la justice au Bénin. Il n’a pas manqué de faire cas de la situation qui prévaut dans les juridictions de fond, les unités des forces de sécurité publique et les maisons d’arrêt du Bénin ; une situation qu’il a récemment vécu suite à une récente descente sur le terrain dans les départements de l’Ouémé et du Plateau. Quand au Chef de l’Etat, le président Boni Yayi, il a laissé entendre avoir pris acte de tout ce qu’il a entendu au cours de la rentrée judiciaire. Aussi, a-t-il pris l’engagement, au nom de son gouvernement, à continuer à œuvrer pour le développement du secteur de la justice au Bénin.
(Lire ci-dessous un extrait du discours du président de la Cour suprême, Ousmane Batoko)
Discours du président de la Cour suprême, Ousmane Batoko
« …L’année judiciaire écoulée aura effectivement connu des hauts et des bas. Au niveau de la haute juridiction, les membres de ses trois composantes juridictionnelles, avec naturellement l’appui décisif du Parquet général, auront donné le meilleur d’eux-mêmes pour faire face aux nombreux besoins de justice exprimés par nos concitoyens. Au plan juridictionnel, nous pouvons nous réjouir des efforts accomplis dans le processus de reddition des décisions attendues par les plaideurs. Il nous a paru opportun de partager avec cette auguste assemblée et dans l’intérêt de la République, quelques enseignements tirés de la jurisprudence de notre Cour. Au plan du contentieux administratif, deux constats se sont imposés à nous. Le premier a trait à la gestion de la carrière des agents des forces de sécurité publique, notamment la Police nationale. La fréquence ou la récurrence des recours en reconstitution de carrière introduits devant le juge administratif, traduit, à notre sens, le désaccord profond entre l’administration policière et ses agents, dans la gestion des carrières.
Lorsqu’on réalise que bon nombre de décisions d’annulation, ordonnant une meilleure reconstitution de la carrière des policiers requérants, ont été rendues, il y a à souhaiter une meilleure gouvernance administrative au sein de ce grand et prestigieux corps de l’Etat. Le projet de loi portant statut des agents de la police nationale que votre gouvernement, Monsieur le Président de la République, a récemment transmis à notre Cour qui a aussitôt émis son avis, nous parait de nature à assurer une meilleure gestion de la carrière des agents de la police nationale. Le deuxième constat est relatif au contentieux des marchés publics où, du fait d’une gestion contestable des dossiers d’appel d’offres par l’administration, en l’occurrence, la Commission Nationale des Marchés Publics, l’Etat est condamné à payer d’importantes sommes d’argent à des soumissionnaires qui, en définitive, ne lui auront fourni aucune prestation.
En attirant l’attention du Gouvernement de la République sur cette situation préjudiciable aux finances publiques, la haute juridiction qui est aussi Conseil du Gouvernement, tient à réaffirmer qu’en tant que juge de la légalité, elle dira toujours le droit, en sanctionnant les violations des règles de droit que l’administration elle-même s’est imposée, aux fins d’assurer la transparence et la clarté dans la gestion des dossiers de passation des marchés publics. Par sa chambre judiciaire, la haute juridiction a, par l’arrêt n°21/CJ-P du 02 mai 2014, rendu dans l’affaire : Procureur général près la Cour d’Appel de Cotonou, Docteur Boni YAYI C/ Moudjaïdou SOUMANOU, Ibrahim Mama CISSE, Zoubérath KORA, Sika Bachirou ADJAN, précisé que la loi pénale de procédure est d’application immédiate dès sa publication et doit par conséquent s’appliquer aux affaires pendantes devant les juridictions. Que l’application, dans les motifs et le dispositif de l’arrêt déféré à la censure du juge de cassation, des dispositions abrogées, loin d’être une erreur matérielle, constitue plutôt une violation de la loi par refus d’application des dispositions de la loi nouvelle portant code de procédure pénale en République du Bénin. S’agissant de la chambre des comptes, je voudrais souligner l’adoption et la transmission au gouvernement, de trois rapports sur l’exécution de lois de finances relativement aux années 2011, 2012 et 2013. La diligence de la haute Juridiction a permis le dépôt, à l’Assemblée nationale, des projets de loi de règlement dans les délais prescrits par la nouvelle loi organique n°2013-14 du 27 septembre 2013, relative aux lois de finances.
Cette action inédite de notre Cour permet à notre pays de rattraper le retard qu’il accuse depuis des années, dans la reddition des comptes de l’Etat en même temps qu’elle le met en conformité avec l’une des prescriptions importantes de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). De même, il me plaît de souligner les missions de contrôle qu’à la tête d’une délégation de la Chambre des comptes, j’ai effectuées dans les Représentations diplomatiques de notre pays à l’étranger, notamment à Washington, à New-York, à la Havane et à Ottawa. Comme l’année dernière où la Chambre des comptes s’était déjà rendue à Berlin, à Bruxelles et à Paris, ces missions de contrôle ont permis de relever les anomalies de gestion tant financières qu’administratives de nos ambassades et de formuler des recommandations nécessaires dans le sens d’une meilleure gouvernance financière de nos ambassades (…) Je voudrais ici saluer le professionnalisme et le sens élevé de responsabilité des magistrats de la Cour suprême qui ont, pour la plupart, sacrifié leurs vacances pour se réunir en assemblée plénière extraordinaire de la Cour, aux fins d’examiner les projets de loi portant respectivement Statut des agents de la police nationale, des agents des douanes et des agents des eaux-forêts et chasse, eux qui, je veux nommer les magistrats de la Cour suprême, attendent depuis plus de 10 ans, le vote de la loi relative à leur Statut de magistrat de la Cour suprême.
Ils m’ont donné là, Monsieur le Président de la République, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de le souligner, la preuve de leur attachement à ce qui ressemble au sacerdoce. J’y reviendrai. Il me plait de souligner dans ce registre, que la haute juridiction s’est réorganisée, à travers son Secrétariat général, pour donner suite, avec beaucoup plus de célérité, aux demandes d’avis sur les projets de loi transmis par le gouvernement.
C’est donc avec étonnement que, sans remettre en cause les dispositions constitutionnelles consacrant concurremment avec le Gouvernement, l’initiative des lois aux députés, la Cour suprême observe la tendance de plus en plus prononcée, du recours à la proposition de loi, dans l’élaboration des normes législatives dans notre pays. Lorsqu’on réalise que certaines de ces propositions de loi autour desquelles d’ailleurs, les honorables députés affichent publiquement leurs divergences, portent sur la justice, sur la magistrature jusque dans son fonctionnement, à travers le Conseil Supérieur de la Magistrature, il y a à se demander pourquoi choisissons-nous, au Bénin, de nous priver des compétences techniques disponibles dans le processus d’élaboration des lois.
La Cour suprême aurait pu émettre des avis motivés, dans l’intérêt de la République, sur les textes de loi relatifs d’une part, à la prolongation du mandat des conseillers municipaux, communaux et locaux et d’autre part, à la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature et à la modification de l’article 18 de la loi n°2001-35 du 21 février 2003 portant Statut de la magistrature, propositions de loi actuellement sur la table de l’Assemblée nationale. Gardons nous de vouloir régler toutes les problématiques qui sont celles de notre jeune démocratie par le politique, et il convient de souligner à cet égard que la justice n’est et ne saurait être un enjeu politique.
En application des dispositions de la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 portant organisation, composition, attributions et fonctionnement de la Cour suprême, nous avons rendu disponible le rapport général de la Cour suprême, au titre, respectivement des années 2011, 2012 et 2013.
De même, le rapport public de la chambre des comptes, au titre de l’année 2013 a été publié. Ces quatre rapports auxquels s’ajoutera le rapport général de 2010 publié depuis quelque temps, vous seront remis, selon votre agenda, ainsi qu’au Président de l’Assemblée nationale conformément aux dispositions de l’article 48, alinéa 1er de la loi ci-dessus citée.
Dans une tout autre registre, j’indiquerai que, déterminée à assumer la mission permanente d’inspection à l’égard de toutes les juridictions administratives, judiciaires et des comptes de l’Etat dont elle est désormais chargée, aux termes des dispositions de la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007, la haute juridiction a entamé une visite de travail qui devra la conduire dans toutes les juridictions du fond, les prisons civiles et les maisons d’arrêt ainsi que dans les unités de police judiciaire, partenaires de premier ordre de la justice pénale.
La première étape de cette tournée qui m’a conduit, à la tête d’une délégation de la Cour suprême renforcée par des responsables du Ministère en charge de la justice avec le soutien du Garde des Sceaux en personne, dans les tribunaux de Porto-Novo et de Pobè, dans les prisons civiles de la Capitale et d’Akpro-Missrété et dans la plupart des brigades de gendarmerie et les commissariats de police des départements de l’Ouémé et du Plateau, a été édifiante à plus d’un titre. Cette première descente dans les juridictions et centres de détention et de garde à vue à laquelle, j’ai imprimé un caractère résolument pédagogique et non de véritable inspection, nous aura révélé les efforts nécessaires qu’il nous reste à faire, si nous voulons véritablement mettre notre justice au diapason des exigences de l’Etat de droit (…) L’année judiciaire écoulée aura été des plus agitée, émaillée de cessations d’activités décidées par les principaux animateurs de la justice. Des grèves prolongées, on en a connues, suivies de la tentative parlementaire visant la suppression du droit de grève aux magistrats. La suite, on la connait.
Les ou plutôt des magistrats sont sortis de leur prétoire et comme dans un schéma de rôles renversés, sont allés défendre leurs droits devant la représentation nationale et s’étaient, à l’occasion, offert la défense ou le soutien envahissant et encombrant, osons le dire, de forces syndicales et politiques avec lesquelles, ils ne devraient jamais entrer en collusion. Cette image offerte au monde entier par deux grandes institutions de notre pays, avouons-le, n’honore point notre démocratie. Nous devons en tirer les leçons pour l’avenir. Les problèmes qui sont ceux de la justice ne peuvent être réglés à-la-va-vite, au mépris du dialogue et de la concertation. De même, la justice ne saurait s’accommoder de bruits et d’agitations préjudiciables à la sérénité nécessaire à l’accomplissement de sa mission.
Nul ici n’ignore la place et la mission qui sont celles de la justice dans la nouvelle société que les Béninois ont décidé de bâtir au lendemain de la Conférence des Forces Vives de la Nation de Février 1990.
Pilier de l’édifice démocratique, la justice a été placée au cœur de notre système de gouvernance. L’Etat de droit qui est l’aboutissement de ce système, ne serait que vain mot, s’il n’était porté par une justice indépendante, efficace et crédible. L’Etat de droit, on ne le dira jamais assez, n’est que l’affirmation au quotidien, du règne du droit par le juge.
S’il fait régner le droit envers et contre tous, riches et pauvres humbles et puissants, administration et administré, le juge devient l’arbitre du jeu démocratique.
S’il ne joue pas à merveille ce rôle, s’il le joue au mépris des règles, s’il cesse de le jouer pour des raisons qui lui sont propres, il fait courir des risques au système, il fait taire le droit dans la cité, or nous venons de le dire, l’Etat de droit se nourrit du droit au quotidien.
Ainsi présenté, le juge apparait dans son office, comme investi d’une fonction qui revêt un caractère quasi religieux par la vertu et le dévouement de tous les instants qu’elle exige. Cette fonction relève du sacré et appelle par conséquent, à l’oubli de soi pour servir les autres, pour servir la cité (…) Oui, l’office du juge, dans sa grandeur et surtout dans ses servitudes, relève du sacerdoce. L’intérêt de cette thématique de rentrée de notre Cour est de sensibiliser le juge béninois sur la réalité de cette dimension de son office. Nous voulons nourrir le subconscient des magistrats, de les faire arrêter un moment à cette dimension sacerdotale dont nous convenons tous comme étant l’une des nombreuses obligations non écrites mais fondamentales à l’office du juge.
Pour la plupart, les juges béninois se savent dans le sacerdoce. Ils sont comme dans un ordre religieux, eux qui, malgré la modicité des moyens, la multiplicité des risques, l’absence de soutien, de récompense, disent le droit au péril de leur vie. Certains dans leur office, sont allés jusqu’au sacrifice suprême. Le premier Président de la Cour d’Appel de Parakou, le magistrat Sévérin COOVI nous aura laissé l’exemple tragique du juge qui a subi le martyre dans son office (…) La mission du juge, dans sa dimension sacerdotale, personne, je l’espère, n’en doute désormais, oblige l’Etat à lui assurer dans la cité un statut particulier, un statut digne de la place qu’il occupe, un statut qui lui permette d’être à même d’exercer son office. La contrepartie des exigences qui sont imposées au juge doit résider dans la légitime ambition que notre pays se doit d’avoir pour ses juges et pour sa justice… »