oyager de Cotonou à Bohicon au Bénin, loin d’être une chose aisée, relève bien, chaque jour et davantage, d’une pièce sans fin. A tout moment du trajet, pannes de véhicules, accidents voire décès guettent les usagers de cette voie en voie de disparition. Le film de 129 kilomètres de calvaire.
Samedi 27 avril 2013. Nous sommes à la gare routière de Togoudo (Abomey-Calavi) à quelques mètres de la pharmacie du même nom, face à l’agence de la Banque Of Africa (BOA). Il est bientôt 7heures du matin. Le mini bus « J9 » immatriculé IPZ 44 10 attend ses derniers passagers pour prendre la route de Bohicon. Son conducteur, Marc Soussia, est sous la pression de ses passagers déjà à bord qui s’impatientent de voir le véhicule démarrer.
« On ne file plus. De 60 kilomètres à l’heure, on est passé à 30 à kilomètres. Il faut désormais plus de temps pour se rendre à Bohicon », confie le conducteur au sieur Gontrand, pressé de se rendre à Bohicon avant 09 heures. Le véhicule attend ses derniers passagers pour prendre la route de Bohicon.
Quelques minutes plus tard, le 17 ème passager entre et le chauffeur démarre. C’est parti pour 129 kilomètres sur l’axe Cotonou-Bohicon, Route nationale inter-Etats (RNIE) 2. Chacun baisse la tête et implore son Dieu. Un cure-dents dans la bouche, le conducteur emprunte le « trafic local » jusqu’à la hauteur de la mairie d’Abomey-Calavi, où un jeune du nom de William, en tenue locale « bomba » et debout sur le trottoir, agite la main. Le véhicule s’arrête mais, après un coup d’œil à l’intérieur, William refuse d’y prendre place. « Reste-là en prétendant que c’est plein », lui réplique aussitôt dame Yao, une passagère d’une trentaine d’années. « Il te sera imposé un voyage à la fois tardif et plus cher quand il fera jour. Et mieux, le carburant est à 800 fcfa avec une voie impraticable », prévient la jeune dame. Entre passagers, la pénurie du carburant frelaté suscite un débat houleux. Après une dizaine de minutes, nous voici à Akassato, un tronçon en plein chantier avec les travaux sur 15 kilomètres. Les deux extrémités de la voie connaissent un élargissement de deux mètres de part et d’autre jusqu’au carrefour du marché d’ananas de la commune de Zè. Mais déjà après Akassato, apparaissent « les nids de poule ». La zone devient dangereuse. Le conducteur, qui se cherche dans tous les sens, est obligé d’aller à pas de tortue.
Dépression d’Allada, « QG » des accidents
Sékou, à 45 kilomètres de Cotonou. Il est 7h16 environ. Devant le Lycée agricole Médji du même nom, des chauffeurs provenant du sens opposé invitent le nôtre à chercher une déviation. « C’est bloqué dans la dépression de ‘’Guê’’ (Allada), le ‘’Quartier général’’ (QG) des accidents », lâche en langue nationale « fon » un passager d’un véhicule. Le conseil ne sera pas suivi. Les passagers exigent et encouragent le chauffeur à aller dans sa direction au lieu de dévier. Il évolue jusqu’à la descente de Sékou où il s’enferme dans embouteillage monstre. Dans la longue file d’attente, une trentaine de véhicules, toutes marques confondues. Tous les passagers sont inquiets et stupéfaits de ce qui se passe. Les plus curieux sortent la tête pour mieux comprendre la situation. D’autres descendent carrément. Une quinzaine de minutes après, le véhicule ne bouge toujours pas. Les passagers sont étouffés par la chaleur. « C’est toujours les camions qui tombent par ici. Le chauffeur dormait ou voulait garer », s’interroge une passagère allaitant son enfant. Tout le monde s’inquiète. L’attente commence par être longue. Le passage reste toujours bloqué sur environ deux kilomètres. Et pour cause, un camion en transit vers le Niger s’est renversé avec son conteneur sur des individus dont deux ont aussitôt trouvé la mort. Sur les lieux, les forces de sécurité de la localité sont à pied d’œuvre. Un policier confie : « C’est dans la nuit que cela s’est produit. On a pu évacuer certains à l’hôpital. C’est ceux qui restent sous le poids du conteneur que nous essayons de récupérer. Malheureusement, ils sont déjà morts. Comme vous le constatez, les solutions sont difficiles à trouver et il faudra attendre d’autres secours de Cotonou ». 8h 36 minutes. Un côté de la route est dégagé et la circulation reprend.
Un pas, des « nids de poule »
Huit minutes après, nous sommes au carrefour d’Allada face à la résidence du maire. Deux camions avancent à pas de tortue sur cette voie étroite, jonchée de dos d’âne et de « nids de poule ». Les passagers des autres véhicules insultent les conducteurs des camions, « ces apprentis qu’on envoie nous tuer sur les routes », lâchent-ils l’air bien hargneux. Il faut encore 2 à 3 mn d’attente. Les vendeuses de « fan Milk », d’arachides et maïs grillés en profitent pour se faufiler entre les véhicules. 09 h 05, nous voici à Hinvi. Au beau milieu de la route, un véhicule en panne. Non loin, un poste de contrôle de la gendarmerie. Le chauffeur descend avec, en main, un billet de 500 francs CFA qu’il s’en va remettre à l’agent de sécurité. « La voie n’est pas bonne. Malgré ça, ils prennent des sous ! C’est malhonnête », s’insurge un passager. De Hinvi à Houègbo, le voyage a été un calvaire.
Pluie et crevaisons de pneus au rendez-vous
A quelques kilomètres du marché Houègbo, le ciel s’assombrit. Un vent violent commence par souffler. Les véhicules sont au ralenti. A la sortie de Houègbo, à Agon, précisément, la pluie est déjà forte. Tandis que certains véhicules poursuivent avec peine leur traversée, d’autres sont immobilisés à la suite de crevaisons de pneus. « Les pannes de véhicules sont maintenant fréquentes à cause de l’état de la voie », a martelé d’ailleurs un riverain rencontré quelques kilomètres après Sèhouè. Dans notre véhicule, c’est le calme total. « Il faut permettre au conducteur de se concentrer face aux zigzags effectués par ses collègues », souhaite l’étudiant assis à ma gauche. 10h 05. Arrêt obligatoire pour tous les véhicules. Difficile de circuler à cause d’un nouvel embouteillage créé par des camions gros porteurs. « Faut-il passer 5 h de d’horloge sur la voie Cotonou-Bohicon ?», s’indigne un passager, agent de santé assis à côté du conducteur. « C’est une grande souffrance », ajoute un autre.
Notre « J 9 » en panne
Entre Hlagba-Lonmè et Zoukou, à non loin de Zogodomey, localité située à quelques kilomètres de Bohicon, le goudron laisse la place à la couche de fils de fer utilisés dans la construction de la route. La voie latéritique est devenue une boue épaisse sur plusieurs kilomètres. Des trous de grande profondeur font dévier les véhicules. « C’est dommage pour notre pays », déplore un passager avec une mine amère. « La voie de Porto-Novo est mieux praticable et, si je savais, je l’aurais empruntée », regrette un autre.
11h 15, l’intensité de la pluie diminue. Nous voici devant le Collège d’enseignement général de Zoukou, 5 mn après. Le véhicule s’arrête. Le chauffeur sort, ouvre le capot et revient remettre le véhicule en marche. Mais sans succès. « C’est ma ‘’Transmission avant’’ qui est déboitée », fait-il savoir comme s’il s’y attendait. Tous les passagers doivent descendre. Les plus pressés expriment leur déception et accusent le chauffeur. « Si votre véhicule n’est pas en état, éviter de faire de longues distances », lui jette au visage William, pressé d’aller à sa cérémonie d’enterrement. Le chauffeur appelle un mécanicien de Zogbodomey. Le temps que le mécanicien vienne, il négocie le reste du parcours avec ses collègues en direction de Bohicon sans oublier de prendre les frais de voyage qui sont de 2.500 FCfa, sur 3.000 francs CFA, pour la distance déjà parcourue. Nous ne sommes que cinq passagers, sur les dix-sept, à accepter d’attendre la réparation du véhicule. Le dernier arrêt sera effectué pour prendre un passager et sa moto en panne, au poste de douane, à hauteur de la localité de Tanhoué-Hessou à l’entrée de Zogbodomey. Quinze minutes plus tard, le véhicule stationne sur le parking de Bohicon. Là, commence un grand débat sur l’état de la voie. Les péripéties étaient à l’ordre du jour. Nous tendons chacun 3.000 Fcfa au chauffeur. Il est 12h 13. Nous venons de faire un voyage de plus de 5 heures 15mn alors qu’avant la dégradation de la voie, les chauffeurs en partance de Cotonou mettaient moins de 2h 30 pour atteindre Bohicon.