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Nicéphore Soglo : "L’après-Yayi, ça se prépare..."
Publié le vendredi 14 novembre 2014   |  24 heures au Bénin


Nicéphore
© Autre presse par DR
Nicéphore Soglo, ancien Chef d’Etat et Maire de Cotonou


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Après quelques mois de silence, l’ancien président de la République du Bénin aujourd’hui maire de Cotonou a accepté de se confier à la presse. C’est dans son bureau à l’hôtel de ville qu’il a reçu l’équipe composée de journalistes des journaux Nokoué et Événement Précis. Il s’agira d’une série d’entretien dont la première partie que voici. L’occasion pour l’ancien président d’évoquer les principaux sujets de l’actualité nationale et internationale. Il affirme travailler déjà pour après le départ du président Yayi BONI du pouvoir dans le sens de contribuer à la résolutions des problèmes qui se posent à la nation. Un long entretien à bâtons rompus sans état d’âme et sans langue de bois. Il n’a pas manqué d’évoquer la maladie de la président Rosine Vieyra Soglo, ses activités à la mairie de Cotonou, ses voyages à travers le monde.

Q : Bonjour Monsieur le président. Les Béninois ne vous ont plus entendu ces derniers jours malgré les nombreuses difficultés auxquelles le pays est confronté depuis quelques années

R : Merci de m’offrir les colonnes de vos organes de presse. Votre remarque relève peut-être d’une apparence sinon j’ai eu une activité intense depuis plusieurs mois aussi bien pour le compte de la ville de Cotonou que pour le pays. Les médias n’ont pas été associés à certaines initiatives du fait de leur caractère sensible. Si vous voulez parler des péripéties au sein de la classe politique sachez que beaucoup de choses ont été faites. Personnellement j’ai rencontré plusieurs acteurs de premier plan. Je peux vous parler de la concertation permanente entre les anciens chefs de l’Etat. Nous sommes des personnes d’un certain âge ; notre rôle ne se résume pas à un activisme visant à ravir la vedettes aux autres acteurs de la vie publique. Je rencontre beaucoup les populations soit ici à mon bureau à la mairie de Cotonou soit sur le terrain. Plusieurs de nos initiatives ont aidé à arranger beaucoup de chose pour les intérêts du pays sans qu’on s’épanche dans les médias.
Par ailleurs vous n’êtes pas sans savoir que la présidente Rosine Vieyra Soglo a eu quelques ennuis de santé qui ont expliqué mon absence du territoire national durant plusieurs semaines. Heureusement qu’elle se porte beaucoup mieux à présent. Mais nous n’en demeureront pas moins, elle et moi, très préoccupés par la situation politique de notre pays.

Q : Comment entrevoyez vous la sortie d’impasse surtout en ce qui concerne les élections ?

R : Je viens de vous dire que j’ai pris des initiatives avec d’autres pour que les choses puissent évoluer. L’essentiel ce n’est pas la compétition autour des propositions ou des initiatives de sortie de crise. Vous n’attendez certainement pas de moi que je me mette à étaler devant vous des approches miracles. C’est heureux de constater que des responsables d’institution se parlent et qu’on s’achemine vers une sortie d’impasse en ce qui concerne l’achèvement de la correction du fichier électoral. Les différentes phases des opérations prévues se déroulent actuellement sur toute l’étendue du territoire national. J’ai tenu à ce sujet plusieurs séances de travail avec mes collaborateurs au niveau de la municipalité de Cotonou. Les membres du Cos/Lépi et de la Céna ont effectués des tournées sur le terrain. Quelque chose semble poindre à l’horizon et nous veillons sur l’évolution de la situation. J’en ai discuté avec le président ZINSOU il y a quelques jours seulement. N’attendez pas que j’en dise plus pour le moment.

Q : Vous semblez également très silencieux à propos du débat sur le troisième mandat du chef de l’Etat Yayi BONI et sur les tentatives de révision de la constitution

R : N’attendez pas de moi que je me jette dans cette querelle de bas-étage. Tous ces débats autour de la révision de la constitution m’amusent et me désolent à la fois. J’étais au cœur de toutes les tractations à la conférence nationale puis au cours de la transition et je mesure l’ampleur des sacrifices ayant abouti au consensus réalisé autour de l’actuelle constitution. Je peux me targuer de connaitre assez bien mes compatriotes aujourd’hui pour vous dire que la démarche adoptée pour aller à cette révision était vouée à l’échec. Sous le régime précédent les gens se sont rendus comptes des mêmes difficultés à réviser et ont dû abandonner le projet avant même de le soumettre à l’épreuve. Vous aurez l’occasion de découvrir la capacité de ce peuple à veiller sur ses acquis démocratiques. Moi je ne suis plus à l’étape du débat autour d’un prétendu projet de révision de la constitution. De toutes les façons, nous avons prévu deux mandats et il y aura un nouveau président en 2016. Ce n’est pas en s’invectivant autour d’un projet inopportun, mort-né et mal engagé qu’on va préparer l’alternance. L’après Yayi, ça se prépare, dès maintenant.

Q : Mais votre parti participe à l’actuel gouvernement. Comment pouvez vous parler déjà de l’après-Yayi alors qu’il reste plus d’un an pour la fin de mandat ?

R : Vous pensez que l’avenir du Bénin se résume à la durée d’un mandat ? On aurait dû vous apprendre que mon travail pendant des années fut de redresser les pays en difficulté pour ne pas dire les pays en faillite durant mon passage à la Banque Mondiale. Pour la petite histoire sachez que je n’ai pas attendu la conférence nationale avant de me faire une idée sur la manière de redresser le pays en banqueroute totale et en proie à une dictature militaro-marxiste. C’est grâce à cette prédisposition qui nous a permis de mettre le pays sur les rails dès que les délégués à la conférence m’ont désigné pour conduire la transition. Vous avez pu voir tous les chantiers ouverts en quelques mois seulement avec la remarquable équipe qui nous a accompagné. Tout ceci en synergie avec un peuple formidable qui a retrouvé sa dignité et la foi en l’avenir.
Dès que nous avons quitté le pouvoir dans les conditions que tout le monde connaît désormais, nous nous sommes également mis au travail pour préparer notre éventuel retour aux affaires. Mais c’était sans compter avec la Cour constitutionnelle dont les tares et avatars sont encore d’actualité aujourd’hui.

Q : Ensuite il y a eu l’arrivée de Yayi supposé proche de vous puisque c’est vous qui l’avez proposé comme président de la Banque Ouest Africaine de Debeloppement (Boad) lorsque vous étiez president de la République. Pourquoi vous ne lui avez pas proposé votre expertise ?

R : En effet, c’est dans la même logique de redressement national après la décennie chaotique qui a suivi mon départ du pouvoir que nous lui avons proposer un accord politique global, ensemble avec plusieurs autres forces politiques autre que la Renaissance du Bénin. Il fallait recommencer à colmater les brèches de l’édifice fortement ébranlé à l’époque. Plusieurs indicateurs étaient ramenés au rouge et en appelaient à des mesures conséquentes. Nous avions constaté que tous les efforts entrepris déjà dès la transition de 1990 puis lors de mon mandat jusqu’à mon départ du pouvoir en 1996, tous ces efforts, disais-je, avaient été réduits à néant en 2006. Il fallait de nouvelles dispositions axées sur les problèmes des jeunes, des femmes rurales, des travailleurs, le renforcement des acquis démocratiques, la réhabilitation de nos institutions etc...C’est dans ce cadre que l’accord politique avec le nouveau pouvoir est intervenu. Nous y réfléchissions plusieurs années avant.
En 2011, également l’UN s’était paré des meilleurs instruments pour s’attaquer aux questions du développement à la base. Dès le premier conseil des ministres après la victoire, la nouvelle équipe pouvaient se lancer automatiquement à l’assauts des nouveaux défis sans tâtonner. Mais hélas ; on ne va pas refaire l’histoire.
Je suis dans la même logique par rapport à 2016 pour l’après-Yayi pour lequel les réflexions sont assez avancées aussi bien avec des compatriotes qu’avec des amis à l’étranger. Ce n’est pas que je me propose d’être à nouveau candidat ou que je présage de soutenir forcément un candidat. Mais quel que soit le nouveau élu, il aura besoin qu’on lui apprenne le boulot sans prétention aucune. Sur ce plan il n’y a pas de place pour la tergiversation, l’amateurisme ou le marchandage. Il faut avoir les outils par lesquels on peut aborder les problèmes d’une nation en difficulté et tout de suite. A lui de décider par la suite de passer outre ou d’en tenir compte. Cela concerne tous les prétendants désireux d’assurer l’alternance en 2016. Ce n’est pas une fois élu qu’il faut chercher par où commencer.
Mes nombreuses activités à travers le monde me donnent l’opportunité de travailler sur la résolution des problèmes de développement partout sur la planète. Le devoir me commande de rester coller aux réalités de chez moi et d’anticiper en matière d’orientation des politiques nationales.

Q : Et pourquoi cela n’a pas marché en 2006 avec le président Yayi ?

R : Je vous ai dit que nous avons obtenu avec lui un accord politique qui devrait servir de base à notre collaboration. Personnellement je ne cherchais et ne cherche d’ailleurs aucun poste dans cette affaire. Mais je vous avais dit que les mécanismes de redressement d’une économie nationale en crise était mon job. Je l’ai pratiqué à la Banque mondiale pendant plusieurs années. Il nous a fallu longtemps pour comprendre pourquoi ça n’a pas marché avec le gouvernement de Yayi BONI. Surtout avec l’apparition des contentieux judiciaires de plus en plus nombreux entre des entreprises privées et l’Etat, les scandales, les tensions sociales et politiques. Apparemment, les accords avec les acteurs politiques avaient été rangés dans les placards au profit d’autres accords avec des hommes d’affaires. L’agent est rentré dans tout et nous voici dans des tourments.

Q : Vous pensez que cela marchera avec le prochain président ?

R : Je ne pourrai jamais cesser de me préoccuper des réalités socio-économiques de mon pays. J’ai consenti d’énormes sacrifices personnels en m’occupant d’autres pays. Ce n’est pas avec mon pays que je ménagerai mes compétences. J’ai déjà dit qu’il appartient au futur président de tenir compte de mes avis ou de s’en passer. Mais j’aurais eu le mérite de lui avoir dit comment cela se fait et comment nous avions fait entre 1990 et 1996 pour redonner la dignité aux Beninois et offrir l’opportunité à beaucoup d’entreprises de gagner de l’argent honnêtement. N’oublier pas que le frémissement de la société civile encore embryonnaire avait commencé à cette époque.

Q : Que lui diriez vous, au président de l’après-Yayi, comme vous dites ?

R : Laissez moi vous dire que moi aussi j’ai un patron. Il s’appelle Nelson Mandela. Je me suis beaucoup imprégné de sa doctrine à travers son combat, ses écrits et sa vie d’homme tout court. Je dirai au nouveau président de faire comme Mandela l’a fait dès qu’il est venu au pouvoir et que j’avais eu le privilège de faire avant lui. La première des choses c’est de ne jamais mentir à son peuple. Ce n’est pas le président de la République qui fait le développement mais l’ensemble du peuple. Et pour y arriver il faut le langage de vérité. Lorsque je suis arrivé au pouvoir je n’ai de cesse de rappeler à mes compatriotes d’où nous sommes partis : les 600 milliards de CFA non dévalués de dette, les 17 années de dictature sanglante, la vétusté de l’appareil administratif ainsi que le traumatisme de l’esclavage sur un peuple qui a connu 4 siècles de déportation. Je ne manquaient jamais de le rappeler dans tous les discours. Certains s’en agaçaient. Il paraît que cela m’a même valu mon poste mais je me devais de rappeler cette réalité au peuple qui m’a tant soutenu lors des épreuves les plus douloureuses de ma vie. Il fallait définir une base claire à notre engagement réciproque.

Q : Dites nous alors à quoi se résumé la vérité de l’après-Yayi puisque vous dites y avoir déjà réfléchi ?

R : Cette vérité c’est d’abord l’affaire ICC services. Il s’agit de près de 156 milliards de CFA prélevés sur l’épargne privée selon une étude de la Banque Mondiale. Il ne saurait y avoir un restauration des grands équilibres économiques sans qu’on ne s’y penche sérieusement. Chaque citoyen concerné doit savoir s’il doit y renoncer définitivement et le classer dans les pertes ou s’il pourra recouvrer la totalité ou partie de son argent. Tant que vous n’avez pas soldé ces sujets-là ils vont hanter tout votre mandat. Je ne parle pas de procès ou de chasse aux sorcières mais de vérité tout simplement. Lorsqu’on a fini de découvrir toute la vérité on peut choisir d’en faire ce qu’on veut.
Ensuite il y a les nombreux contentieux juridiques pour lesquels on évoque des centaines de milliards de dommages et intérêts à payer à des entreprises privées ou à des individus. Si vous n’intégrer pas ces données là dans votre programme et que c’est en cours d’exercice qu’on vous sorte des décisions de justice condamnant l’Etat à verser ces faramineux dommages et intérêts à des particuliers, c’est la catastrophe. Là aussi il fait chercher la vérité et le dire au peuple quoi que cela coûte et envisager la suite.
Il en est de même des scandales, du train de vie de l’Etat, des institutions budgétivores etc...

Q : Vous pensez que tout cela est possible sans grincement de dents ?

R : C’est le prix à payer pour avoir un mandat réussi. Il faudrait bien s’adresser aux différents interlocuteurs afin de susciter leur adhésion au programme mis en route. Les partenaires techniques et financiers, les partenaires sociaux, les jeunes au chômage, les femmes rurales, les exclus du système de production, tout le monde a droit à un minimum de transparence et de vérité.
Vous avez vu en France ce qui se passe ? Pendant que j’étais avec la présidente pour ses soins à l’hôpital à Paris il n’y a pas ce jour-là où une catégorie de travailleur ne descend dans les rues. Un jour ce sont les médecins, le jour d’après ce sont les éleveurs, un autre jour les coiffeurs etc... Tous les jours ce sont des remous sociaux. Hollande à son arrivée au pouvoir a caché aux français que le pays croulait sous une dette Record de plus de 200 milliards d’Euros laissée par ses prédécesseurs. Il a fait croire à tout le monde que ce n’était qu’un problème de chômage et de croissance et qu’il était capable d’inverser la courbe. Il disait qu’il suffisait de faire payer les riches et tout ira bien dans le pays. Alors qu’il revenait à tous les français de se saigner pour rétablir les comptes de la République.

Q : Après la vérité au peuple, que faut-il faire d’autre ?

R : Là je vous renverrai encore une fois à mon mandat dont le socle reposait sur le devoir de mémoire. La vérité c’est pour lancer votre programme de gouvernement. Mais il faut redonner la dignité à vos compatriotes en leur rappelant leurs origines et leurs identités. Pour nous les africains c’est très important de s’imprégner des sacrifices de nos aïeuls qui ont été déportés durant plus de 4 siècles. L’holocauste n’a duré qu’une dizaine d’année à peine et pourtant il est présent dans toutes les célébrations en Europe, aux Etats-Unis, en Israël partout en occident. Ne parlons pas des japonais et des chinois toujours en immersion permanente dans leurs passés respectifs. C’est dans ce cadre que mon gouvernement avait initié plusieurs actions à propos du devoir de mémoire notamment le festival Ouidah 92, la réactivation des projets sur la traître négrière, la revalorisation des religions ancestrales avec l’instauration du 10 janvier consacré à ces divinités.

L’Afrique d’aujourd’hui se comporte comme si elle n’a jamais eu de passé, de culture ou de religion avant l’arrivée de l’étranger. Chaque fois que je passe par le Japon, mes amis de là-bas m’interrogent sur les raisons qui motivent les africains à s’entretuer sur la base des religions venues de gens qui dans le passé les ont maltraité. En Centrafrique on se tue au nom de l’islam et du christianisme, des religions de nos anciens maîtres. Jamais on ne se bat sur des croyances locales.

En plus de cette plongée en plein cœur de nos réalités culturelles, le prochain président doit poser la problématique de l’autosuffisance alimentaire par la production agricole. C’est en produisant pour nourrir les populations qu’il faut dégager du surplus destiné à la transformation, à l’industrie et éventuellement à l’exportation. La vérité, la culture puis l’agriculture ne se déroulent pas

propos recueillis par la Rédaction

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