L’information est tombée, ‘‘renversante’’, a commenté une Béninoise vivant à Cotonou. C’était au matin du 10 novembre 2014. Information relayée ce matin-là même par le site de La Croix de Paris et commentée aussitôt par un Français vivant à Besançon et qui est resté attaché à notre pays à cause des deux années de sa jeunesse passées au Dahomey. Il écrit : ‘‘Je lisais souvent et avec respect ses éditoriaux…J’ai le sentiment que le Bénin perd un fils qui était quelqu’un de bien.’’ Peut-être un écho lointain au témoignage rendu par l’apôtre Pierre à Jésus-Christ, ‘‘lui qui a passé en faisant le bien’’ (Actes, 10/38).
André Quenum, quelqu’un de bien dont l’humble voix portait plus loin que le Bénin. Et il est vrai qu’il faisait figure de prêtre atypique – dira-t-on politiquement engagé ? – avec ses éditoriaux personnalisés, écrits parfois au vitriol, pour dire aux gouvernants leur fait, alors que la hiérarchie catholique, dont il dépend, serait plutôt encline au ressassement de la saine doctrine millénaire et à ne pas s’aventurer sur le champ des réalités qui bougent sans cesse. Le père Teilhard de Chardin, en 1916, se plaignait à sa cousine de cette espèce d’immobilisme de l’Eglise catholique : ‘‘Avec tout cela, je ne vois guère comment mes idées verront le jour autrement que par conversation ou par manuscrits passés sous le manteau.’’
André Quenum n’avait besoin de rien passer sous le manteau, il avait l’agora de la Croix du Bénin, dont il était le directeur, et il prenait le risque militant d’afficher clairement ses positions, il avait le courage militant de s’exprimer ouvertement. S’il avait été Bolivien, aurait-il revêtu le manteau du père Camilo Torres, ‘‘curé-guérillero’’, qui mourut les armes à la main en luttant pour que les pauvres ne le soient plus, et qu’ils aient le droit à l’éducation, à la santé et à la dignité ? S’il avait été Nicaraguayen, aurait-il pris la figure d’Ernesto Cardenal, prêtre, poète et révolutionnaire qui, avec nombre de ses confrères, s’engagea dans le mouvement sandiniste marxiste afin de lutter pour la liberté de leur peuple dominé et exploité ? Lors de sa visite mémorable à Managua, Jean-Paul II désavoua la Théologie de la Libération qui servait de socle à ses prêtres marxisants et leur enjoignit de s’en tenir au Concile Vatican II. S’il avait été Polonais et vicaire de paroisse, aurait-il emboité le pas au père Jerzy Popieluszko, transformé ses éditoriaux en homélies de soutien au mouvement syndical Solidarnosc de Lech Walesa, dans un combat à visage découvert ‘‘pour la vérité, pour la justice, pour la liberté’’ ? Le général putschiste Jaruzelski l’aurait fait abattre sur une route par trois policiers qui auraient jeté dans une rivière son corps affreusement torturé.
André Quenum aura échappé à ce destin tragique, encore qu’il en eût le profil intellectuel et…théologique. Il aura même eu plus de chance que le père Teilhard de Chardin, exilé aux USA où il mourut, interdit de publication et d’enseignement par le Saint-Siège agacé, entre autres, par son ‘‘Christ cosmique’’. André Quenum aura eu plus de chance, lui qui, de par ses éditoriaux ‘‘sans peur ni reproche’’ et vibrants de révolte, nous laisse penser qu’il eût pu, prêtre, et par fidélité au Christ, se joindre à tout soulèvement d’hommes et de femmes en lutte pour leur dignité. L’ami de Besançon prie que l’on transmette à qui de droit les condoléances ‘‘d’un lecteur lointain mais attentif, respectueux et peiné.’’ C’est nous tous, Béninois, qui acceptons, le cœur brisé, vos condoléances, ami lointain, si proche par la peine.
André Quenum était tellement avec nous, tellement partie prenante de la société civile et de ses luttes, que nous avons pu croire qu’il était là pour longtemps, qu’il nous offrirait très longtemps son soutien christique, qu’il était là pour toujours. Nous savons à présent qu’il fut une étoile filante, qui traversa notre ciel, y laissant une traînée de lumière, qui nous orientera longtemps, très longtemps, toujours. Merci infiniment, père André.
