Les journalistes, graphistes, techniciens et autres professionnels assimilés sont l’ombre d’eux-mêmes. C’est l’un des diagnostics auquel est parvenu Franck Kpochémè, président de l’Union des professionnels des médias du Bénin (UPMB), à l’occasion de la commémoration des dix années d’existence de l’UPMB.
Ce goût amer que laisse l’exercice de la profession du journalisme au Bénin n’empêche pas le président d’évoquer les acquis de la création de cette association.
question : Après 10 ans de vie de l’UPMB, les professionnels des médias ne voient qu’à travers cette Union le reflet d’un club d’amis.
Franck Kpochémè : Club d’amis ?! (Rire). Je ne sais de quels amis, parlez-vous ? Nous étions dans un environnement associatif éclaté et les professionnels des médias, notamment, les responsables de ces différentes associations -c’est le lieu de leur rendre hommage- ont décidé de se mettre ensemble, à la faveur des premiers états généraux. Ce fut d’ailleurs, l’une des importantes recommandations issues de ces premières assises de la
presse, tenues, à Cotonou, en 2002. Ladite recommandation a été formelle : « mutualiser les énergies pour créer une union faîtière, tant au niveau des professionnels des médias que des patrons de presse ». Voilà, ce qui a été concrétisé, deux ans après, soit en 2004.
Par ailleurs, les textes de l’Union, principalement les articles 18 et 19 des Statuts, recommandent qu’il y ait un bureau de 15 membres dont la composition doit tenir compte, dans la mesure du possible, de tous les secteurs du monde des médias, des régions, de l’approche genre, etc. Ces dispositions ont été respectées depuis 2004 jusqu’à ce jour où nous sommes à la 4ème mandature (2013-2016). L’honneur m’a été fait d’être le 3ème président.
L’Assemblée générale qui a désigné le bureau que je préside a connu la participation d’environ 500 professionnels des médias.
Les déclarations conjointes, les communiqués conjoints avec le Conseil national du patronat de la presse et de l’audiovisuel du Bénin (CNPA-Bénin) semblent mettre un bémol dans votre réponse, surtout s’il faut se référer à l’article 2 des Statuts de l’Union qui veut que l’UPMB soit une association syndicale …
L’article 21 des mêmes Statuts impose au bureau de l’UPMB et à celui du CNPA de former une Assemblée spéciale dont la mission est de se pencher sur les questions de la corporation. En outre, en règle générale, ce n’est pas parce que l’on milite dans un syndicat ou que l’on fasse partie d’un groupe de revendication que le rapprochement avec le patronat est proscrit. Dans ce même ordre d’idée, il est difficile de comparer la presse avec les autres corps de métier qui disposent de syndicat.
Dans notre contexte, nous sommes en présence de plusieurs patrons (A Nouvelle Expression, il y a un patron, A Radio Tokpa, un autre patron, à Canal 3, un autre également, …) où les réalités sont divergentes d’une rédaction à une autre. Le défi à relever, dans ce cas, est de conduire aisément les négociations avec tous ces patrons. D’où, les échanges avec le creuset mis en place par les patrons de presse, à savoir le CNPA, pour s’entendre sur un minimum relatif aux conditions de travail des professionnels des médias.
Toutefois, nous rappelons, à toutes fins utiles, que l’UPMB a aidé à l’installation des délégués du personnel au sein de certaines entreprises de presse. Mais, à ce jour, aucun d’eux n’est venu exposer quelque problème que ce soit. Aussi, le Code du travail permet à tous les travailleurs du secteur privé d’élire les délégués du personnel. Nous ne voyons pas l’UPMB faire à cette disposition. Ce que nous devons simplement savoir est que le syndicalisme commence par la base. Autrement dit, en ce qui concerne le milieu de la presse, il s’agira à chaque professionnel des médias d’être convaincu de son militantisme syndical et de s’organiser au sein de son entreprise pour permettre à l’association faîtière qu’est l’UPMB de leur venir en appui.
Somme toute, il y a un point essentiel à ne pas perdre de
vue, quand vous évoquez l’article 2 des Statuts. Cette disposition souligne dans un premier temps que l’UPMB n’est pas automatiquement une formation syndicale. Elle est d’abord une association, parce que régie par la loi du 1er juillet 1901, avant d’être « à vocation syndicale ».
Ce n’est pas évident que vos arguments convainquent les professionnels des médias dans un contexte où certains sont à peine payés à la fin du mois ?
Nous venons de préciser tout à l’heure qu’il revient à chaque professionnel des médias, à chaque groupe appartenant à un même organe de presse de tirer la sonnette d’alarme. A titre illustratif, en 12 mois d’exercice, c’est souvent à des occasions fortuites que des confrères vous exposent leur problème. Nous leur conseillons de nous saisir par correspondance ; ce qui exposerait clairement les faits et leurs attentes, mais souvent, ces derniers n’y donnent pas de suite. Sinon, pour l’instant, seul un graphiste a régulièrement saisi le bureau de l’UPMB pour indiquer la cessation de paiement de son salaire et nous a fait le point de ses arriérées. A ce sujet, les négociations ont été engagées avec sa direction. A l’exception de ce cas, aucune autre
correspondance relative aux conditions de travail des professionnels des médias du Bénin n’a été enregistrée à notre secrétariat. Nous pouvons même citer un cas. Celui des confrères d’une télévision qui se sont plaints du non
paiement de leur salaire depuis 12 mois. Nous leur avons indiqué de nous saisir officiellement pour que nous nous chargeons du reste. Mais depuis cette conversation, silence radio … En dépit de notre volonté manifeste, sans un acte préalable de nos confrères, il sera très difficile à l’UPMB d’aller vers chaque patron de presse pour évoquer les problèmes que rencontrent les professionnels
des médias au sein dudit organe.
Au lendemain de votre installation, notamment quand on feuillette l’agenda de presse 2014, vous aviez déclaré qu’« A l’horizon 2014, le professionnel des médias doit être mieux valorisé, la carte de presse doit conférer réellement des avantages à son détenteur, la convention collective est respectée par tous les patrons de presse … » Quel bilan peut-on faire de ces défis à relever ?
Il s’agira d’un bilan à mi-parcours. Car, pour un mandat de trois ans, ce n’est pas en un an qu’il faut prétendre relever tous ces défis. Des jalons sont posés. S’agissant du volet "carte de presse", il importe de noter qu’avant notre élection, elle n’avait pas une existence légale. Aujourd’hui, c’est chose faite avec le décret n°2013-393 du 30 septembre 2013 portant conditions de jouissance des avantages liés à la carte de presse en République du Bénin. Ce décret comporte des insuffisances et nous avions été les premiers à affirmer dans l’agenda de presse 2014 et devant l’autorité de tutelle que nous sommes en présence d’une symphonie inachevée. Il faut toutefois noter qu’actuellement nous travaillons avec le ministère de la Communication et des Technologies de l’Information et de la Communication, à
mettre en place un comité pour soumettre un projet de décret à même de contenir les aspirations des professionnels. Avec cette institution, des pourparlers ont
été engagés afin que, désormais, la confection de la carte de presse réponde aux normes modernes.
En ce qui concerne la Convention collective, le diagnostic révèle son inadéquation avec les réalités de l’heure. Elle est devenue caduque. Nous avons entrepris des démarches avec le partenaire Friedrich Ebert dans la perspective d’enclencher le processus de la révision de la convention collective. Par ailleurs, nous avions commis un cabinet qui se chargera de faire l’état des lieux sur le
niveau d’application de la convention collective. Nous saisissons alors cette occasion pour exhorter tous les confrères à se mettre à la disposition du cabinet quand ce dernier passera dans les rédactions. Nous exhortons également les patrons de presse à réserver un bon accueil aux agents du cabinet et à répondre à leurs éventuelles interrogations.
Ce travail réussi nous permettra en 2015 de procéder, en
toute objectivité, à la révision de la convention collective et surtout, de demander que l’attribution de l’aide de l’Etat à la presse privée soit subordonnée au respect des dispositions de la Convention révisée.
Abordons maintenant le point de la valorisation du professionnel des médias. Dans un premier temps, c’est le professionnel des médias qui doit s’engager à être valorisé. Autrement dit, le professionnel des médias doit se convaincre qu’il occupe un rang social qui lui impose de bannir un certain nombre de comportement. Nous ne pensons même pas encore aux perdiems. Mais, faisons
allusion à la tenue, à l’attitude à adopter sur les lieux de reportage. Nous devons accentuer la sensibilisation afin que le journaliste prenne conscience de cette place que lui confère la société et se fasse respecter partout où il sera. Cette étape franchie, le reste du chantier de la valorisation du professionnel des médias coulera comme de l’eau sous les ponts.
Il n’en demeure pas moins, qu’actuellement, au niveau des associations, il y a une dynamisation de la formation du professionnel des médias. Des journalistes de la presse écrite et de l’audiovisuel, des graphistes et des techniciens, bénéficient d’une formation diplomate de deux ans au moins.
Au-delà de ces défisque vous vous employez à relever, quels sont les acquis de l’existence de l’UPMB, 10 ans après ?
La Convention collective dont nous venons de parler en est un. Tout le monde parle de la Convention collective, fustige son non respect, mais oublie que sa signature n’a pas été une chose aisée. Il eut fallu attendre trois années pour arracher cet acte aux patrons de presse.
La Maison des médias est le deuxième acquis qu’il me plaît de citer. Elle est un patrimoine de tous professionnels des médias. Nous envisageons sa réhabilitation pour la hisser au standard contemporain.
Des acquis, nous pouvons en établir toute une liste. Mais,
nous n’allons pas nous y attarder. Evoquons la responsabilité des professionnels des médias vis-à-vis de leur association. Ils ne sont pas les premiers à payer les cotisations, à moins que l’on ne soit dans la fièvre d’une
échéance électorale au sein de la corporation. Non, c’est ensemble, en s’acquittant des cotisations, en soumettant des propositions de projets aux responsables associatifs que nous pourrions obtenir des résultats à la mesure de nos ambitions. Ce n’est qu’ainsi, que nous allons réussir à changer le visage de notre presse. Car, nous n’ignorons pas, que nous sommes dans une corporation abandonnée. En effet, la grande majorité des professionnels des médias sont dans le secteur privé et exerce dans des conditions qu’il n’est pas opportun d’évoquer, au détour d’une interview.
La question, qu’il faut plutôt se poser, est de savoir comment allons-nous travailler, ensemble, pour matérialiser l’image d’une presse moderne que nous projetons dans notre subconscient ? Pour répondre à cette interrogation, notre Union propose que l’on mette fin à la promotion des intérêts égoïstes, où chacun se lève et crée son organe de presse, pour privilégier la création des grands groupes de presse. C’est d’ailleurs, la vision que porte le projet de Code de l’information et de la communication qui, une fois voté, obligera à créer de véritables entreprises de presse où le professionnel des médias est épanoui. Autrement dit, où, il existe un cadre de travail, des équipements, des ressources financières pour faire face aux différentes charges entrepreneuriales, dont le paiement régulier de salaires décents aux professionnels des médias. Eux aussi doivent s’engager, aux côtés de leur association faîtière, pour gagner cette bataille.
Vous évoquiez au passage le vote du projet de Code de l’information et de la communication. Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous en ce moment qu’il est inscrit à l’ordre du jour de la seconde session ordinaire de l’Assemblée nationale ?
Vous avez raison. Le projet de Code de l’information et de la communication fait partie des points inscrits à l’ordre du jour de la session budgétaire, actuellement en cours à l’Assemblée nationale. C’est déjà un pas de gagné, quand nous savons que ce projet a été accueilli sur la table deshonorables députés, au cours du mois de mai.
Dès ce dépôt, nous avions échangé avec le président de la
Représentation nationale sur la nécessité pour notre Bénin de disposer d’un Code de l’information dépénalisé. Le même exercice a été accompli avec les honorables députés qui ont étudié le projet. Cette explication préliminaire pour vous signifier que notre option à l’UPMB est de doter notre profession d’un Code débarrassé de toutes les peines d’emprisonnement. Ceci, à l’instar des Etats comme le Tchad, le Niger ou le Togo, qui n’ont pas la même réputation démocratique que notre pays, mais qui ont introduit dans leur arsenal juridique, la vocation de ne plus enfermer les journalistes pour des délits de presse.
Les autorités rencontrées nous ont compris et nous pensons qu’elles iront dans ce sens.
D’aucuns soutiennent que l’UPMB est un oasis sans difficultés. Quelle en est votre lecture ?
Nous sommes convaincus que vous ne partagez pas le même point de vue qu’eux. Actuellement, les difficultés que rencontre l’UPMB peuvent être classées en trois groupes.
En premier, les difficultés du non paiement des cotisations par ses membres. Les différents bureaux qui se sont succédé à la tête de l’Union, depuis 10 ans, ont été confrontés à ce problème. Les professionnels des médias, dans leur exigence légitime de voir l’Union produire des résultats tangibles, taisent leur obligation de la doter des moyens adéquats. Ils oublient que les premiers moyens de l’association passent par les cotisations.
La deuxième difficulté est relative à l’amenuisement des
ressources provenant des partenaires. Ceux-ci estiment que la démocratie béninoise marche sur des roulettes et qu’il n’est pas primordial d’appuyer la presse.
La troisième difficulté a trait au renouvellement de nos instances de décision. Il a été observé que les assemblées générales électives ont été des moments de vives tensions. Pour y remédier, la 4ème mandature a dégagé un créneau lors de cette première année d’exercice, au moment où il n’y a aucun enjeu, pour procéder aux réformes des textes. Ainsi, le 12 septembre 2014, l’Assemblée générale ordinaire a ôté des Statuts, la
possibilité de recourir aux procurations lors des scrutins. Toujours dans un souci d’efficacité, l’Assemblée générale a supprimé le poste de Porte-parole qu’assume, dans la pratique depuis 10 ans, non le titulaire mais le président de l’Union.
En revanche, la création du poste de chargé à l’innovation dans les médias, des questions de technologie de l’information et de la communication a été décidée par l’Assemblée générale.
Ce travail abattu par l’Assemblée générale nous donne l’espoir qu’avec la nouvelle mouture des Statuts de l’UPMB, le renouvellement de nos organes dirigeants sera de plus en plus paisible.
Est-ce le même regard que vous portez sur l’UPMB en 2024 ?
Lorsque nous avions décidé de mettre toutes les associations des médias ensemble, d’aller à une fusion en 2002, c’est pour qu’il y ait une Union qui puisse mieux défendre l’intérêt des professionnels des médias. Après dix années de matérialisation de cet objectif, nous observons qu’en dépit des écueils, nous avons une UPMB qui évolue. Alors, notre souhait est qu’en 2024, notre association demeure effectivement à la hauteur des ambitions des professionnels des médias. Dans 10 ans, une voudrions voir une Union davantage plus grande où le professionnel des médias est réellement épanoui.