A l’origine, elle ne fut que grogne populaire ; une partie du peuple exprime alors son ras-le-bol face aux dirigeants. Le moyen pour les populations, entre deux élections, de révéler un certain mal-être, dans les rues. On dit d’ailleurs de la démocratie qu’elle est fille de la rue lorsqu’en juillet 1989, le peuple de Paris a décidé de mettre fin à la monarchie consacrant ainsi la célébrissime révolution française fondatrice de la République. Depuis lors, on marche partout pour dénoncer, revendiquer, réclamer ; la marche protestataire par vocation. C’était sans compter avec les timoniers, pères-de-la-nation, refondateurs sous les tropiques, en quête de soutien, d’adulation, de célébration voire d’adoration. Désormais donc les marches ne sont plus seulement pour la protestation ; elles sont pour des soutiens voire pour susciter des candidatures, des maintiens au pouvoir, des révisions de constitution ; si ce n’est pour remercier le grand chef de ses bienfaits au peuple ou implorer le ciel de lui accorder une vie éternelle.
Porto-Novo, le 10 et Cotonou, le 11 décembre 2014 ont permis aux Béninois de redécouvrir le sens premier de la marche ainsi que sa dérivée tropicale. A Porto, le PRD était en marche de protestation contre les blocages que subi le processus électoral notamment la correction de la Lépi. Il est soutenu en cela par ses alliés de la Plateforme, ulcérés par le fait que les agents recenseurs n’aient pas été payés jusqu’à la fin des opérations de récolte de données sur le terrain malgré les promesses et les annonces de décaissements de la part du gouvernement. Très bientôt, la liste apprêtée devrait être imprimées en quantité industrielle et affichée dans toutes les contrées du pays. Un lourd investissement en perspective sans que l’accompagnement du gouvernement, gestionnaire du trésor public, ne soit garanti. Pour cela, les opposants et les forces démocratiques ont observé la marche de protestation.
Désapprobation rééditée le lendemain à Cotonou conjointement avec la Plateforme du 29 octobre, soutenu cette fois-ci par la Renaissance du Bénin et certains autres regroupements politiques. Mais à chacune de ces protestations a été opposée une autre manifestation de soutien au régime en place, dans la même ville, presque à la même heure et le même itinéraire. Sous prétexte de la vitalité de la démocratie caractérisée par une pluralité des opinions. Chacun pouvait ainsi manifester sa joie ou sa frustration selon ses convictions. Marches de protestation et marches de soutien pourraient cohabiter aisément surtout dans un pays aussi pacifique comme le Bénin. Effectivement, les différentes processions se sont côtoyées sans se heurter.
Les Béninois se seraient donc contentés de célébrer cette supposée diversité d’expression si et seulement si quelques petites phrases distillées au meeting improvisé lors de la marche des partisans du régime au stade de l’Amitié de Kouhounou n’avaient pas retenu l’attention : "Dès qu’ils vont organisent quelque chose nous allons répliquer" proclamait un orateur mouvancier. "L’enfant qui refuse à sa mère de dormir ne trouvera pas le sommeil" a renchéri un de ses compagnons. Un signe que régime n’a pas organisé ses marches juste en l’honneur de l’anniversaire du référendum constitutionnel du 11 décembre 1990 ; mais pour riposter à ses opposants. D’ailleurs la marche pro-Yayi de Porto-Novo s’est déroulée la veille du prétendu anniversaire qui autrefois n’avait jamais bénéficié d’autant d’engouement. En clair, les yayistes ont marché et comptent marcher à nouveau pour contrer leurs détracteurs ; des marches contre d’autres marches, à défaut de les interdire ou les mater comme ce fut le cas en décembre 2013.
Ce n’était donc pas une marche pour la constitution mais plutôt une marche contre les opposants marcheurs...