A l’occasion des 24 ans de la Constitution béninoise, le professeur Joël Aïvo a été invité à apprécier le chemin parcouru. Il se dégage des propos du constitutionnaliste, que la Loi fondamentale béninoise mérite d’être révisée, mais la méfiance des uns envers les autres freine son actualisation.
« Mon sentiment, c’est une grande satisfaction, même si elle n’est pas absolue. Il peut y avoir des regrets sur des problèmes que nous avons connus. Mais, malgré cela, pour la première fois de notre histoire, nous avons une Constitution qui nous a garanti la paix et les libertés, l’alternance et la stabilité. Depuis 1990 en effet, nous vivons dans un climat apaisé, malgré quelques ressentiments qu’on peut avoir. Pour autant, cela ne veut pas dire que cette Constitution n’a pas quelques faiblesses. Elle n’a pas toujours été bien appliquée, et le gouvernement a parfois violé certaines de ses dispositions. Mais, ma satisfaction est aussi liée au fait que cette Constitution est considérée comme un modèle en Afrique.
Le contexte dans lequel nous évoluons depuis quelques semaines, avec les marches de protestation, démontre que c’est un anniversaire particulier. Ce qui est difficile à comprendre, ce sont les marches organisées en Afrique pour soutenir des présidents qui cherchent à réviser la Constitution pour s’éterniser au pouvoir, ou qui ne respectent pas leurs engagements. Le fait que nous soyons là à exiger l’organisation des élections, c’est une forme d’insatisfaction. Cela n’est pas imputable à la Constitution, mais plutôt à une mauvaise application due à la manière dont le gouvernement conduit sa politique. Le regret, c’est d’avoir des hommes d’Etat, les hommes politiques qui n’arrivent pas à appliquer la Constitution dans son esprit et à la lettre, mais essaient de biaiser, avec les dispositions de la Constitution. La Constitution prévoit d’organiser des élections régulières, libres et transparentes. Dire que les élections locales ne sont pas prévues par la Constitution, c’est faux. Car, cela fait partie des dispositions prévues par la Loi fondamentale. Ce qu’il faut enlever ou améliorer dans cette Constitution, doit susciter un gros débat. Il n’y a pas de Constitution qui ne nécessite pas qu’on la révise. Ce qui importe, lorsqu’on en arrive à parler de révision, c’est qu’il y a des faiblesses ou des failles. Car, sur certaines de ses dispositions, cette Constitution peut paraître moins précise, ou obscure. Mais, ce qui est important, c’est de se poser la question de savoir ce qu’on peut réviser, et à quelles conséquences on peut s’attendre sur l’équilibre général de la Constitution. L’institutionnalisation de la Céna n’est pas une panacée. La vraie question, ce n’est de mettre ou non la Céna dans la Constitution. L’essentiel, c’est de savoir la nature de la Commission électorale que nous voulons pour organiser les élections. Cette commission doit-elle être politique ou technique ?
Ce qui pose problème aujourd’hui avec la question de la révision de la Constitution, c’est surtout le degré de confiance que les Béninois ont à l’égard de ceux qui parlent de révision. C’est aussi la question de la légitimité de ceux qui en parlent, surtout quand on sait que le gouvernement a des attitudes et tient des propos qui ne rassurent pas les populations. On craint qu’après avoir révisé, de façon banale et triviale, cette Constitution, cela ne va pas déboucher sur un gros piège. On n’arrive pas à guérir les gens qui sont échaudés, qui pensent qu’il peut avoir un piège derrière cette révision, et qui exigent le consensus. Il faut donc un dialogue sincère et profond entre les acteurs de la classe politique. Quand les acteurs politiques auraient créé les conditions de ce consensus, on peut les éclairer sur les orientations à suivre. Mais, le problème aujourd’hui, c’es celui de la légitimité, et du manque de confiance des Béninois en ceux qui conduisent ce processus ».