L’Honorable Amissétou Affo Djobo, membre des « Femmes baromètre » a accordé un entretien dimanche 14 décembre 2014, aux journalistes de Canal3. Elle y revient sur les conséquences de la marche organisée par la Plate-forme et ses alliés, le jeudi 11 décembre dernier pour exiger l’organisation des élections. Critique, et très remontée contre la gouvernance de Yayi Boni, l’invitée voudrait que le prochain président soit plus à l’écoute, moins populiste et moins démagogue.
Canal 3 : Après la marche du 11 décembre, quelle est la priorité de la Plateforme ?
Amissétou Affo Djobo : La priorité, c’est l’organisation des élections. Nous ne voulons pas nous retrouver le 15 mai 2015, à nous regarder. L’organisation des élections communales et locales est la première des priorités. Nous voulons des élections transparentes et crédibles. Il y aura ensuite les législatives et la présidentielle.
Est-ce que la diversité des membres de la Plate-forme n’est pas un handicap ? Est-ce qu’on peut craindre un éclatement ?
Nous ne sommes pas une alliance politique. On s’est rassemblé pour l’ouverture d’un dialogue, et l’organisation des élections. Le dialogue est nécessaire pour qu’on trouve une solution pour sortir de l’impasse actuelle. Le protocole additionnel de la Cedeao interdit de voter les lois électorales six mois avant les élections. Or, nous sommes maintenant à moins de six mois avant les législatives. Le dialogue est donc nécessaire pour que le protocole soit respecté. Il nous faut donc toucher au Code électoral, pour ne pas avoir à subir les conséquences au niveau de la Cedeao. Dans le dialogue, nous mettons aussi l’accès aux médias d’Etat. Les opposants n’ont plus accès à l’Ortb. Alors que la Constitution donne le droit à tout le monde d’aller s’exprimer sur l’Ortb. Mais le système de Yayi dit non. Le gouvernement fait de l’amalgame. Personne n’a envie de participer à la gouvernance de Yayi. Le système est pourri de l’intérieur. On préfère les accompagner vers la sortie. Après 2016, nous allons reprendre le pays en main.
Est-ce que le système Yayi est vraiment pourri ?
De toutes les façons, plus personne au niveau de la Plateforme, ne veut participer à un quelconque gouvernement de Yayi. Nous ne voulons pas de poste ministériel, nous voulons sauver la démocratie. Les élections sont importantes pour une démocratie. Nous voulons sauver notre démocratie chèrement acquise. C’est cela notre combat.
Il y a comme une crise de confiance entre vous et le Chef de l’Etat. Vous avez du mal à croire en ses promesses ?
Il y a crise de confiance. Dites moi une seule chose que Mr Yayi a promis ou énoncé, et a respecté. Il n’y en a pas. Qu’est ce que vous voulez qu’on fasse. Nous ne pouvons qu’avoir peur de lui.
Mais on peut considérer qu’il a posé un premier pas pour prouver sa bonne foi, en vous invitant à un dialogue. Mais vous avez préféré la position de la chaise vide.
Un dialogue, c’est une discussion entre deux parties pour trouver un compromis. De ce point de vue, cela se prépare à l’avance. On détermine d’abord les points de divergence, avant d’aller au dialogue. Un dialogue a un objet, et un cadre bien défini. C’est vrai qu’ils nous ont invités à une réunion préparatoire, mais le ministre Sonon a estimé que quatre heures c’était trop pour préparer une telle réunion. Un véritable dialogue ne se fait pas dans la précipitation, ni dans la caporalisation ou l’instrumentalisation. J’étais à cette réunion préparatoire. On a demandé au ministre de quoi nous allons discuter le lendemain. Le ministre nous a répondu, qu’une fois au Palais, nous allons identifier les problèmes et les goulots d’étranglement. Nous avons compris, que c’est un piège, et une mascarade.
Est-ce qu’on n’aurait pas pu avancer si tout au moins vous vous étiez rendu à ce dialogue ?
Non, le gouvernement voulait nous utiliser pour convaincre les Ptf, et montrer qu’il y a effectivement un dialogue. Nous ne voulons pas servir de faire-valoir. Le réel problème qui mine le Bénin, c’est la gouvernance de Yayi Boni. Le système Yayi a l’art de tout instrumentaliser. On ne peut pas connaître quelqu’un et se laisser piéger par cette personne.
Vous auriez pu y aller et refuser ou dénoncer ensuite
Le dialogue, il faut le faire ailleurs qu’au Palais de la présidence. Le Palais, ce sera pour célébrer les résultats auxquels on serait parvenus. Le président serait là aussi dans son fauteuil, à invectiver et à donner des ordres.
Pourquoi la Plate-forme ne prépare pas un chronogramme et le soumet à l’autre partie. ?
Ce n’est pas notre rôle. C’est au président de prendre l’initiative. Notre rôle est de dénoncer, et tout gouvernement responsable doit saisir la perche. Yayi Boni qui se considère comme le plus intelligent de tous les Béninois, n’aurait pas accepté nos propositions.
Ce qui s’est fait au Palais, vous l’appelez monologue. Mais il y a eu deux annonces à la sortie : les communales pour le 26 mars, et les législatives un mois plus tard. Est-ce que vous y croyez ?
Vous m’apprenez des choses. J’ai déjà demandé au ministre Sonon sur un plateau de télé, c’est quoi les décisions. Il n’y en avait pas. Ce sont les simulations de la Cena qu’on nous a servies. La Cour constitutionnelle avait demandé une liste pour le 30, nous ne l’avons pas eue. On a dit le 17 décembre, mais ce ne sera sûrement pas le cas. On nous dit que ce sera dans la première semaine de décembre. Qu’est –ce qu’on fera alors, si nous n’avons pas cette liste en janvier ? Nous nous devons d’agir, pour ne pas avoir à être mis devant le fait accompli. C’est pourquoi, nous éveillons la conscience du peuple, pour que demain on ne nous dise pas qu’on a rien fait. Nous venons d’organiser une marche. Nous allons maintenant évaluer et vous dire les actions qui vont venir. Entre-temps la Plateforme a été rejointe par le Prd et la Rb. Je pense donc que la classe politique est prête. Nous allons continuer par mettre la pression jusqu’à avoir satisfaction.
« Il affiche un mépris pour tout le monde ».
Il y aurait une marche en préparation pour aboutir à la Place des martyrs. Qu’est-ce que vous en dites ?
Je ne suis pas au courant. Mais le gouvernement ne doit pas nous laisser le choix d’en arriver là. On ne le souhaite pas. On doit travailler à avoir le consensus le plus vite possible.
Il y a une nouvelle revendication qui est venue se greffer sur les autres. Ce sont les nouveaux contrats Pvi. Pourquoi cela ?
La mal gouvernance, elle est sociale et économique. Notre pays est à genoux. C’est la faute à Yayi Boni, puisque c’est en son temps que tous les opérateurs économiques sont devenus des exilés politiques. Les redressements fiscaux, et la mévente sont devenus une banalité. Nos parents qu’on a transformés en bétails pour les transporter pour faire une marche à Cotonou, qu’est-ce qu’on leur a dit pour qu’ils courent dans les camions ? On leur a promis 40 000 ou 50 000 francs Cfa hypothétique. Ils ont accepté de mettre leur vie en danger pour venir à Cotonou. C’est dangereux, quand on connaît l’état des route. Si quelqu’un a accepté de voyager jusqu’à Cotonou, c’est grave. Apparemment, Yayi Boni n’a pas peur d’endetter le pays avant de partir. S’il advenait que le Bénin soit définitivement condamné, il sera où en ce moment là. Ce sera toujours la même litanie : je ne le savais pas. On fera quoi avec quelqu’un qui renie sa propre signature ? Cette revendication qui est venue se greffer aux autres, forme un tout. Toutes les occasions pour mettre la pression sur Yayi Boni sont bonnes.
Par rapport aux nouveaux contrats Pvi, qu’est-ce que vous voulez du gouvernement ?
C’est un dossier que je ne maîtrise pas bien. Je sais simplement qu’il y a de l’injustice, de la méchanceté et de la jalousie gratuite dans ce dossier. Quand on en veut à quelqu’un au point de mettre un peuple à genoux, c’est méchant. Le tout soutenu par le mensonge au sommet de l’Etat. Je ne sais pas ce que le pays a fait pour mériter cela. C’est triste. Nous devons pleurer. Mais, par la grâce de Dieu, nous sommes encore debout. Nous allons continuer le combat. Je n’ose pas faire des vœux pour 2016, mais celui qui viendra, aura du pain sur la planche.
Quand vous parlez de mensonge au sommet de l’Etat, est-ce justifié ? N’est ce pas un problème d’incompréhension ?
Il n’affiche pas les aptitudes qu’il faut pour qu’on le comprenne alors. Il est tout le temps en colère, il en veut à tout le monde. Il veut amener les siens, de je ne sais où, pour affronter les autres. Il affiche un mépris pour tout le monde.
Ce que vous dites peut paraître une contradiction, puisque le Chef de l’Etat est tout le temps sur le terrain en contact avec les populations
Justement, c’est cela qui n’est pas bien. Qu’il aille s’asseoir un peu quelque part. il ne faut pas vous laisser tromper. Un chef d’Etat qui passe tout son temps à poser des pierres, à aller dans des maisons pour faire des surprises aux gens, on ne l’a pas élu pour çà. Qu’il aille s’asseoir pour lire les dossiers du pays. Il comprendra que cela ne va pas.
Il a peut–être besoin d’être proche du peuple !
Moi je suis chez moi. Je n’ai pas besoin qu’il vienne me voir. On n’en a rien à foutre à voir un président. Il y a des gens qui sont morts sans avoir vu leur président. Il n’est pas le premier, il ne sera pas le dernier. Qu’il travaille pour le pays. Cela nous rapporte quoi de le voir dans les cuisines, dans les wc, aux toilettes, partout.
Ce qui est paradoxal, c’est que ceux qui ont travaillé avec le général le portent toujours en estime, contrairement à Yayi Boni . Comment peut-on expliquer cela ?
Il faut arrêter de comparer Yayi à Kérékou. Le général à de la méthode, et le respect de l’autre. Il n’est pas envieux. Il ne va pas chez quelqu’un pour ensuite dire, qu’est-ce qu’il a fait pour construire cette maison. Kérékou respecte sa parole, ses collaborateurs. Il a une parole. A part les sorties officielles, vous l’avez vu faire ce à quoi nous assistons-là ? En plus, il est fidèle en amitié. Mais, tout le monde sait que Yayi Boni n’a pas d’ami. On ne peut pas travailler avec quelqu’un comme çà. Vous savez ce que les ministres de Yayi Boni vivent tous les jours ? Personnellement, il ne correspond pas mon idéal politique. C’est pour cela que je suis partie. A son arrivée en 2006, l’espoir était grand. Il a déçu tout le monde. Il humilie ses ministres. Il est capable de vous traîner dans la boue pour se tirer d’affaire. Quand il détruit la vie et la carrière d’une personne, vous voulez que cette personne le porte dans son cœur ? Il sait qu’en faisant cela il vous détruit, mais il le fait quand même. Vous voulez que cette personne le porte dans son cœur. J’ai payé un lourd tribut à la révolution sous Kérékou. Mais j’ai déjà pardonné. Avec, Yayi Boni c’est différent. Vous travaillez avec quelqu’un, vous le servez, et à la moindre occasion, il vous tue définitivement.
« Le prochain président doit être moins agité. Il doit avoir l’écoute et le discernement. Il doit réfléchir avant d’agir »
Vous dites que le pays est complètement à terre, et que c’est la catastrophe au plan économique. Le dernier rapport de Transparency international révèle que le Bénin a gagné quelques place sur le plan de la lutte contre la corruption.
Je ne fais aucune confiance à ses organismes. Ce sont des chiffres truqués qu’on leur donne. Ils se moquent de nous. Est-ce que vous ressentez sur le terrain que la corruption a baissé ? Moi je ne le ressens pas. Le Fonds monétaire international nous donne aussi des chiffres faux.
Le combat des Femmes baromètres, c’est quoi en réalité ?
Nous avons assez laissé les hommes faire le combat. Il fallait donc que nous élevons le ton. Avec tout ce que nous voyons, avec notre sensibilité de mère, on ne pouvait plus se taire. Nous voulons être des éveilleurs de conscience. Nous représentons près de 52 % de la population du Bénin, mais nous n’avons jamais pu envoyer 20 femmes au Parlement. Il y a donc un travail à faire. C’est cela qui explique nos dernières tournées à travers le pays. Nous sommes venues à la rescousse des hommes politiques.
On vous compare aux femmes bulldozers. Où se situe la différence ?
Je ne les connais pas.
Que devient alors l’Alliance Abt ?
Nous sommes là. Nous travaillons dans la discrétion. Les structures sont en train d’être installées sur toute l’étendue du territoire national. L’Alliance organise beaucoup de conférences. Nous prenons aussi exemple sur l’échec à la présidentielle passée pour adapter notre méthode. Partout où nous passons, le « Tabati taba » est toujours de mise. Vous en avez eu la preuve à la marche du 11 décembre. Le président était là. Et chaque fois, que son calendrier le permettra, il sera là.
Sur Rfi, Abdoulaye Bio Tchané a parlé de la croissance économique africaine. Mais, il ne se prononce pas beaucoup sur ce qui se passe au Bénin. Pourquoi ?
Il laisse le soin à d’autre de le faire. C’est la nature de l’homme. Il veut mettre tout le monde au travail. Il ne veut pas tout faire lui-même. C’est-à-dire dans les toilettes, à la cuisine. Il a des compétences autour de lui, et il veut les mettre en valeur.
La rencontre entre Aboulaye Bio Tchané et le Général Gbian à Paris, de quoi cela retourne ?
Ils sont tous deux béninois. Ils ont le droit de se rencontrer. En plus les deux sont de potentiels candidats à la présidentielle de 2016. Il n’y a rien de plus naturel que les deux se voient pour échanger.
C’est quoi pour vous, le profil du meilleur candidat pour 2016 ?
Il doit être moins agité. Il doit avoir écoute et discernement. Il doit réfléchir avant d’agir. Ce n’est pas sorcier d’être président. Mais, il faut respecter les autres, ne pas mépriser tout le monde. Il ne sert à rien de faire des promesses et de ne pas les tenir. Il faut respecter le peuple, même si c’est un peuple pauvre.
Votre conclusion
Je veux déplorer quelque chose. Que nos populations n’acceptent plus qu’on les méprise comme on l’a fait il y a quelques jours, en les transportant du Nord, comme du bétail, pour venir marcher à Cotonou. Il faut aussi renoncer avec les promesses qui ne seront jamais tenues. Je remercie le peuple qui est sorti pour la marche. Si on doit en arriver à une troisième marche, il faut que les populations soient prêtes. Et qu’elles sortent massivement à nouveau. Personne n’est heureux de la manière dont le pays est actuellement gouverné. Donc, de grâce, monsieur le président, faites une pause, et écoutez le peuple.