Informer les populations de l’évolution du dossier du différend frontalier Burkina-Bénin et des initiatives des autorités burkinabè pour leur bien-être ; les sensibiliser à la nécessité de préserver des liens d’amitié et de fraternité avec les populations béninoises et leur indiquer les voies et recours face aux situations conflictuelles avec les acteurs du pays voisin. C’est l’objet de la visite du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité, Auguste Denise Barry, à Koalou, ville frontalière avec le Bénin disposant d’un statut particulier du fait du différend qui existe entre les deux pays en ce qui concerne leur frontière. C’était le samedi 27 décembre 2014.
Nous sommes le samedi 27 décembre 2014 à Koalou, zone tampon entre le Burkina Faso et le Bénin. Il est presque 11h et demie lorsque la délégation conduite par le ministre burkinabè de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité pénètre dans la ville. Le premier véhicule local que nous croisons est celui d’une patrouille de la gendarmerie béninoise.
- «Sommes-nous en territoire béninois ?», s’interroge-t-on dans le pick-up qui nous transporte.
- «Non, nous sommes dans une zone objet d’un différend frontalier entre le Burkina et le Bénin dont la gestion incombe à un comité mis en place par les deux pays», répond le représentant de la Direction de la communication du MATDS.
Nous continuons jusqu’à la place de l’école primaire de la localité où est attendue la délégation, qui s’y rend pour une mission de sensibilisation des populations.
Mais sensibiliser les populations à quoi ? Ebola ? Le Sida ? Non, pas du tout, plutôt les sensibiliser au statut de la zone de Koalou (Kourou pour les Béninois) et à celui de ses habitants… Il s’agit pour le ministre Auguste Denise Barry «d’informer les populations de l’évolution du dossier du différend frontalier Burkina-Bénin et des initiatives des autorités burkinabè pour leur bien-être» ; «de les sensibiliser à la nécessité de préserver des liens d’amitié et de fraternité avec les populations béninoises» et de leur «indiquer les voies et recours face aux situations conflictuelles avec les acteurs du pays voisin».
Histoire d’un différend
Le Burkina Faso et le Bénin partagent une frontière qui s’étend sur 376 km et n’est ni délimitée ni démarquée. Ce qui a engendré un différend entre les deux pays sur les limites de leurs territoires respectifs. C’est ainsi que depuis 1980, les deux parties, dans «un souci commun de raffermir leurs liens d’amitié et de coopération», ont entamé un processus qui vise à matérialiser cette frontière. La Commission mixte paritaire de délimitation (CMPD), avec pour missions principales la recherche de documents (cartes et textes) sur la frontière, sa définition et son abornement, a donc été créée. Les travaux de ladite commission ont permis de trouver un consensus sur le tracé de la ligne frontière allant du point triple Bénin-Burkina-Niger jusqu’à l’intersection du fleuve Pendjari avec le 11e parallèle. Cependant, des divergences d’interprétation subsistent qui concernent la zone de Koalou jusqu’au point triple avec le Togo. Chose qui a bloqué les travaux de la CMPD.
La voie diplomatique n’ayant pas conduit à une solution définitive du différend et au regard de la multiplication des incidents dans cette zone, les deux Etats ont finalement recouru à la Cour internationale de justice (CIJ) à travers un compromis signé le 7 septembre 2009 à Cotonou. Un accord entre eux a donc permis d’ériger Koalou en «zone à statut particulier» et de mettre en place un Comité mixte de gestion concertée de la zone. Les deux parties ont donc convenu de se garder de toute initiative unilatérale ou de nature à remettre en cause le statut de la zone dans l’attente de l’arrêt de la CIJ.
Mais depuis 2010, la partie burkinabè a constaté une violation récurrente des termes du Compromis de Cotonou par la partie béninoise ; quarante-quatre actes de souveraineté y ont, en effet, été posés de façon unilatérale par l’ex-Dahomey : dernier acte en date, et non des moindres, le 30 octobre 2014 alors que le peuple burkinabè était en pleine insurrection pour des raisons qu’on sait, les «frères et amis» béninois y ont érigé des infrastructures, en contradiction avec l’esprit du Compromis. Il s’agit notamment de travaux d’électrification de la zone tampon et d’adduction d’eau potable, à quoi on peut ajouter la construction d’une maison des jeunes qui était intervenue quelque temps plus tôt. Par ailleurs et selon les mêmes accords, le Burkina a établi son poste frontalier à Tindangou (à 30 km de la frontière naturelle qui est le fleuve Pendjari) tandis que celui du Bénin s’est établi à Porga à quelque 5 km du même fleuve. Pourquoi 5 km et pas 30 comme le Burkina et comme le prévoient les textes ?
Des actes unilatéraux
Tous ces éléments ont contribué à frustrer les populations burkinabè de Koalou qui ont voulu comprendre ce qui se passe. «Sommes-nous Burkinabè ou Béninois ?», s’est interrogé le chef coutumier gourmantché de Koalou. «Nous ne comprenons pas ce qui se passe ici, car les Béninois viennent faire des investissements ici pendant que vous êtes absents», a-t-il déclaré à son hôte du jour. Réponse du colonel ministre : «Les actes unilatéraux des autorités béninoises sont inamicaux et de nature à affirmer leur souveraineté sur la zone de Koalou. Nous sommes venus vous dire que nous comprenons vos frustrations et que nous ne vous avons pas abandonnés. Mais il y a un compromis que nous devons respecter et que nous respectons. Nous ne pouvons pas agir comme les Béninois le font, ce n’est pas dans l’esprit des accords en attendant que la Cour internationale de justice tranche. Nous sommes venus vous expliquer la situation et vous traduire notre volonté de solutionner le problème par la voie diplomatique et pacifique. Vous pouvez en être sûrs». Le ministre a invité les habitants de Koalou à continuer à avoir des comportements fraternels et amicaux envers les Béninois. L’envoyé spécial du gouvernement burkinabè a traduit la volonté de son pays de développer la zone au profit des populations, mais dans le cadre du Compromis de 2009. Il a aussi invité les habitants de Koalou à observer toujours la retenue et à ne pas céder à la provocation. Selon lui, «le Burkina reste attaché au premier engagement afin que le règlement soit pacifique», mais, a-t-il tout de même ajouté, que «les intérêts de la Nation seront défendus jusqu’au sacrifice suprême».
«La résidence du gouverneur»
Les différents travaux d’investissements socio-économiques à Koalou, œuvres de la partie béninoise, portent l’empreinte d’un homme : Barthélemy Kassa, ministre de l’Energie et des Mines du pays de Yayi Boni. D’aucuns disent à Koalou qu’il est ressortissant de la localité, d’autres par contre affirment le contraire. Pour sûr, l’homme est celui qui foule le plus aux pieds les accords de 2009. En effet, les travaux d’électrification et d’adduction d’eau potable, la construction de la maison des jeunes, etc. sont ses réalisations selon les témoignages sur place. A Koalou, au bord de la route menant au Bénin, à quelque trois kilomètres de la frontière naturelle, M. Kassa a construit une résidence qui lui sert de pied-à-terre. A la devanture, il avait fait écrire «Résidence du gouverneur de Porga». Eh oui ! Pour les Béninois en effet, Koalou, qu’ils appellent Kourou, relève de la région de Porga.
Mais que fait-on donc du Compromis de 2009 de l’autre côté du Pendjari ? En tous les cas, à Ouagadougou, l’on n’est pas près de poser des actes de réplique, mais à faire des actions appropriées comme il y en a de prévu en de telles circonstances. Il nous est revenu que le contact a été établi hier lundi entre le gouvernement burkinabè et l’ambassadeur du Bénin résidant à Bamako. Une équipe gouvernementale se serait rendue à Koalou pour constater l’ampleur des actes de la partie béninoise. Affaire à suivre !