A la gare routière de Godomey de Cotonou, c’est l’ambiance des grands jours, des grands départs. Des milliers de pèlerins, dans ce pays qui compte 17% d’animistes, vont se rendre à Ouidah pour célébrer les divinités du panthéon vaudou, samedi 10 janvier. Mais, cette année encore, le déplacement s’annonce périlleux et il faudra s’armer de patience. L’autoroute Godomey - Ouidah (32 km) est en réfection depuis plus de trois ans. Il n’est ouvert qu’à moitié.
Sur la partie non goudronnée, qui s’étend sur 18 km, d’énormes nuages de poussières se lèvent au passage des véhicules. Dans le ciel, le sable qui se mêle au brouillard en cette période d’harmattan, aveugle le chauffeur de taxi qui conduit avec prudence. A l’intérieur de l’habitacle, où nous sommes confinés à sept pour seulement cinq places, on se protège en masquant tant bien que mal son visage.
Une heure de trajet environ et voilà Ouidah, cité historique des Pédah (peuple autochtone), mais aussi des derniers descendants d’esclaves revenus il y a plus de deux siècles, après s’être affranchis. On les reconnaît grâce à leurs patronymes, puisqu’ils portent encore le nom de ces maîtres négriers que leurs aïeux ont servis dans les différentes plantations sucrières de l’autre côté de l’Atlantique.
Pendant toute l’année, la ville berceau du vaudou respire le calme et la sérénité surtout en comparaison de Cotonou. Mais au jour de l’an, et surtout à l’approche du 10 janvier, elle s’anime, s’égaie. Sauf que cette année, il semblerait que le cœur de Ouidah n’y est pas. Si les Béninois ont répondu présent à leur grande fête nationale, très peu d’étrangers sont venus. D’habitude, ils arrivent en masse de Cuba, du Brésil ou des Antilles, en se réclamant fièrement être originaires du Bénin et plus précisément de Ouidah, l’un des ports négriers entre les XVII et XIXièmes siècles. Un million d’hommes, de femmes et d’enfants sont partis de ces plages.
Dans son palais, siège mondial du vaudou appelé « Houxwe » - où l’on ne compte plus les fresques, les statuettes, les représentations et les divers tableaux à la gloire des dieux vaudou - Daagbo Hounon, chef suprême et souverain pontife du culte vaudou (de son nom d’intronisation Tomadjlehoukpon II Houwamenou) s’est levé de bonne heure. Il vient d’achever sa prière matinale pour les différents dieux du panthéon.
Daagbo Hounon ne cache pas ses regrets de voir la fête du 10 janvier se dérouler sans « les frères de la diaspora ». L’épidémie d’Ebola, qui sévit depuis plus d’un an en Afrique de l’Ouest est, en est la principale cause.
« Ce sont les frères de la diaspora qui nous aident à faire cette fête à travers leurs différentes contributions, déplore le chef suprême. Mais cette année, le virus les a effrayés. Des frères de la diaspora m’ont expliqué que leur voyage était reporté à l’année prochaine à cause d’Ebola. » Dans les hôtels, les boutiques de souvenirs et les restaurants, on fait aussi grise mine.
A la peur du virus chez les adeptes étrangers s’ajoute le climat politique particulièrement maussade du Bénin, puisque l’opposition réclame toujours en vain un calendrier électoral.
Et il y a enfin les prédictions des prêtres vaudou. Elles ne donnent pas vraiment le moral en ce début d’année. Le « fâ », la divinité qui permet de prédire l’avenir, prévoit une année 2015 émaillée d’infortunes diverses. « Il y aura beaucoup de décès cette année, annonce le chef suprême du vaudou. Je vois aussi la multiplication des relations adultères. Il faudra faire attention, car certaines trahisons pourront coûter très cher... », prévient le chef suprême du culte vaudou.
« L’ire des dieux »
Pour les prêtres vaudou dans leur grande majorité, « c’est l’ire des dieux qui auraient provoqué ce mauvais présage, à cause de l’irrespect observé envers eux et le manque de dévotion des hommes. »
Selon le responsable du culte de la divinité « Dan », le dieu Arc-en-ciel, « le peuple béninois a tourné le dos à ses dieux, à cause du christianisme. C’est pourquoi ils sont en colère et demandent à ce qu’on revienne vers eux... »