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« Cette décision risque de ne pas être appliquée » dixit Victor Topanou
Publié le lundi 12 janvier 2015   |  24 heures au Bénin


Enseignant
© Autre presse par dr
Enseignant à l’Université et animateur de la vie politique nationale, Victor Topanou


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Enseignant à l’Université et animateur de la vie politique nationale, Victor Topanou connu pour son franc-parler livre ici ses impressions sur la décision rendue le 9 janvier dernier par la Cour constitutionnelle. Décision relative à l’organisation des élections prévues pour l’année 2015 et l’achèvement des travaux du Cos-Lépi. Pour lui, cette décision, qu’il qualifie de non événement, risque de ne pas être appliquée.


La Cour a rendu une décision le 9 janvier dernier qui fixe non seulement la date d’achèvement des travaux du Cos-Lépi mais aussi les dates des deux scrutins prévus pour cette année. Comment l’appréciez-vous de manière générale ?


Je pense que ça fait partie des décisions de la Cour qui malheureusement, ne risquent pas d’être appliquées. On n’en a connu une récemment, la plus célèbre, c’était celle de décembre 2013 où la Cour intimait l’ordre à l’Assemblée nationale d’adopter le budget au plus tard le 31 décembre. Mais les députés, de leur côté ont estimé que c’était une décision à ranger au placard comme n’ayant jamais existé comme l’a déclaré la présidente de la Commission des lois à la tribune de l’Assemblée nationale.

Et si d’aventure le Cos-Lépi n’achevait pas ses travaux au plus tard le 15 janvier, vous pensez que cette décision ne sera pas appliquée ?

Non, c’est peut-être la seule dimension intéressante de cette décision. Sur le plan spécifique, il y a des aspects qui peuvent apparaître comme une avancée, mais qui ne sont pas totalement allés au bout de leur raisonnement. Lorsque la Cour dit par exemple que le président de la République doit convoquer le corps électoral, elle oublie que sur le plan technique, le chef de l’Etat ne peut pas convoquer le corps électoral si la Commission électorale nationale autonome (Cena) ne le lui demande pas. Et dans les visas de convocation du corps électoral, l’un des éléments de matérialité les plus importants, c’est la lettre de la Cena adressée au gouvernement l’invitant à convoquer le corps électoral. Sur ce point, la Cour n’a rien dit. Ce qui veut dire que au moment où la date qu’elle intime au gouvernement arrive, si la Cena ne saisit pas le gouvernement, ce dernier peut prétexter de cela pour ne pas convoquer les électeurs aux urnes. Du point de vue technique, il y a quelques petits ratés dans la décision qui font qu’elle risque d’être inapplicable.
Sur un autre plan, lorsque la Cour estime que si au 15 janvier le Cos-Lépi ne remet pas la liste électorale, on considérerait les dispositions transitoires de certains articles comme étant caduques et donc qu’on rentrera dans la hase exclusive d’actualisation de la liste, et qu’à ce moment on doit autoriser la Cena à organiser les élections sur la base de la liste de 2011, là on rentre dans l’inconnu.

Justement, à ce niveau-là, quels sont les risques auxquels le Bénin serait exposé ?


Les mêmes risques d’illégitimité auxquels le chef de l’Etat et les députés actuels sont confrontés.

Illégitimité pourquoi

Tout le monde sait à l’époque que la liste n’était pas bonne. Et on s’en est servi pour élire le président de la République et nos députés. Donc, il y a un problème de légitimité. Il n’y a pas un problème de légalité, mais plutôt un problème de légitimité. Parce que vous ne pouvez pas reconnaître vous-mêmes que la liste n’était pas bonne, les candidats à l’élection présidentielle de 2011 l’avaient dénoncé, ils avaient même obtenu un report des élections pour que l’on corrigeât la Lépi. Après les élections, le président de la République a estimé qu’il fallait corriger la liste. A cette fin, il a demandé une expertise internationale, celle de la Francophonie qui a pondu un rapport. Ensuite, il s’est rendu compte que ça devait relever du domaine du législatif. Les députés ont accepté implicitement l’idée qu’il fallait obligatoirement corriger la liste avant de nouvelles élections. Cette approche a été validée par la Cour constitutionnelle qui a déclaré qu’il ne saurait y avoir d’élections sans Lépi et donc a validé la loi sur le Cos-Lépi. On a engagé le processus de correction depuis b+-ientôt deux ans et patatras la Cour estime que tout ça n’a jamais existé et donc si par extraordinaire le Cos-Lépi ne remettait pas la liste comme il l’a promis le 15 janvier, on doit se référer impérativement à la liste de 2011. Il y a un problème évident à ce niveau et quand j’ai vu dans la décision que la Cour a préféré noter qu’il n’y a pas eu de contestation de la Lépi sur le plan législatif, je dis voilà encore un gros scandale. Est-ce que c’est la loi qui conteste une autre loi ? Elle ne serait même pas déclarée conforme à la Constitution si elle conteste une autre loi. La contestation ne devrait pas être observée sur le plan législatif mais plutôt sur le plan politique. Y a-t-il eu oui ou non des contestations politiques par rapport à la Lépi ? Si la Cour n’a pas été en mesure de constater qu’il y a eu des contestations et que même le président a remis en cause l’outil qui lui a conféré à lui et aux députés une légitimité pour remettre en cause tout le processus, ça veut dire que la Cour vit hors du Bénin. Elle devrait plutôt parler de la contestation de la Lépi sur le plan politique et non sur le plan législatif. Donc il y a de petites choses comme ça dans cette décision qui indiquent clairement qu’elle est scandaleuse.

Si la Cena en vient effectivement à faire usage de la Lépi de 2011, qu’en sera-t-il des presque 13 milliards engloutis au niveau du Cos-Lépi ?

Ca devient anecdotique. Vous savez, tout dépend du rapport que l’on a avec le matériel. Ce n’est pas seulement l’argent englouti qui est scandaleux. C’est la philosophie qui est derrière tout ça. Quand on a choisi d’aller à la démocratie, c’est qu’on a choisi de conférer la légitimité au peuple. C’est le retour de la souveraineté au peuple et le peuple ne s’exprime qu’à travers les élections. Et quand elle s’exprime, on devrait sacraliser cette expression. Or, ce qui se passe, c’est qu’on désacralise cette expression à travers la fraude. C’est ça la philosophie en fait qu’il y a derrière.

C’est-à-dire que les enjeux de la Lépi étaient brusquement devenus des enjeux de fraude au lieu de devenir des enjeux de sacralisation de l’expression populaire. Pour avoir été complice d’une manière ou d’une autre des situations de fraude depuis 1990, on se retrouve aujourd’hui dans une situation où personne n’a le courage de dénoncer. Ce qui est en cause, c’est la fraude aux élections. Comment peut-on se faire élire sans le peuple et en dehors du peuple, c’est malheureusement ça le principal enjeu de la Lépi. Et tant que vous aurez des acteurs politiques qui seront dans la logique de fraude aux élections, vous aurez des problèmes de cette nature. On a été capable de mettre 40 milliards en 2010 pour faire la Lépi juste pour la fraude et permettre d’avoir un KO présidentiel et des KO législatifs. Si on admet la fraude pour l’élection du président de la République, il faut bien l’admettre pour les 83 députés et aucun d’eux n’est en mesure de parler de qui que ce soit. Tous nos députés actuels ont intérêt à se taire. Ils n’ont de leçon à donner à personne.

L’autre élément de cette décision c’est que les Législatives passent désormais avant les Communales alors qu’une partie de la classe politique réclamait le contraire. Comment appréciez-vous cette décision de la Cour dans ce sens ?

Pour moi, c’est anecdotique, parce que je n’ai jamais compris pourquoi certains voulaient les Communales avant les Législatives. Quand vous cherchez bien, c’est parce que chacun a ses intérêts de fraude. Vous savez que je ne mange pas cette sauce. Si on est tous assez sérieux et qu’on choisit de respecter l’expression de la souveraineté, on n’a pas besoin de ce discours. Les vrais problèmes sont ailleurs. Il faut que nous allions vers une culture d’élections propres et non pas d’élection systématiquement entachées de fraudes et auxquelles tout le monde donne sa caution.

Les législatives sont prévues pour le 26 avril et l’installation de la 7ème législature pour le 16 mai. Est-ce que ça donne assez de temps à la Cour pour vider le contentieux électoral ?

Le contentieux électoral lié aux Législatives n’a jamais dépassé deux semaines. En général, la Cour les vide en deux semaines et ça n’a jamais dépassé ce délai depuis 1991. Il est arrivé une fois où sur un cas, on n’a pas pu vider avant l’installation de la législature. Mais ça, c’est un cas à part.

La Cour aurait quand même pu s’auto saisir de la situation liée au non achèvement des travaux de correction de la Lépi.

On peut regretter qu’elle ne l’ait pas fait plus tôt. Maintenant que c’est fait, on peut passer à autre chose.

En somme, vous estimez que cette décision en date du 09 janvier est un non événement


Evidemment et je pense qu’elle risque de ne pas être appliquée.

A qui profite-t-elle alors cette décision ?


Il faut déjà identifier les acteurs. Ça n’a l’air de rien mais il y a des intérêts qui se chevauchent. Et quand vous ne regardez pas bien, vous risquez de vous tromper. Aujourd’hui, on est en face de trois catégories d’acteurs politiques. Il y a ceux qu’on appelle généralement les présidentiables qui ne sont pas toujours des acteurs au quotidien et qui apparaissent à la veille des élections. Ils ont une logique et des intérêts différents. A côté de ça, vous avez le président du Cos-Lépi, Sacca Lafia qui devient un acteur particulier à cause de ses ambitions présidentielles.
Voilà quelqu’un qui a des ambitions présidentielles avérées, président du Cos-Lépi et crée une alliance dont il est le président alors qu’il n’a pas fini les travaux pour lesquels il était censé être neutre. Vous laissez entre les mains d’un acteur comme celui-là la responsabilité de la liste électorale avec laquelle on va aux élections. Comment voulez-vous qu’il ne manipule pas cette liste-là afin de garantir ses intérêts ?

Il n’est pas le seul membre du Cos-Lépi et ses collègues ne le laisseront pas faire…


On n’a pas institué une présidence collégiale. Il est le président et a des attributions précises.
Maintenant, en face de lui il y a le 3ème bloc, celui du président de la République et des proches qui espèrent lui succéder. Est-ce que ces gens-là ont intérêt à aller aux élections avec une liste préparée par leurs vis-à-vis concurrents immédiats, c’est-à-dire Sacca Lafia. La réponse est évidemment non. Dans ce cas de figure, la liste que fait Sacca Lafia ne les intéresse plus, d’où leur intérêt évident à ce qu’on retourne à la liste de 2011 qui avait déjà garanti le KO de leur leader et l’élection sectorielle de certains députés. En conséquence, il apparaît très clairement que la décision de la Cour avantage très clairement le gouvernement en place, met en difficulté le Cos-Lépi et les autres acteurs qui n’ont aucune prise sur la liste, ni sur l’appareil d’Etat. Donc, il apparaît très clairement aujourd’hui une conjonction d’intérêts entre la Cour constitutionnelle et le gouvernement en place et on ne peut pas s’empêcher de penser que cette décision a été prise pour satisfaire ses intérêts dans ce sens-là.

S’il n’y avait pas cette décision, comment entrevoyiez-vous l’organisation des deux élections prévues cette année ?

J’étais convaincu que c’était la solution à laquelle on devait parvenir parce que c’était déjà la position du gouvernement. J’ai eu la chance d’avoir été dans le comité préparatoire au dialogue, j’ai entendu les uns et les autres. La décision de la Cour constitutionnelle semble parfaitement cadrée avec la décision du gouvernement au cours de ces discussions et c’est pour ça que je chercherai avec intérêt à identifier l’auteur de ce recours pour savoir s’il n’a pas des accointances avec le gouvernement, puisque certains recours qui mettaient mal à l’aise le gouvernement comme ceux de Prince Agbodjan n’ont pas été étudiés jusqu’à ce jour.

Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU

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