La Cour constitutionnelle vient de donner une suite au recours de M. Lucien Gbénou A. Chédé qui forme un « pourvoi » contre les actes et traitements, présumés inconstitutionnels, posés contre le chef de l’Etat béninois par le ministre de l’Economie et des finances qui avait déclaré, entre autres, que « le président de la République ne perçoit pas de salaire, les factures relatives à ses consommations d’eau, d’électricité et de téléphone à son domicile sont à ses propres charges ».
Par décision Dcc 15-002 du 13 janvier 2015, la Haute juridiction a condamné le chef de l’Etat et les parlementaires pour n’avoir pas usé des prérogatives offertes à eux par la Constitution, pour régler la question de la liste civile du président de la République, depuis l’avènement de celui-ci à la tête de l’Etat. Lire l’intégralité de la décision.
Décision Dcc 15-002 du 13 janvier 2015
La Cour constitutionnelle,
Saisie par requête du 02 avril 2012, enregistrée à son secrétariat le 03 mai 2012 sous le numéro 0842/060/Rec, par laquelle Monsieur Lucien Gbénou A. Chédé forme un « pourvoi » devant la haute juridiction contre les actes et traitements présumés inconstitutionnels posés contre le chef de l’Etat béninois par le ministre de l’Economie et des finances ;
Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Madame Marcelline C. Gbèha Afouda en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Contenu du recours
Considérant que le requérant expose : « … courant … mars 2012, sur les écrans de la télévision nationale Ortb où je suivais les émissions et notamment les actualités nationales, il a été rapporté que le président de la République ne perçoit pas de salaire, les factures relatives à ses consommations d’eau, d’électricité et de téléphone à son domicile sont à ses propres charges ; plus grave, même les charges relatives à son suivi sanitaire sont logées à la même enseigne ; en d’autres termes, aucune somme allouée à ces titres ne figure dans le livre des comptes de l’Etat. Le président de la République a même affirmé avec force que seules les sommes allouées pour sa garde personnelle et pour les renseignements figurent dans le livre des comptes, celles-ci sont identiques à celles allouées à cet effet à son prédécesseur… » ; qu’il affirme : « Je me réfère à l’article 48 alinéa 2 de la Constitution ‘’ la loi fixe la liste civile du Président de la République et détermine la pension à allouer aux anciens Présidents de la République’’, et la langue française qui est la langue officielle selon l’article premier, précise ‘’liste civile : somme allouée au chef de l’Etat pour subvenir aux dépenses et charges de sa fonction’’ (cf. dictionnaire nouveau petit Le Robert)… Me fondant alors sur cette déclaration publique par le président de la République, confirmée par le ministre des Finances, avérée par l’intermédiaire de l’Ortb, il y a lieu de déclarer inconstitutionnels les actes et traitements appliqués au chef de l’Etat béninois par son ministre des Finances.
Ma démarche vers votre haute institution n’a aucune connotation politique ou politicienne, il ne s’agit que d’une démarche citoyenne pour rappeler l’article 26 de la Constitution : "L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale…" ; dans le cas d’espèce, il s’agit de position sociale la plus élevée dans notre Etat. Oui " Dura lex, sed lex", même s’il s’agit du président de la République » ; qu’il conclut : « Il se pourrait que la loi qui fixe la liste civile du président de la République (art. 48 alinéa 2) soit inexistante, ce qui justifierait la situation actuelle due au vide juridique ; dans cette hypothèse, il s’agirait de la violation des articles 57 et 105 : ‘’l’initiative des lois appartient concurremment au Président de la République et aux membres de l’Assemblée nationale’’. Il y aurait lieu alors d’impliquer la responsabilité des membres de l’Assemblée nationale dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale et du contrôle de l’exécution du budget de l’Etat conformément à l’article 112 » ; qu’il demande à la Cour de déclarer contraire à la Constitution le traitement fait au président de la République par le ministre de l’Economie et des Finances et de dire que l’Assemblée nationale a violé la Constitution au cas où la loi fixant la liste civile du président de la République n’existerait pas. » ;
Instruction du recours
Considérant qu’en réponse aux mesures d’instruction de la Cour, le secrétaire général du gouvernement, Monsieur Eugène Dossoumou, écrit dans sa lettre du 04 janvier 2013 : « … Sur le moyen tiré de la violation des dispositions constitutionnelles, notamment de l’article 48 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990 : l’article 48 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990 dispose que ‘’la loi fixe la liste civile du Président de la République ...’’. Cette disposition indique que la rémunération (salaire de base, primes et accessoires) accordée au président de la République doit être déterminée par une loi. Malgré cette disposition, ni le législateur ni les membres du gouvernement avant l’élection du président Boni Yayi n’ont cru devoir prendre l’initiative d’une proposition ou d’un projet de loi. Cette situation a créé un vide juridique quant à la détermination du salaire et des accessoires du président de la République … la seule tentative pour pallier ce vide juridique fut la prise du décret n° 90-359 du 23 novembre 1990 portant traitements de base indiciaire de personnalités politiques et administratives en République du Bénin, modifié par le décret n° 92-311 du 23 novembre 1992 qui a déterminé le traitement de base du président de la République et des autres personnalités de l’Etat.
Aux termes de l’article 2 du décret modificatif sus-indiqué, les traitements de base du président de la République et des présidents des autres institutions de l’Etat, à l’exclusion du président de l’Assemblée nationale, sont déterminés sur la base de l’indice correspondant au grade le plus élevé de la Fonction Publique, affecté des coefficients 4,5 pour le président de la République, 2 pour le président de la Cour constitutionnelle, et 1,5 pour les présidents des autres institutions de l’Etat.
C’est ce traitement qui correspondait à un salaire brut mensuel de un million deux cent quarante et un mille six cent soixante deux (1.241.662) francs Cfa qui a été appliqué au président Mathieu Kérékou » ;
Considérant qu’il poursuit : « La question de la rémunération des personnalités politiques, notamment des membres du gouvernement, a fait l’objet de vives controverses à l’accession au pouvoir du président Boni Yayi.
En effet, les nouveaux membres du gouvernement ont sérieusement critiqué et remis en cause la rémunération qui leur est faite et qu’ils jugent fortement en deçà des obligations et contraintes qui leur sont imposées, surtout que le salaire global est frappé d’imposition. Cette situation a amené l’actuel chef de l’Etat, très attaché à l’obligation de résultat, à procéder à une légère augmentation du salaire des membres du gouvernement dans le sens de leur assurer une saine émulation. Cela a créé d’autres difficultés, étant donné que la rémunération des membres du gouvernement est supérieure à celle du président de la République contenue dans le décret susvisé.
Pour contourner cette situation, le ministre de l’Economie et des Finances avait fait part au président de la République de la nécessité de faire voter par l’Assemblée nationale la loi portant liste civile du président de la République en application de l’article 48 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990. Dans ce cadre, le chef de l’Etat avait soumis la réflexion à une commission d’experts et a suggéré qu’en attendant les résultats des travaux de celle-ci, il soit sursis à toute rémunération au président de la République. La commission a, par la suite, soumis au chef de l’Etat les résultats de ses travaux. La finalisation du projet de loi a été confiée à un comité composé de certains ministres et du secrétaire général du gouvernement… » ; qu’il conclut : « Somme toute, le Gouvernement n’a pas violé les dispositions de l’article 48 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990 puisqu’il a mis en œuvre la procédure d’initiative de la loi portant liste civile du président de la République. En outre, le ministre en charge des Finances ne viole pas l’article 26 de la Constitution en procédant à un traitement discriminatoire lié à la position sociale entre le président de la République et les autres personnalités de l’Etat étant donné qu’une régularisation de sa rémunération se fera dès lors que la loi sera votée » ;
Considérant que pour sa part, le secrétaire général administratif de l’Assemblée nationale, Monsieur Mahamadou Alassane, écrit dans sa lettre du 12 septembre 2014 : « …après toutes les recherches effectuées par nos services techniques, il est apparu que l’Assemblée nationale n’a initié aucune proposition de loi fixant la liste civile du président de la République, conformément à l’article 48 alinéa 2 de la Constitution » ;
Analyse du recours
Considérant qu’aux termes de l’article 48 alinéa 2 de la Constitution : « La loi fixe la liste civile du Président de la République et détermine la pension à allouer aux anciens Présidents de la République » ; que les articles 57 alinéa 1er et 105 alinéa 1er de la Constitution disposent respectivement : « Le Président de la République à l’initiative des lois concurremment avec les membres de l’Assemblée nationale. » ; « L’initiative des lois appartient concurremment au Président de la République et aux membres de l’Assemblée nationale. » ;
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier et notamment de la réponse du secrétaire général du gouvernement, Monsieur Eugène Dossoumou, à la mesure d’instruction de la Cour, que jusqu’à ce jour, la liste civile du président de la République est liquidée, non sur la base d’une loi tel que prescrit par la Constitution, mais d’un décret portant traitements de base indiciaire de personnalités politiques et administratives en République du Bénin, modifié par un autre, celui n ° 92-311 du 23 novembre 1992 qui détermine le traitement de base du président de la République et des autres personnalités de l’Etat ; que « des dispositions sont mises en œuvre par le chef de l’Etat pour la saisine de l’Assemblée nationale en vue du vote d’une loi fixant la liste civile du président de la République » ; que de même, selon le Secrétaire général administratif de l’Assemblée nationale, Monsieur Mahamadou Alassane, « jusqu’à la date de la saisine de la Cour par le requérant, l’Assemblée nationale n’a initié aucune proposition de loi fixant la liste civile du président de la République, conformément à l’article 48 alinéa 2 de la Constitution » ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que ni le président de la République ni les membres de l’Assemblée nationale n’ont usé des prérogatives offertes par les dispositions des articles 57 alinéa 1 et 105 alinéa 1 ci-dessus citées pour régler la question de la liste civile du président de la République depuis l’avènement de celui-ci à la tête de l’Etat ; qu’il échet dès lors pour la Cour de dire et juger que ne l’ayant pas fait, ils ont violé la Constitution en ses articles 48 alinéa 2, 57 alinéa 1 et 105 alinéa 1 précités ;
Décide :
Article 1er : Le président de la République et les membres de l’Assemblée nationale ont violé la Constitution.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Lucien Gbénou A. Chédé, à Monsieur le Secrétaire général du Gouvernement, à Monsieur le Secrétaire général administratif de l’Assemblée nationale et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le treize janvier deux mille quinze,