Une heure de retard, excuses balbutiées au téléphone. Dominique Zinkpè arrive penaud à la galerie In Situ, à Paris, où il expose jusqu’au 31 janvier. L’artiste béninois est vite pardonné tant il s’exprime avec calme, yeux graves, sourire contenu. Sagesse ou gueule de bois ? Qu’importe. Il replonge de bonne grâce dans ses souvenirs de jeunesse, mais reste brouillé avec les dates.
Sa passion pour la peinture remonte à son adolescence, alors qu’il fréquente le centre culturel français de Cotonou. Il apprend les rudiments techniques dans les manuels disponibles à la bibliothèque. Sa décision est très vite prise : il sera artiste. Pas simple dans un pays privé d’école d’art ou de musée d’art contemporain. Les parents prennent peur : l’art, d’accord, mais apprends d’abord un métier, lui disent-ils. On lui suggère la mécanique et la menuiserie. Il préférera la couture, que pratiquait déjà sa mère. « Je me suis dit que je pourrais créer un peu ». Son diplôme d’apprenti en poche, il ouvre donc un atelier de couture. La journée, il manie les aiguilles, le soir les pinceaux.
Dominique Zinkpè: Cérémonie, 2012. Pigments, pastel gras, crayon, acrylique et collage sur toile. 200 x 200 cm. Pièce unique.
En 1993, la biennale Grapholies à Abidjan lui offre une rampe de lancement : il gagne le prix du jeune talent africain. Il rencontre alors le sculpteur ivoirien Christian Lattier, qui infléchira son travail vers une pente plus minimale. « Avec du recul, je me dis que je faisais du kitch, de la déco. J’ai décidé de retirer les fioritures ». Exit les couleurs trop vives, la gestuelle lyrique, les tissus bariolés et les perles. Place à la simplification des formes.
Dans les toiles exposées à la galerie In Situ, trois autres influences sont criantes. De l’artiste autrichien Egon Schiele lui viennent les mains noueuses dont il gratifie ses personnages virevoltants. Du peintre irlandais Francis Bacon, il a retenu les corps en commotion, les chaires martyrisées, l’affleurement de l’animalité dans l’humain. Le faux désordre maîtrisé, l’énergie électrique sont hérités du Haïtien new-yorkais Jean-Michel Basquiat. Ces allégeances, Dominique Zinkpè les reconnaît sans peine. « Je suis autodidacte, j’ai eu des maîtres. Je n’en ai pas honte », répond-il.
Dominique Zinkpè: Cotonou by night, 2011. Pigments, pastel gras, crayon, acrylique et collage sur toile. 150 x 150 cm. Pièce unique.
Bien que ses compositions foisonnent de corps flottants prompts à quitter leurs châssis pour recouvrir murs et plafond, c’est l’âme que Zinkpè cherche avant tout à capter. Une âme africaine ? « Je ne suis pas sûr qu’il existe une âme africaine. Je raconte plutôt des histoires de l’humanité ». Culture animiste et cérémonies vaudou nourrissent pourtant son inspiration. La clé de ses tableaux ésotériques se trouve dans les rituels : le maître de cérémonie responsable des offrandes, les êtres doubles, s mi-animaux mi-humains, le Petit malin grimaçant qui ragote pour semer le chaos… Autant de personnages qu’un regard occidental trouverait « folkloriques ».
« Le folklore, ça existe aussi, je ne vais pas le taire pour satisfaire des codes de l’art contemporain », réplique-t-il. Et d’ajouter : « Quand on dit que la peinture et la sculpture sont ringardes, ça m’intéresse encore plus. C’est un peu compliqué de vouloir peindre et sculpter aujourd’hui. Mais on va résister ». Résister, le mot lui sied. Dans l’installation-choc « Malgré tout ! », il montrait en 2002 une Afrique malade, sous perfusion : critique des aides internationales mal ciblées, satire d’un continent nonchalant qui ne prend pas son destin en mains.
Dominique Zinkpè: Metamorphose - Koudio , 2013.
Zinkpè, lui, n’est pas du genre à rester les bras croisés. Voilà quatre ans, à Abomey, 140 km au nord de Cotonou, il a ouvert Unik, une résidence d’artistes pour les jeunes en mal de formation. « Si on doit attendre que le gouvernement fasse quelque chose, ce sera long. Et on est pressé ».