L’ancien ministre des Sports de Yayi Boni, Ganiou Soglo n’a pas sa langue dans la poche. Invité du Talk d’Africa 24 mercredi 26 juin 2013, il pose un regard très critique sur la situation socioéconomique et politique du pays. Il a abordé plusieurs questions dont celles de la croissance, la corruption, la misère des populations et la révision de la Constitution. Seulement, Africa 24 n’a diffusé que 10 mn d’un entretien qui a duré 30mn. Voici l’intégralité de l’interview…
Africa 24 : On entendait de vous, mais depuis un certain temps, plus rien, Qu’est devenu l’ancien ministre du Président Yayi Boni ?
Ganiou Soglo : Je m’occupe de la question de l’emploi des jeunes et j’ai participé aux assises de Marrakech sur le développement concernant le secteur de l’agriculture, de la culture, de l’énergie solaire et des énergies renouvelables. Je pense que le développement me tient à cœur.
Vous avez surtout réussi au poste du ministre des Sports à organiser le Forum sur le développement du sport mais malheureusement les résolutions issues de ce Forum qui a couté 100 millions Francs Cfa au Bénin n’ont pas été transmises au chef de l’Etat. Que s’est-il passé ?
Je pense que vous êtes mal informé ; parce que suite à ce Forum que vous évoquez, les résolutions ont à la fois été transmises au Conseil des ministres et au gouvernement. J’estime que nous avions fait un bon travail avec tous les acteurs qui ont réfléchi sur la question du sport. Peut-être que le Secrétaire général du gouvernement n’a pas transmis le document arrêté ou il y a des omissions dans le travail en matière des résolutions issues de ce Forum. Quand j’ai pris la tête de ce ministère des Sports, nous avions rapidement fait l’état des lieux, planifié autour de quatre (4) axes importants que nous avions proposé au gouvernement. Le 1er axe était le retour du sport dans nos écoles. Le 2ème axe était la formation, le 3ème concerne le financement et le dernier axe était porté sur les infrastructures. Mais, je suis resté sur ma faim parce que nous n’avions pas pu ramener le sport dans les écoles et collèges. Nous avions fait un travail que nous avions soumis au ministre d’Etat Irénée Koupaki à l’époque parce que nous estimions que les élèves devraient accompagner le sport et former la génération future.
Si les Béninois estiment que le rapport n’a pas été transmis, c’est parce qu’ils ne constatent pas la mise en application des résolutions. Pourquoi n’aviez-vous pas posé le même acte par rapport aux autres résolutions issues des assises ?
L’un des axes majeurs qui, aujourd’hui, est visible au ministère, c’est l’Office béninois des sports scolaires et universitaires (Obsu) et je pense que l’actuel directeur fait un travail formidable que nous n’avions pas pu faire en amont, qui est de faire en sorte que le sport revienne dans nos écoles mais nous avions mis en exergue un outil pour pouvoir accompagner le sport universitaire.
Dans la crise qui a secoué longuement la Fédération béninoise de football (Fbf), étant ministre des sports d’alors, vous n’aviez pas fait grand-chose pour la médiation afin d’anticiper sur cette crise. Qu’est-ce qui s’était passé Monsieur le ministre ?
Non, je crois que les Béninois se souviennent que mon ministère a eu des rapports tout à fait conviviaux avec la Fbf à telle enseigne que nous avions pu soumettre en discussion avec la Fbf un Directeur technique national. Je remercie à ce titre Patrick Aussems, qui a fait un travail en amont pour la détection. Aujourd’hui, nous avons lancé le 1er championnat professionnel. A l’époque j’avais rencontré le président Sébastien Ajavon en disant qu’il fallait professionnaliser le championnat de la 1ère division dans notre pays.
Aviez-vous vu les prémices de cette crise Monsieur le ministre et qu’aviez-vous fait en son temps ?
Mais il n’y avait pas de crise à la Fbf. Qu’il vous souvienne que je connaissais bien les acteurs d’autant plus que j’avais été président d’un grand club de football, les Requins de l’Atlantique et j’ai côtoyé les acteurs qui font que la crise perdure aujourd’hui à la Fbf.
Vous n’aviez donc rien vu arriver ?
Quand nous sommes partis du ministère des sports, tout était aplani, il n’y avait pas de crise à la Fbf. Rappelez-vous que le Bénin n’avait jamais perdu un match international. Nous avions déjà lancé la qualification de l’équipe pour la Can en Angola et tout allait bien. Il est simplement dommage que mes successeurs n’aient pas pu discuter cela avec les représentants de la Fbf. Je tiens à vous dire ceci, « on n’a jamais totalement tort et on n’a jamais totalement raison ». Les discussions que nous avions eues avec la Fbf en son temps se sont toujours déroulées dans une ambiance conviviale.
Est-ce que votre dernière sortie médiatique était opportune Monsieur le ministre ?
Je pense qu’au vu de la situation économique de mon pays le Bénin aujourd’hui, il est important d’apporter des solutions et résolutions au gouvernement auquel j’ai appartenu à un moment donné. Il est évident qu’on jette un regard sur la situation de son pays. Le mien n’est pas exhaustif, mais au moins cela va aider en ce qui concerne la destinée du Bénin.
Pourquoi n’aviez-vous pas soumis directement vos résolutions au chef de l’Etat et que vous avez préférez l’étaler à la place publique ?
D’abord Monsieur le journaliste, vous ne m’aviez pas entendu citer le chef de l’Etat ou un membre de son gouvernement de façon négative. Je dis simplement que la situation n’est pas bonne, le taux de croissance de notre pays n’est pas celui que l’on indique. Nous, nous avons des sources et nous savons clairement que le taux de croissance du Bénin aujourd’hui tourne autour de 2.5% et qu’il sera à la baisse cette année. Quand nous voyons aussi le taux de natalité aujourd’hui au Bénin, 4.5%, on est en droit de se dire qu’on passe de la pauvreté à la misère constamment et ceci jours après jours. Les ménages passent d’une situation précaire à une situation miséreuse.
Comment sommes-nous arrivés là ? Tout est parti d’où ?
En 2006, les Béninois, dans leur globalité, ont souhaité voir un chef de l’Etat qui soulage leurs peines. Le chef de l’Etat a lui-même dit qu’il faut amener le pays à redresser son économie après les dix ans de gestion de Mathieu Kérékou. Malheureusement, sept ans et demi après, nous entendons tous les jours les actes de corruption. Sous le 1er quinquennat du Docteur Yayi Boni, il y a 3 à 4 scandales : Icc services, les machines agricoles, la Cen-Sad pour ne citer que ceux-là. Depuis sa réélection, nous assistons à des scandales à répétition. Donc la question de la corruption est un échec. Les acteurs économiques internationaux ont cité notre pays le Bénin comme le dernier ou l’avant dernier de la zone Uemoa.
Est-ce que c’est l’avènement du Dr Boni Yayi qui a généré tout cela ou ces scandales devraient exister ?
Vous voyez que le Brésil en 10 ans s’est hissé et est devenu la 6ème puissance économique mondiale. Le Maroc, en quelques années est en passe d’être un acteur majeur sur le continent africain. Je veux dire en citant ces cas qu’au milieu de votre second mandat, il faut faire le bilan et voir si c’est positif ou pas. Mais nous, nous voyons que le bilan du Dr Boni Yayi est négatif. On ne peut pas à chaque fois accuser les 10 ans du président Kérékou. Le chef de l’Etat actuel avait clairement signifié à sa prise de pouvoir qu’il amènerait le pays à une croissance à 2 chiffres. Nous avons un avantage d’avoir le Nigéria à côté et également notre accès à la mer. Il n’est pas normal que le Bénin soit encore en arrière en matière de réalisation d’infrastructures. Ce qui est important et préoccupant aujourd’hui est que les Béninois vivent moins bien dans leur quotidien.
Pourquoi la corruption ne recule pas au Bénin ? Ou manque-t-il de citoyenneté ?
Je crois qu’il ne faut pas défausser sur notre peuple. Le Chef de l’Etat dispose de tous les pouvoirs, c’est lui qui conduit la politique économique et sociale de notre pays. Je tiens à vous rappeler qu’entre 1991 et 1996, le président Soglo a conduit le pays et a eu des résultats satisfaisants pour ne pas dire meilleurs avec son gouvernement qui est d’ailleurs meilleur que l’actuel du président Yayi Boni. Les Béninois aujourd’hui ont la nostalgie du président Nicéphore Soglo et de son équipe parce qu’ils ont pu amener le pays à être un des acteurs majeurs avec un redressement économique de 3 à 6% en son temps. Malgré la dévaluation, l’argent circulait. Aujourd’hui, il y a une contraction de la volatilité de la monnaie dans notre pays. Le terme est peut-être un peu barbare mais on constate malheureusement que l’argent qui passait dans presque d’une main à dix mains, passe aujourd’hui d’une main à deux mains et ces mains sont concentrées toujours autours de ces deux personnes et c’est ce qui cause le problème. Si vous subventionnez le coton et que nous savons que les performances sont moins que ce qu’on attend, on se demande pourquoi on continue de subventionner ce secteur.
Est-ce que vous accusez par-là les choix économiques de Yayi Boni ?
Je l’ai toujours dis, le chef de l’Etat a pris le pari de soutenir la consommation. Il devrait aujourd’hui changer de cap en subventionnant la production, c’est-à-dire avoir un cadre qu’on se fixe avec le secteur privé, s’assoir avec la Chambre de commerce une fois la situation réglée et le Patronat béninois. Il devrait, en tant qu’économiste, changer son fusil d’épaule. Il doit également revoir la fiscalité, qui de la façon dont elle est conduite aujourd’hui, ne permet pas aux entreprises d’émerger. La plupart des acteurs du privé quittent déjà le Bénin pour s’installer dans d’autre pays de la sous-région.
Le Président ne s’est donc pas trompé en vous mettant aux départements de la Culture et des Sports ?
Je crois que la culture est le pilier et l’un des moteurs de développement de certains pays. Agriculture et culture constituent des secteurs qui créent de l’emploi. Quand on parle de l’économie de la culture, la France est le pays le plus visité au monde, cela crée des milliers d’emploi et la richesse pour le pays. La culture concourt à hauteur de 8% du Pib. La culture constitue le pilier essentiel pour assoir une identité, ce n’est pas du folklore.
Le Bénin est en crise, quelles sont les mesures urgentes qu’il faut prendre ?
Il nous faut un grand forum du type de la conférence nationale afin que les décisions économiques s’imposent. Il faut qu’ensemble nous puissions définir quel axe de développement économique nous voulons réellement avoir. Il n’est pas normal qu’un petit pays comme le Bénin ait autant de chômeurs et de sans emploi. Il y a une question de méthodologie qui s’impose. C’est vrai que le Port Autonome de Cotonou constitue un vecteur mais il n’est pas le seul, il y a aussi les Ntic. Nous avons Nollywood, au Nigéria et c’est un atout considérable. Il est donc inconcevable qu’on laisse ces secteurs en périphérie pour ce que nous appliquons aujourd’hui.
Et si le Président vous rappelle dans son gouvernement ?
Ce qui est important pour moi maintenant, c’est le mieux-être de mes concitoyens. Pour être honnête, presque tout le monde, surtout les jeunes, cherchent à tout prix à quitter le Bénin.
D’aucuns estiment que votre entrée au gouvernement était pour fragiliser l’opposition. D’autres, par contre, pensent que c’était pour construire un avenir politique. Où se trouve la vérité ?
Vous avez déjà répondu en partie à la question. Je pense que le chef de l’Etat m’a appelé et j’ai accepté puisque pour moi il est important de travailler pour mon pays et d’accompagner les actions du chef de l’Etat. Ainsi donc, cette question de politique politicienne qui fait dire que c’était pour fragiliser la Rb ne tient pas. J’ai peut-être devancé la Rb qui a, par la suite, rejoint la mouvance présidentielle mais je crois que j’ai été loyal et j’ai servi le chef de l’Etat avec fidélité et j’avais même ma liberté de parole comme c’est le cas aujourd’hui.
Entre ce que disent les géniteurs, ce que le cœur dit à soi-même et ses propres intérêts, vous prenez quoi ?
Vous savez, j’ai servi pendant quatre ans au gouvernement en tant que ministre de la République. Ce sont des paliers très importants et j’ai appris beaucoup de choses enrichissantes et je ne regrette rien. C’était une expérience bien enrichissante. A un moment donné, il fallait un stop et je l’ai fait savoir. Je n’ai pas certes démissionné, mais à la réélection du président, je lui ai adressé ma lettre de démission et tous mes collaborateurs le savent. Ceci parce que je voulais vaquer à d’autres obligations. 2016 est déjà proche et l’on ne doit plus avoir peur des actes qu’on pose.
Vous êtes de la famille Soglo, une famille célèbre, quelle est votre part d’héritage dans la famille ?
La renaissance du Bénin a été bâtie par Rosine Soglo, moi-même, Léhady Soglo, Désiré Vieyra et d’autres. Je fais partie des membres fondateurs du parti la Rb et je n’ai pas besoin d’héritage. Etre renaissant pour moi symbolise le redressement économique de mon pays. J’ai aussi cheville au corps l’intérêt de mes concitoyens. Je sais que la politique ne se résume pas à l’économie, mais je crois que les peuples africains ont aujourd’hui soif d’avoir une élite politique qui s’occupe de leur bien-être au quotidien.
Avez-vous un destin à jouer en 2016 ?
2016 devrait être la continuité démocratique que connaît notre pays le Bénin depuis 1990. Il faut qu’on soit toujours très prudent et savoir raison garder à chaque élection qui s’approche. Ceci, pour que la démocratie telle que nous la vivons depuis plusieurs années continue d’exister. On devrait figer dans le marbre cette alternance du pouvoir. Faisons en sorte qu’il y ait un changement d’homme en 2016.
Avez-vous des signaux ?
La seule inquiétude que j’ai, c’est le projet de modification ou de révision de la Constitution du Bénin entamée depuis la réélection du Président Yayi Boni en 2011. Pour ma part, les citoyens Béninois ont d’autres soucis aujourd’hui dans leur quotidien que cette révision de la Constitution. Je vais vous en citer trois de ces problèmes. La question du logement où la caution à payer est d’un an à deux ans pour un pauvre citoyen. La perte de l’identité et la crise du sport où l’Etat, avec les députés peuvent introduire des lois pour règlementer ces cas dans notre pays.
Reconnaissez-vous les insuffisances de la Constitution béninoise ?
Oui, tout à fait. Mais il y a certains articles, les fondamentaux qui ne devraient pas être remises en cause. On nous promet ça maintenant, mais soyons très vigilant par rapport à cette situation. Malgré tout ce qu’on va nous dire, nous devons être vigilant.
Vos rapports avec le chef de l’Etat ?
Monsieur le journaliste, je suis heureux et je n’ai pas besoin de voir le président de la République pour avancer, il fait son travail et je fais le mien. Je construis ma vie et j’avance.
Je vous remercie
Entretien réalisé par Babylas Boton, Journaliste à Africa 24