100 % béninoise, 100 % française, Marie-Cécile Zinsou, 31 ans, est la fille de l’économiste Lionel Zinsou et petite-nièce de l’ancien président du Bénin, Emile-Derlin Zinsou. Il y a dix ans, elle a ouvert la fondation Zinsou, un espace dédié aux arts et à la culture en Afrique subsaharienne. Rencontre avec une passionnée qui a très vite compris que la culture est l’un des ingrédients fondamentaux de l’éducation et du développement.
Pourquoi avez-vous créé cette fondation ?
En 2003, je donnais des cours d’histoire de l’art à de jeunes gens au Village SOS d’Abomey Calavi (ville proche de Cotonou). Mes élèves étaient particulièrement intéressés et motivés, je leur ai donc naturellement proposé de les emmener au musée, pour voir les œuvres d’artistes contemporains d’Afrique. C’est après avoir fait cette promesse que j’ai réalisé que je ne pourrais pas la tenir et qu’il n’existait aucune sorte de structure dédiée aux artistes de notre temps, au Bénin.
Au moment de cette promesse, j’ai rencontré le directeur du projet muséologique du Musée du Quai Branly, Germain Viatte, qui m’a fortement encouragée à créer mon lieu et en famille nous avons décidé de nous lancer dans cette aventure.
De très nombreuses personnes, bien intentionnées, ont cherché à nous décourager…
« Pourquoi ouvrir une fondation culturelle dans un pays pauvre ? L’Afrique a-t-elle vraiment comme priorité de se consacrer à la création contemporaine ? Entre la guerre, la famine et le sida, les Africains n’ont vraiment pas besoin de culture… » Et l’argument ultime : « Si c’était une bonne idée, cela existerait déjà ! »
Quelles sont les actions que cette fondation mène au quotidien pour l’accès à la culture au Bénin ?
La première action remonte à 2005. Une première au Bénin. Nous avons ouvert un espace gratuit d’exposition, aux normes muséales internationales. Depuis, nous avons présenté vingt-quatre expositions, nous avons publié des livres, nous avons inventé des publications pour le jeune public, nous avons reçu des prêts importants : 64 Basquiat en 2007 ou encore les Regalia dahoméennes conservées dans les collections nationales françaises. Nous sortons également de nos frontières en créant des expositions itinérantes qui circulent dans les villes du Bénin, de Belgique, des Etats-Unis et parfois même dans le métro parisien (Les Chasseurs Nagô du royaume de Bantè de Jean-Dominique Burton ont été exposés dans les stations Madeleine et Pyramides lors de Paris Photo en 2011).
Nous avons aussi six bibliothèques. Elles ont reçu 117 239 lecteurs en 2014. Ces bibliothèques comptent environ 3 000 ouvrages, des livres audio et des tablettes et se situent dans des quartiers populaires, à proximité d’écoles.
Nous menons des actions très concrètes, adaptées à notre public, 80 % de jeunes de moins de 18 ans. L’action pédagogique est évidemment le cœur de notre engagement.
« Il faut quand même noter que les Etats ne jouent pas pleinement leur rôle. La situation des artistes est difficile, ils ne sont pas du tout aidés. »
Cette année, la fondation fête ses dix ans. Quel bilan tirez-vous ?
Trois points me frappent quand je repense à ces dix dernières années.
Tout d’abord le temps. Tout va beaucoup plus vite ici. Je ne suis pas certaine que nous aurions réussi à mener autant d’actions sur un autre continent. Entre la conception d’un nouveau lieu et sa réalisation, il peut se passer trois à quatre mois même quand il s’agit de chantiers importants. C’est très exceptionnel !
Naturellement, cela demande d’être bien entourée. Quand je parle de la Fondation, je dis toujours « nous » car il ne s’agit bien évidemment pas d’une initiative individuelle, mais d’un véritable engagement. Celui d’une famille qui porte et finance le projet, celui d’une équipe de soixante personnes qui au quotidien relève des défis inattendus.
Penser à ces dix dernières années permet aussi de dresser un constat. Si de plus en plus de lieux s’ouvrent sur le continent, si l’on voit des initiatives privées absolument remarquables, si les galeries et musées fleurissent de Rabat à Johannesburg en passant par Dakar et Lagos, il faut quand même noter que les Etats ne jouent pas leur rôle.
La situation des artistes est difficile, ils ne sont pas du tout aidés, le patrimoine n’est pas conservé correctement (la semaine dernière, une partie du patrimoine mondial situé au Bénin, le palais du roi Houegbadja, est parti en fumée), il y a peu de scènes nationales et très peu de lieux de création… La Fondation Zinsou a l’extraordinaire chance d’être indépendante et de ne rien demander à l’Etat, et jusque-là il a toujours tenu ses promesses.
Les réactions du public ont-elles évolué entre 2005 et aujourd’hui ?
Le premier jour, un enfant est entré dans la Fondation vers 17 heures, après l’école. Il a regardé autour de lui, a demandé ce que nous faisions dans ce grand bâtiment et a suivi un guide qui lui a fait découvrir le travail de Romuald Hazoumé. Le lendemain, il est revenu avec sa classe, 35 enfants ont suivi la visite. Le surlendemain, le mot était passé dans l’école et ils étaient 600. Nous avons alors appelé le directeur et nous avons compris l’urgence de créer un véritable programme pédagogique et d’organiser des visites scolaires. Aujourd’hui, nous sommes en partenariat avec 364 écoles et nos mécènes nous ont offert un bus qui va chercher les enfants gratuitement dans tout Cotonou.
En novembre 2013, votre fondation a aussi ouvert un musée d’art contemporain à Ouidah. Pouvez-vous nous en parler ?
Nous nous étions promis, en 2005, d’ouvrir un musée dans les dix premières années d’existence de la Fondation. C’était un peu flou, la collection en était à ses débuts et surtout 2015 semblait très lointaine. L’ouverture de ce musée a été un peu plus rapide que prévue car la collection a pris de l’ampleur et nous ne voulions pas garder les œuvres dans des stocks alors qu’il y a une telle demande du public.
La découverte de la Villa Ajavon, l’un des plus beaux exemples d’architecture afro-brésilienne, dans la ville de Ouidah a permis de trouver le lieu qui nous manquait. Symboliquement, ouvrir un musée d’art contemporain dans cette ville nous a semblé très fort. Ouidah était l’endroit de départ de centaines de milliers, voire de millions d’esclaves. C’est donc une ville dont l’histoire nous touche universellement.
Aujourd’hui, il reste des traces du passé, quelques maisons coloniales, quelques signes du retour des esclaves affranchis du Brésil, mais Ouidah est surtout une ville très pauvre dont l’économie a périclité au fil du XXe siècle. Ouvrir un lieu qui parle d’art contemporain, qui reçoit des créateurs et qui accueille énormément d’enfants est aussi une manière de se tourner vers le futur et de ne pas rester figé dans le passé.