Tommy adore conduire en marche arrière et en zigzag, le cou tendu, les yeux dans le rétroviseur. Grâce à ce bizarre talent de slalomeur à reculons, il a précipité des millions de passagers dans le décor où ils vagissent depuis 2008 entre vie et mort, en l’entendant pleurnicher : ‘‘Je ne savais rien.’’ Et puis, cerise pourrie sur l’incomestible gâteau de la nescience du chauffeur kafkaïen, son incapacité à s’en tenir à la norme : dès qu’il décide d’aller de l’avant, c’est pour renouer illico avec la roulade-arrière. Comme une roublardise.
Mais si roublard il est, il a renoncé à la roublardise depuis que, frappé, bousculé, malmené par la grâce du Seigneur, il a bondi à Paris pour y être Charlie, afin que lui-même et les tyranneaux nègres qu’il y a rencontrés cessent de torturer chez eux les libertés et, notamment la liberté de presse et d’expression. A l’occasion de ce pèlerinage de Tommy à Paris pour y être Charlie, la presse internationale a noté, avec grande satisfaction, qu’il a grossi la Seine de ses grosses larmes et s’est répandu en deuil national sur les bords du lac Nokoué chez lui. Convaincu que Yahvé l’habite désormais, son concitoyen Ozias Sounouvou a supplié en direct Tommy, le tout nouveau fils de Dieu : ‘‘Soyez Charlie pour les journalistes de l’ORTB. Libérez l’ORTB pour des débats contradictoires, permettez la libre expression sur la chaîne publique’’, etc. Supplique acceptée. Et le peuple le vérifiera bientôt grâce aux débats contradictoires que Tom-FM organisera en cascade sur nombre de sujets en attente.
Débats contradictoires sur les assassinats non élucidés. Tommy ne ressuscitera pas les morts. Mais le peuple saura pourquoi les enquêtes de police n’aboutissent pas, et peut-être aussi pourquoi l’ancienne ministre, Bernadette Sohoudji, a été assassinée. Des langues vipérines mettent son exécution en rapport avec la disparition du fonctionnaire des Finances, Dangnivo, qui, selon les vipères, aurait trouvé par hasard la mort dans les bureaux de Tommy. ‘‘Les gens sont méchants’’. Deux débats contradictoires sur Tom-FM détruiront la méchanceté. Confondus, les méchants seront jugés et poussés au fin fond d’une geôle. Et l’honneur de Tommy s’en trouvera blanc comme coton de Glazoué ou de Tchaourou.
Débats contradictoires sur les usages douteux ou maffieux de l’argent public. Le peuple saura pourquoi, en plein changement, les coupures d’électricité jouent la constance, et ce, malgré les milliards investis à Mariagléta. Certes, ils sont partis en fumée. Mais qui est responsable du big-bang des installations de Mariagléta et pourquoi n’a-t-on pas cherché à savoir s’il n’était pas également coupable ? Qui est responsable et coupable des milliards jetés dans un bas-fond de la capitale sans qu’une seule brique ait été fabriquée pour ledit nouveau siège du Parlement ? Etc. Eclairé, le peuple sera soulagé. D’autres vipères susurrent, lors de dîners arrosés en ville, que Tommy et Maman étaient de très gros clients d’ICC-Services et que c’est suite à leur brusque retrait, sur délit d’initiés, que le montage frauduleux s’est effondré, plongeant dans le coma de très nombreux moyens porteurs. Pure méchanceté, qui sera éventrée par un seul débat contradictoire sur Tom-FM, avec chiffres et liste des grands déposants à l’appui. Le couple blanchi, les vipères seront écrasées. Les propos de table sont des ragots, et personne ne doit noircir les Tommy. Chez les Ceausescu, du temps de leur règne vorace sur la Roumanie, de les peindre en noir entraînait la mort.
Les affaires d’argent et de sang ci-dessus larguées sont des échantillons de ce dont les futurs débats contradictoires sur Tom-FM s’occuperont pour solde de tout compte. Il faut aller vite car, s’il n’est pas vite éclairé, le peuple, dans un an, ne laissera pas Tommy détaler par des chemins de brousse, protégé par l’ex-puissance coloniale. Il devra s’assoir sur un banc et se chercher des avocats. Voilà pourquoi Tommy doit absolument grandir en Charlie.
Roger Gbégnonvi