Sa vocation a toujours été celle du dire. Ancien enfant de troupe qui a fait les effectifs du Prytanée militaire de Bembéréké, Djamile Mama Gao se consacre désormais à l’art dans de nombreuses dimensions. On confie qu’il est également journaliste. Jeune, ambitieux, fougueux, Negr’Djamile de son nom de scène s’apprête à effectuer un voyage sur la ville de Mans en France. Dans cet entretien où il se dévoile, le slameur et poète nous dit tout ou presque sur lui-même…
Matin Libre : Parlez-nous de votre prochain voyage en France?
Djamile Mama Gao : Mon prochain voyage rentre dans le cadre de ma participation au championnat francophone de slam. J’aurai pour obligation en ce sens, de représenter l’Afrique de l’Ouest au Mans (France) afin de découvrir et partager cet art urbain que j’ai en commun, avec les autres manieurs de l’oralité du monde francophone.
Qu’est-ce qui a motivé le choix porté sur votre personne?
J’ai été choisi suite à ma qualification Afrique de l’Ouest pour le Championnat. C’était au Togo. Le Togo qui, par le biais de Maras M. Mathias, est le pôle affilié à l’organisation de France. Ainsi, cette qualification est en fait, un concours qui regroupe des poètes francophones d’Afrique de l’Ouest, qui confrontent leur savoir-faire sur scène, et parmi lesquels est ou sont choisi(s) celui ou ceux qui représenteront cette partie du continent au Mans. Précisons que le choix est fait par un jury pris au hasard dans le public présent au moment des qualifications. C’est du coup, imprévisible, instinctif et spontané.
De quoi sera fait votre séjour ?
Ce sera un séjour mouvementé et vibrant de mots. Ça va slammer pendant deux jours. Deux jours durant lesquels se dérouleront la demi-finale et la finale du Championnat francophone de slam. Même si la participation est individuelle, nous serons constitués en des poules et il sera question pour chacun de s’illustrer pour valoir la première place. Ainsi, mon séjour tournera autour du partage, des échanges, des découvertes, des confrontations, de la pression, de l’émotion, et surtout de la victoire. Je croise les pieds pour ça justement.
Qui est en réalité Negr' Djamile ?
Rires. Elle me débusque cette question-là. Que dire… Bah, togolais et malien par ascendance, Negr’ Djamile (Djamile Mama Gao) est originaire de Sori au Bénin. Né en février 1993, son approche à l’oralité se veut « griotique » et renoue avec les vestiges de l’Afrique ancestrale, en entretenant un rapport étroit avec celle d’aujourd’hui. D’ailleurs, disons que c’est entre rap et slam, qu’il tente d’exprimer sa part de lui, de foi, d’espoir et de vérité sur les réalités ambiantes de notre continent, et du monde alentour. Voilà, c’est moi ça !
On a appris que vous avez été enfant de troupe?
Tout à fait, j’ai été pendant huit ans pensionnaire du Prytanée Militaire de Bembèrèkè, suite à un parcours d’écolier aux résultats convaincants. C’est même dans cette école que j’ai appris à me nouer à l’art, parce qu’entre la claustration qu’exigeait l’ambiance militaire et ma permanente solitude intime, j’avais ce besoin intérieur, cette envie profonde, de m’exulter, d’exister autrement, d’être vécu par d’autres, d’être savouré et désiré par d’autres. Donc oui, j’ai été enfant de troupe, et c’est après que je suis passé de la baïonnette à la plume ; comme le dirait mon mentor au slam Sergent Markus.
Où est passée la vocation ?
Je crois qu’en ce qui me concerne ma vocation a toujours été celle du dire. Celle de l’extériorisation de soi. Celle de la défense des exclus. Celle du grondement et du non-silence. Et donc, le passage à l’armée, je le considère comme la nécessité qui m’a appris à apprendre la rigueur envers soi et autour de soi. Le Prytanée est donc un tremplin qui m’a même permis de me rendre à l’évidence de celui que je suis vraiment : un artiste. Et c’est pour ne pas avoir à me mentir, pour être en accord avec mon moi, que j’ai entrepris le risque de quitter les armes à feu pour des armes à feuilles. Et c’est là que je situe ma vocation en vérité.
Et si on vous appelait un jour à servir le drapeau ?
Je considère que la meilleure façon de servir son drapeau, est de le faire avec son coeur. Et mon coeur à moi parle le langage de l’art. Et donc, par tout ce que je suis, que je me fais, et deviens, je crois que je sers mon pays. C’est pourquoi, je reste convaincu que ma meilleure façon de servir efficacement notre drapeau ne serait pas en prenant des cross à serrer contre la clavicule, mais en prenant mon stylo et ma langue, pour tourmenter des mots. Mon engagement est artistique.
Quel est l'avenir du slam au Bénin ?
L’avenir du slam au Bénin, est qu’il devienne l’art de rassemblement massif. Déjà qu’il s’étend, s’adopte, s’adapte, qu’il s’enracine, et émeut, je suis certain que d’ici quelques années, si le secteur bénéficie d’une organisation avisée, ce sera l’un des moyens d’expression le plus prisés du pays. Sa liberté conceptuelle s’y prête. Et son ouverture d’esprit le permet. Nos slameurs sont jeunes, dynamiques, ont une soif de visibilité et parviennent à se réapproprier à leur guise cet art ; il n’y a pas de raison, que demain, le slam ne remplisse pas les salles, les têtes, et les lieux.
Propos recueillis par Yves-Patrick LOKO