L’ananas est un fruit fortement produit dans le département de l’Atlantique au Bénin. Mais sa production, sa conservation, sa transformation et son exportation souffrent de plusieurs maux. Les autorités en charge de cette filière et l’Institut National de Recherche Agronomique du Bénin continuent d’y chercher pour l’instant inlassablement des remèdes.
Produit à 97% dans l’Atlantique et à 3% dans les départements du Zou, des Collines, du Mono et du Couffo, l’ananas est en tête de plusieurs autres produits cultivés au sud du Bénin. Selon les statistiques de 2008 à 2012 du Carder Atlantique-Littoral, il est surtout cultivé, en ordre décroissant, dans les communes de Zè, Abomey-Calavi, Allada, Tori-Bossito, Toffo, Kpomassè et Ouidah. Cependant sa production connaît depuis plusieurs années quelques handicaps, en l’occurrence trois grandes difficultés. C’est ce qu’a expliqué le Chef Service Programmation et Suivi au Cerpa Atlantique/Littoral, M. Parfait B. Gbassi qui a géré la filière ananas pendant près d’une vingtaine d’années. La première difficulté est, selon lui, la rareté des « rejets », c’est-à-dire la « semence » qui sert à la production de l’ananas. Un problème qui ne se constate, aux dires de M. Gbassi, qu’au niveau de l’ananas appelé « Cayenne lisse ». Car l’ananas appelé « pain de sucre » ne souffre pas de cette difficulté. Son plant mère donne assez de rejets. En effet, tandis que les paysans parviennent à obtenir sur un pied du « pain de sucre » 8 à 12 rejets, le pied de la « Cayenne lisse » ne produit qu’au plus 3 rejets. La seconde difficulté, qui est d’ailleurs la plus grande aux dires de M. Parfait G., c’est la cherté et la rareté des intrants spécifiques ou engrais phytosanitaires très importants pour la production de l’ananas. Il s’agit de l’urée et du sulfate de potasse. Ce dernier est d’ailleurs indispensable pour avoir des ananas de bonne qualité avec peu de fibres, d’un bon arôme et fermes pour résister aux éventuels chocs. C’est le sulfate de potasse qui permet aussi d’avoir un taux normal de sucre et une durée de conservation plus longue. Selon les explications de ce spécialiste de la filière, en raison de la défaillance de la politique nationale d’importation, il arrive des périodes où ces deux intrants sont carrément inexistants sur toute l’étendue du territoire. Ce qui agit sur la qualité de la production. Aussi, la cherté du sulfate de potasse par rapport à l’urée amène-t-elle la plupart du temps les producteurs, faute de moyens financiers suffisants, à n’acheter que l’urée. Ce qui se répercute automatiquement sur la production. Car les ananas produits rien qu’avec l’urée sont de très mauvaise qualité, précise M. Gbassi. En effet, Mme Bertille Guèdègbé Marcos, productrice, transformatrice d’ananas et vendeuse de ces intrants à Allada, a précisé qu’en boutique le sac de 50kg d’urée se vend actuellement à 12.000fcfa alors que celui du sulfate de potasse coûte 16.000fcfa.
La dernière difficulté de production est que tous les producteurs ne sont pas informés de la nécessité de cumuler ces deux intrants à des proportions requises pour la production de l’ananas. Ils ne sont donc pas toujours formés dans ce qu’on appelle « le plan de fumure » indispensable à l’obtention d’ananas de bonne qualité. Le non-respect de ce plan de fumure par les producteurs est donc causé par l’insuffisance d’appui-conseil à leur profit, c’est-à-dire de l’encadrement adéquat. Une insuffisance due notamment à un manque criard de personnel de métier susceptible de former ceux-ci en la matière. C’est du moins ce qui ressort de « l’Analyse de la rentabilité économique des chaînes de valeur de l’ananas au Bénin » réalisée en juillet 2008 par le Maep, la Table filière ananas, le Gtz avec la contribution du Programme d’appui à la filière ananas (Padfa), de Helvetas, du Réseau des producteurs d’ananas du Bénin (Repab), de l’Union des groupements des producteurs d’ananas de Toffo (Ugpat), du Conseil d’appui au secteur privé agricole (Caspa), et de l’Union des producteurs du Sud-bénin (Ups).
Un système de stockage inexistant
Pour l’heure, le Bénin ne dispose encore d’aucun système de conservation digne de ce nom, a signalé M. Parfait Gbassi. Les traitements adéquats pour bien conserver les ananas n’existent donc ni au niveau des producteurs, ni au niveau des transformateurs, ni à l’aéroport, lieu de leur exportation (généralement en 24h) vers l’Europe. Or l’ananas est un bien très vite périssable. Sa durée de conservation varie notamment en fonction de son degré de maturation. Ainsi, a indiqué M. Parfait Gbassi, quand il est complètement mûr (M3), il ne dure que 5 jours au plus et quand il est mûr au tiers ou aux 2/3, (M1 et M2), il dure entre 7, 8 et 9 jours au maximum. Mais quand il n’est pas encore mûr (M0), il peut durer un peu plus d’une semaine, mais pas deux semaines.
Toutefois, il faut indiquer que pour conserver les ananas, certains particuliers et coopératives, qui en produisent eux-mêmes ou en achètent chez les producteurs, procèdent à leur transformation. C’est donc à cette méthode de conservation que l’on fait parfois recours au Bénin. Mais là aussi, il se pose encore quelques problèmes. La plupart de ces transformations sont artisanales, a confié M. Gbassi. Il n’y a donc pas une usine réelle de transformation industrielle d’ananas créée à ce jour par l’Etat béninois. Il n’y a que quelques usines de transformation artisanale qui existent sur le territoire notamment à Allada comme celle de Mme Bertille Guèdègbé Marcos qui y procède à la transformation artisanale d’ananas, en jus appelé « Tillou». Il existe, toujours à Allada, une autre usine qui transforme l’ananas en cannette de jus d’ananas appelé « Ira ». Il y a aussi, de façon éparse sur le territoire, des citoyens qui procèdent à une transformation domestique de l’ananas en bouteille. Et là, ceux-ci se confrontent au problème de disponibilité des bouteilles. Puisqu’il n’existe pas encore une usine de production de bouteilles au Bénin, ils recourent essentiellement aux bouteilles recyclées et vendues par les bonnes dames sur les marchés locaux notamment à Dantokpa.
Une diversité de marchés d’écoulement
L’ananas produit au Bénin est écoulé vers trois principales sources. Il s’agit des marchés locaux, sous-régionaux et l’exportation vers l’extérieur. En effet, sur le plan national, ce sont les marchés locaux qui servent à cela. Il s’agit notamment des marchés de l’Atlantique tels que Dantokpa à Cotonou, Glo, Zè Plaque (où il y a une très grande quantité d’ananas disponibles et produits soit par les paysans originaires de Zè vers la région de Tangbo ou de Glo, soit par les vendeuses elles-mêmes ou leur mari), Zinvié, Sèhouè et Sékou. L’ananas béninois est aussi exporté vers la sous-région, principalement vers le Nigeria et en second lieu, vers le Niger, le Burkina-Faso et le Mali qui eux, les revendent ou les transforment sur place. Ces exportations sous-régionales sont soit effectuées par les producteurs eux-mêmes, des particuliers qui achètent chez ces derniers, ou par de petits groupements de transformation artisanale qui exportent une partie de leurs ananas pour en éviter le dépérissement. Il arrive aussi que des coopératives béninoises aillent vendre les ananas lors de foires organisées par les pays de la sous-région. L’exportation vers l’Europe et précisément vers « le marché de registre » de la France constitue le dernier lieu d’écoulement des ananas (uniquement M1 et M2 à la durée de conservation plus longue). Puis, la France exporte à son tour l’ananas béninois vers la Belgique et l’Espagne, a précisé M. Parfait Gbassi.
Les difficultés de commercialisation
Sur le plan de la commercialisation nationale et sous-régionale, les deux difficultés majeures sont les conditions inadéquates de transport des ananas et les tracasseries policières. En effet, tel que les ananas sont généralement « paquetés » à l’intérieur des véhicules, ils sont exposés aux chocs et peuvent subir quelques blessures avant d’être acheminés vers leur destination finale. Ceci peut causer non seulement quelques pertes matérielles, mais aussi influer sur le prix de vente pouvant ainsi baisser, occasionnant également des pertes financières. Quant aux tracasseries policières, M. Gbassi indique qu’il y a beaucoup de frais douaniers qui sont payés par les transporteurs sur les voies internes d’exportation. Pour ce qui est de la commercialisation vers l’extérieur, elle souffre aussi de deux principaux handicaps : l’emballage des ananas par les producteurs et le fret aérien. Le plus souvent, les producteurs manquent cruellement de cartons devant servir à emballer les ananas en vue de leur exportation. Puis, en dehors du coût élevé d’exportation (qui est en train d’être revu à la baisse par les compagnies aériennes de transport), il peut arriver que l’avion soit en retard ou ne vienne carrément pas. Cela empiète sur la conservation des ananas qui, étant déjà emballés, risquent de pourrir à cause de l’humidité. Toujours selon les explications de M. Gbassi, il arrive également que pour un empêchement ou une autre raison, l’acheteur français décommande à la dernière minute l’exportation. Dans ce cas, la marchandise sera bloquée sur le territoire national. Et il explique que c’est dans ce contexte-là que les producteurs, obligés de récupérer leurs marchandises, sont souvent amenés à les brader à vil prix aux vendeuses de Cotonou et environs qui cassent à leur tour le prix de vente de l’ananas. Hormis le consommateur qui est le seul bénéficiaire d’une telle situation, cela représente une grande perte aussi bien pour les producteurs que pour l’Etat.
Les autorités béninoises interpellées
Malgré le fait que l’ananas soit produit en grande quantité au Bénin, et disponible sur l’ensemble du territoire, les acteurs de la filière estiment qu’il est très important de le rendre plus compétitif sur les échiquiers régional et international. Ce qui passe notamment, à leurs dires, par un meilleur encadrement de la filière, des paysans qui l’animent et surtout l’installation à court terme d’une unité nationale et départementale de transformation industrielle des ananas. Cela interpelle l’implication effective des autorités compétentes en la matière. Par ailleurs, parvenir à une plus grande compétitivité de la culture de l’ananas au Bénin nécessite également des recherches bien fournies avec des résultats concrets et satisfaisants, ont-ils confié. Ce qui fait notamment appel à une dynamisation des travaux de l’Institut National de Recherche Agronomique du Bénin (Inrab). Selon les explications de M. Parfait Gbassi, l’on assiste de plus en plus à une dégénérescence de la variété de la « Cayenne lisse », empêchant ainsi une augmentation des emblavures de cette variété d’ananas. Or en dehors de quelques petits travaux de recherche faits notamment par l’Agronome Christophe Tossou, ce terrain demeure depuis des lustres encore vierge, a indiqué M. Gbassi. Face à cela, ce dernier pense qu’il urge que l’Etat et ledit Institut intensifient les recherches en la matière. Ceci, en épurant notamment la variété, a-t-il indiqué. Aussi, ajoute-t-il, le Gouvernement béninois doit mettre à court terme davantage de moyens techniques et financiers à la disposition de la recherche pour une troisième variété d’ananas : le MD2 (en étude embryonnaire au Bénin).
Très prisé et fortement recherché sur le marché international selon les propos de M. Parfait Gbassi, cette variété se produit déjà en Côte-d’Ivoire et au Ghana. Le Bénin gagnerait donc à prendre exemple sur ceux-ci et à diversifier les variétés d’ananas produites sur le territoire national. Une diversification de la production qui favorisera, par ricochet, la diversification des sources d’écoulement des ananas béninois. Ceci permettra un meilleur rayonnement de ces derniers sur le marché international, stimulant et boostant ainsi la croissance économique et par voie de conséquence le développement du Bénin. Mentionnons que depuis qu’elle a pris les rênes du ministère du commerce, Marie-Elise Gbèdo s’efforce à placer l’ananas comme deuxième culture d’exportation après le coton. Elle a récemment entrepris des tournées dans des bassins de production et de transformation d’ananas pour mieux s’imprègner des réalités sur le terrain. Des solutions aux problèmes de la filière pourraient venir de là.
