Le débat sur la révision ou non de la constitution du 11 décembre 1990 bat son plein. Dans une approche manichéenne, la classe politique nationale s’est fracturée en deux : l’une, farouchement inspirée pour la relecture du document, l’autre, foncièrement accrochée au statu quo. Tout se passe comme si le débat sur la révision de la constitution a été seulement lancé le 06 juin dernier, date de l’expédition officielle du projet concocté par le chef de l’Etat à l’Assemblée nationale. Pourtant…
« Le mal du Bénin est que ceux qui parlent ne connaissent pas et ceux qui connaissent ne parlent pas ». Parfaite lecture d’une sociologie béninoise livrée par l’ex ministre du général Mathieu Kérékou, Alain Adiou. Celui-ci sortait fraichement de prison, à cause justement de la révision de la constitution. Depuis quelques années, en effet, le Bénin est devenu un pays du présent. Tout se conçoit au présent. Tout se vit au présent. L’histoire n’a plus de place dans le quartier latin de l’Afrique. L’histoire qui éclaire le présent pour un futur meilleur a disparu de la conscience collective des Béninois. Et c’est déjà l’un des péchés –véniel aux yeux de certains – qui plombe le développement de notre pays, malgré la volonté manifeste et affichée des divers gouvernements de nous construire un Bénin où il fera bon vivre pour chacun et pour tous.
La révision de la constitution prend-elle source dans le décret N°2013-255 du 06 Juin 2013, par lequel le chef de l’Etat a transmis à la représentation nationale le projet de loi portant révision de la constitution ? Oui, pour la plupart des Béninois. Ceux-là n’ont certainement pas tort. La fièvre actuelle née de la réforme constitutionnelle émane de ce décret. Fièvre malsaine et grincheuse, à la limite imbécile et inutile, sur une question qui couvait depuis 1996.C’est à cette année que la relecture de la loi fondamentale a été lancée pour la première fois par le Prince de Porto-Novo, Dè Sodji Abéo Zanclan. Reçu deux fois la même semaine par le président Mathieu Kérékou, fraichement redevenu locataire du palais de la Marina, le célèbre inconnu d’alors, selon la formule consacrée, déclara à la presse qu’il s’imposait de réviser la constitution à effet de donner plus de prérogatives au chef de l’Etat, fragilisé par les pouvoirs exorbitants dévolus à l’Assemblée nationale par le document. Situation inouïe, dans un régime de présidentialisme pur et dur, et non de parlementarisme caractérisé par l’omnipotence des députés. C’est, du moins, la principale raison développée par le juriste-conseil pour appeler à réviser la constitution.
Cette approche des prérogatives accordées par la loi fondamentale au président de la République, chef de l’Etat, chef du gouvernement d’une part, et aux députés, représentants désignés du peuple d’autre part, suscita une vive réaction de votre serviteur. Une inimitié naquit entre Dè Sodji Abéo Zanclan et nous, à cause de cette réaction, certes « musclée ». Depuis, l’eau a coulé sous le pont. Dè Sodji Abéo est devenu ce qu’il est : un oublié de la classe politique nationale, certainement voulu et souhaité par Mathieu Kérékou qui ne fit rien, mais absolument rien pour promouvoir un homme dont la culture politique trouvera difficilement son égale au sein des acteurs politiques connus du paysage politique actuel.
Pour un débat de fond
Aujourd’hui, le débat est complètement faussé, biaisé, vicié. La révision de la constitution du 11 décembre 1990 ne se pose plus par rapport aux pouvoirs consacrés à chacune des institutions de la République. On n’évoque que la limitation de mandats et les conditions d’âge. Toujours est-il que dans l’un ou dans l’autre cas, la révision du document s’impose. Il va falloir revoir ce document, du reste confectionné dans la précipitation, où esprit de vengeance et règlement de comptes furent les maitres-mots. Maurice Ahanhanzo Glèlè, Robert Dossou, Théodore Holo, pour ne citer que les plus célèbres géniteurs du texte querellé, n’eurent pas le temps nécessaire pour pondre un document exempt de reproches. Un analyste politique l’avait qualifié de « devoir bâclé d’étudiant ». Ils sont excusables ; la perfection n’est pas de ce monde. Avec la pratique, les tares de la constitution se révèlent au grand jour. Appliquée cahin- caha, grâce sans doute à une Cour constitutionnelle rigide sur les principes – même si ici non plus, tout n’est pas rose – la constitution du 11 décembre mérite un grand toilettage. Et il faut déjà reconnaitre au chef de l’Etat actuel le mérite d’engager irréversiblement le processus.
Pour le reste, chaque camp doit motiver sa position. Il ne s’agit nullement des arguments plats et insipides brandis ici et là par quelques thuriféraires à l’ombre, ou encore par quelques apprentis opposants en mal d’inspiration ou de sensation forte, lesquels, au demeurant, n’ont aucune qualité pour intervenir dans le débat. La révision de la constitution n’est pas l’affaire du paysan de Tchoumi- Tchoumi, encore moins celle du pêcheur d’Agbannankin. C’est une question hautement scientifique. A ce titre, seuls les « initiés » sont conviés au repas. Les juristes – privatistes ou publicistes – les sociologues, les historiens, les psychologues, les philosophes… Voilà les privilégiés au débat sur la révision de la constitution. Trêve de tapages puériles et inutiles, d’agitations grossières et abêtissantes, de soliloques incompris et incohérents. La constitution du 11 décembre 1990 a grandement besoin de retouche. Hic et nunc.