En manque criard de latrines, les populations des villages lacustres du Bénin n’ont autre choix que de faire leurs besoins dans l’eau. Des excréments, des sachets flottants sur l’eau, le spectacle est à la limite insoutenable. L’environnement est constamment pollué, les populations apparemment habituées ne s’en émeuvent point.
Quelques minutes après le repas, le jeune Nassirou est pris d’une diarrhée aigue. Il quitte les pilotis, fais un détour brusque derrière la cabane et revient une dizaine de minutes après. Pour les parents de l’intéressé, c’est un geste naturel. Au fait Nassirou était parti se soulager dans cette cabine installée derrière la cabane. Cela n’avait pas l’air d’une latrine moderne, mais c’est là que toute la famille et même les voisins viennent se soulager. L’intérieur n’a rien d’attrayant. Juste, de petites planches disposées sous forme d’une plateforme et une petite ouverture par laquelle sont lâchés les excréments qui tombent directement dans l’eau. Pour les populations autochtones, faire les besoins dans l’eau est une tradition. Usant du prétexte selon lequel les matières fécales servent à nourrir les poissons, les populations multiplient ces gestes qui détruisent l’environnement. A Sô-Ava, Ganvié, les Aguégués, Grand-Popo, Comè ainsi que certains villages comme Dohi, Agbanto, Guézin, le besoin en latrines est criard. La situation est préoccupante. La multiplication du geste fait qu’actuellement, le milieu est profondément pollué parce que les matières une fois lâchées, flottent à la surface de l’eau, s’entassent ensuite et dégagent parfois une odeur insoutenable. La menace de ces actes sur l’environnement, et la santé des populations est permanente. Dans toutes les zones lacustres du Bénin, la seule et unique ‘’latrine’’ qui existe, c’est l’eau. Pour le Chef d’arrondissement de Ganvié 1, Désiré A. Salako, la citée touristique du Bénin beigne dans une insalubrité inquiétante. « On n’a pas de latrine. Vous savez bien que Ganvié est classé patrimoine mondial par l’Unesco. Et vous savez aussi que c’est appelé la Venise de l’Afrique. Mais voyez vous-mêmes l’état dans lequel il se trouve. En l’absence de latrine, les populations n’ont autre choix que de déféquer dans l’eau. C’est ce qu’on fait tout le temps. L’insalubrité est totale. L’aspect que cela présente est désagréable. Lorsque les étrangers voient cela, ils sont découragés et n’aiment plus revenir », a-t-il déclaré. D’après l’autorité locale, la pratique existait depuis sa naissance et se perpétue avec le temps. « Nos aïeux ont déféqué dans l’eau. La même pratique se perpétue. Quand les déchets sont lâchés, ils flottent à la surface de l’eau. C’est dans les agglomérations qu’on observe la chose. Quand on rame, on voit les excréments partout », se désole Désiré A. Salako. Mieux, les investigations menées ont permis de comprendre que l’érection des latrines en matériaux définitifs n’est pas une panacée puisque cela n’arrange pas les populations installées sur l’eau. De surcroit, ces latrines ne résistent pas à la crue. Selon les populations de la localité de Ganvié 1, pendant la récente inondation occasionnée par les crues, toutes les matières ont été chassées des puits.
Les déchets solides et ménagers s’y ajoutent
L’autre équation difficile à résoudre est la gestion des déchets solides et ménagers. Faute de site d’entassement, tous ces déchets sont systématiquement déversés dans l’eau. Pour le Ca de Ganvié 1, l’arrondissement de Sô-Ava ne dispose d’aucun site de collecte des déchets. « L’eau est constamment polluée aussi bien par les excréments que par ces déchets. Il n’y a pas un lieu de regroupement. Il y a l’Organisation non gouvernementale (Ong), Oxfam Québec qui veut nous aider pour le traitement des déchets. Ce n’est qu’en ce moment qu’on aura un site de regroupement et de traitement », a-t-il fait savoir. Le problème est crucial, mais n’est pas insoluble.
L’eau de pêche épargnée ?
Approché, un cadre de la direction des pêches, structure sous tutelle du Ministère de l’agriculture de l’Elevage et de la pêche (Maep), qui a requis l’anonymat, a affirmé qu’il y a lieu de distinguer entre l’eau constamment polluée par les populations et celle servant à la pêche. « Il y a deux parties sur l’eau. Il y a la partie dortoir où sont implantés les pilotis qui est polluée à plein temps et la partie de la pêche qui n’est pas occupée. C’est à cet endroit que les populations vont pêcher et retournent dormir le soir », a-t-il clarifié. Selon notre interlocuteur, des études ont été réalisées par le passé et ont permis de prélever les deux types d’eau. « Quand vous prenez l’eau polluée et l’eau de la pêche, il y a nettement une différence. Des analyses ont été réalisées par le passé et ont permis de retenir un taux de toxicité assez élevé au niveau de l’eau des agglomérations. Ce qui est quasi inexistant au niveau de l’eau de pêche. C’est normal parce que l’eau des citées lacustres est stagnante et polluée alors que de l’autre côté, l’eau coule et est constamment lessivée », a-t-il fait savoir. Selon ses explications, la nature régule très souvent l’eau en balayant pendant la crue les déchets au cours de l’année. « Les hommes polluent l’eau mais la nature régule au moins une fois dans l’année. Entre juillet et août, rendez-vous dans ces zones. Vous n’aurez pas des cas de choléra et maladies diarrhéiques chroniques parce que les saletés déposées dans l’eau par les populations sont lessivées par l’eau de mer. Le phénomène se produit aussi en temps de crue. L’eau polluée est chassée et quand vous la prélevez, elle est propre. Mais une fois installées, les populations reprennent leur acte de destruction. », a manifesté le fonctionnaire de la Direction de la pêche. Il rappelle au passage que le besoin en latrines ne date pas d’aujourd’hui. Les contraintes à la construction de latrines dans ces zones sont liées non seulement à la spécificité du cadre de vie, mais aussi et surtout à l’impossibilité d’un système d’évacuation des déchets. « C’est depuis des années que nous nous penchons sur ce problème. Les bailleurs de fonds en l’occurrence la Giz ont manifesté un intérêt inouï à ce projet par le passé. On voulait construire des latrines sur l’eau mais le souci a été l’évacuation des besoins. Une fois les fosses remplies, comment faire la vidange et où déverser les matières ? Si nous ne savons pas faire, nous risquons de déplacer le problème. C’est à cette question que nous faisions face » a-t-il fait savoir. La recrudescence des cas de choléra dans ces zones est liée selon le fonctionnaire de la Direction des Pêches au non respect des principes d’hygiène par les populations. « Comment on peut se laver et laver les assiettes dans l’eau dans laquelle on a fait les besoins ? C’est inconcevable. Pourtant, il n’est pas rare de l’observer dans ces zones. A cette allure, ne soyez pas surpris qu’il y ait des cas de choléra. Quand les populations foulent au pied les règles élémentaires d’hygiène, elles ne doivent pas se plaindre outre mesure des répercussions. Des campagnes de sensibilisation ont été organisées par le passé sur le respect des règles d’hygiène, mais jusqu’à présent, certains continuent de perpétuer ces viles pratiques », a-t-il fait savoir.
Agir
A la Direction de la Pêche on soutient que c’est le non respect des textes qui maintient ces populations dans ces zones. « Si nous allons nous référer strictement aux textes, ces populations ne doivent plus continuer à vivre sur l’eau. Les textes sont clairs, mais on ne veut pas les respecter. Les populations vous diront que leurs ancêtres sont là et que ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut les déplacer. Par ces arguments, elles légitiment l’irrégularité. C’est au pouvoir de prendre ses responsabilités ».
Des latrines flottantes, la solution
Peut-on disposer d’une latrine adaptée aux zones lacustres ? Le fait a priori est difficilement envisageable. Mais selon les spécialistes en embarcation, la chose est bien possible. Pour Xavier Togbossi, expert en embarcation, la construction d’une latrine flottante pour les populations des régions lacustres ne relève plus d’une possibilité mais d’une réalité. « J’ai conçu une latrine flottante. Mon invention a été déjà certifiée par l’Organisation africaine pour la propriété intellectuelle (Oapi). C’est une latrine qui sera installée sur l’eau », a-t-il déclaré. Selon cet inventeur, le dispositif offrira des moyens plus aisés aux populations et empêchera la pollution de l’environnement. « L’innovation de cette latrine est qu’elle est composée d’un dispositif offrant aux populations des zones lacustres, des conditions hygiéniques de défécation et garantit un environnement sain. C’est un dispositif qui aura une durée de vie de 40 ans. Le système d’évacuation est également prévu dans le plan que j’ai élaboré », a-t-il déclaré.