La cybercriminalité est de plus en plus pratiquée par les jeunes à la recherche de gain facile. Mais ce phénomène juvénile porte atteinte à l’image du pays et à l’économie nationale.
Depuis quelques années, les pouvoirs publics se mobilisent fortement contre la cybercriminalité, de plus en plus fréquente du fait de l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cette lutte se heurte parfois à des obstacles en raison du vaste caractère des réseaux informatiques, de la rapidité avec laquelle les infractions sont commises et de la difficulté à rassembler les preuves. « La cybercriminalité est une notion large qui regroupe toutes les infractions pénales susceptibles de se commettre sur ou au moyen d’un système informatique généralement connecté à un réseau, notamment sur le réseau Internet ». Ainsi définie, la cybercriminalité désigne les atteintes aux biens : fraude à la carte bleue sur Internet sans le consentement de son titulaire, vente par petites annonces ou aux enchères d’objets volés ou contrefaits, encaissement d’un paiement sans livraison de la marchandise ou autres escroqueries. La cybercriminalité peut alors englober une bonne variété d’attaques. Il est donc important de comprendre l’étendue de ces attaques pour mieux se protéger.
Comme toute infraction, la cybercriminalité peut prendre diverses formes et peut se produire à tout moment et n’importe où. Les cybercriminels utilisent un certain nombre de méthodes, en fonction de leurs compétences et de leurs objectifs.
Deux types de cybercriminalité
La cybercriminalité de type I présente les caractéristiques suivantes : il s’agit généralement d’un événement ponctuel du point de vue de la victime. Une victime télécharge sans le savoir un cheval de Troie qui installe un programme d’enregistrement des frappes clavier sur sa machine. Il est possible également que la victime reçoive un courrier électronique contenant un lien prétendu légitime alors qu’il s’agit en réalité d’un lien vers un site Web hostile. Il est généralement fourni par des logiciels criminels tels que les programmes d’enregistrement de frappes clavier, les virus, les rootkits ou les chevaux de Troie. Les failles ou les vulnérabilités d’un logiciel ouvrent généralement la porte à l’attaquant. Par exemple, des criminels contrôlant un site Web pourraient profiter d’une vulnérabilité d’un navigateur Web pour placer un cheval de Troie sur l’ordinateur de la victime. Le vol ou la manipulation de données ou de services par piratage ou par le biais de virus, l’usurpation d’identité, la fraude bancaire et le commerce électronique font aussi partie de ce type de cybercriminalité.
Quant à la cybercriminalité de type II, il s’agit généralement d’une série continue d’événements impliquant des interactions répétées avec la cible. Par exemple, la cible est contactée par une personne dans un forum de discussion. Petit à petit, cette personne tente d’établir une relation avec la cible. Le criminel finit par exploiter cette relation dans le but de perpétrer un acte criminel. Ce deuxième type de cybercriminalité comprend entre autres : le harcèlement sur Internet, la prédation contre les enfants, l’extorsion de fonds, le chantage, la manipulation des marchés boursiers, l’espionnage industriel de haut niveau, ainsi que la planification ou l’exécution d’activités terroristes.
Il faut corriger le tir
Pour Jacques Doussouhouan, coordonnateur de l’Ong Emploi sans frontière, la cybercriminalité est un phénomène à multiple facettes difficiles à appréhender. Les jeunes s’y adonnent à cause du chômage. A l’en croire, il est nécessaire de renforcer leur capacité pour leur insertion dans la vie active. « L’objectif de notre Ong est d’améliorer l’employabilité des jeunes sans emploi. Nous nous sommes lancés dans ce domaine car, nous avons constaté que les jeunes étudiants, après leurs diplômes, certains sont recrutés. Mais l’employeur constate un grand écart entre ce qui est attendu d’eux en termes de rendement et ce qui est effectivement rendu. Cela fait que plusieurs jeunes sont remerciés après trois mois d’activité. Ainsi, les employeurs se séparent simplement de ces collaborateurs car, ils ne sont pas satisfaits de leur travail. Cela veut dire que l’expérience ne s’achète pas, mais elle s’acquiert ou se partage. On s’est donc dit qu’il faut choisir un secteur donné afin de renforcer les capacités des étudiants formés dans ce domaine. Donc, chaque année, on procède à des tris des jeunes qui veulent réellement travailler. Nous faisons ensuite appel à des personnes ressources qui sont à la retraite ou proches de leur retraite qui viennent partager leurs expériences avec ces jeunes. Cela les rend opérationnels une fois recrutés dans des entreprises. Alors, notre première expérience en 2011, nous a permis de former 50 caissiers de banque et des agents de recouvrement. A la fin de la formation, le cabinet Talent plus Conseil nous a aidés à insérer 7 personnes dans une banque de la place et elles ont pu rester jusqu’à présent », a-t-il expliqué. A l’en croire, la pratique de la cybercriminalité ternit l’image de notre pays au point où certains pays ont déconseillé à leurs hommes d’affaires toute négociation avec des opérateurs béninois via Internet. Or, l’Internet selon lui, devrait être un outil permettant aux Petites et moyennes entreprises (Pme) de nouer des contacts hors du pays pour leur promotion.
Pour corriger le tir, un séminaire a été organisé en juin dernier par l’Ong Emploi sans frontière. Ces assises qui ont réuni des officiers de police du Bénin et de la sous-région, les membres de la société civile et autres ont été l’occasion pour cette organisation non gouvernementale de restituer les résultats de ses recherches sur ce phénomène au Bénin. Pour Fabien Hounyovi, président de l’Ong Emploi sans frontière, au moment où certains s’investissent à la construction du pays, d’autres profitent de l’évolution des Technologies pour détruire ces efforts. Ainsi, cette déviance dans l’utilisation de l’informatique menace le système de développement du Bénin et ternit son image. Raison pour laquelle, il convie les forces vives de la nation à une réflexion fructueuse afin de barrer la voie à l’évolution de ce phénomène.
A en croire Jacques Dossouhouan, si rien n’est fait, les conséquences de ce phénomène seront néfastes pour l’économie nationale. « Les jeunes qui pratiquent la cybercriminalité sont pour la plupart des diplômés sans emploi. Imaginez la disparition de cette "filière" un jour. Ces jeunes, habitués au gain facile, vont chercher un emploi. Ils seront sûrement recrutés dans une structure étatique ou privée. C’est en ce moment que les dégâts vont commencer. Car, ils vont commencer par détourner des deniers publics une fois en contact avec l’argent. C’est normal puisqu’ils étaient habitués au gain facile. Il faut donc voir plus loin en luttant contre la cybercriminalité », a-t-il ajouté. Il urge donc de lutter contre ce phénomène pour la préservation des compétences et la protection de l’économie nationale.
Entretien avec le commissaire Nicaise Dangnibo, chef Ocrc
« Plus de 800 cybercafés clandestins encouragent la cybercriminalité à Cotonou »
La communauté internationale a célébré le mardi 10 février 2015 la journée internationale de l’Internet plus sûr. A cette occasion, Nicaise Dangnibo, commissaire de police en charge de l’Office central de répression de la cybercriminalité (Ocrc) parle ici de l’importance de cette journée et surtout de l’utilisation de l’Internet par certains concitoyens pour voler le bien d’autrui.
La communauté internationale a célébré le 10 février, la journée internationale de l’internet plus sûr. Qu’est-ce que c’est ?
En réalité, la journée internationale de l’internet plus sûr est une journée instituée depuis 11, ans c’est à dire depuis 2004, pour amener les utilisateurs de l’outil qu’est l’internet à savoir se comporter, à savoir aller dans le bon sens sur le net. Mais malheureusement, malgré cette journée instituée au Bénin, nous sommes un peu en retard, nous sommes encore en marge de cette manifestation parce que les populations n’ont pas encore véritablement compris l’importance de cette journée. En fait, j’ai coutume de comparer l’internet à un océan. Et lorsque vous décidez de plonger dans l’océan, alors qu’au préalable, vous n’avez pas pris toutes les dispositions pour pouvoir nager et vous ne vous êtes pas renseigné sur les zones où vous pouvez vraiment nager en toute sécurité, il y a fort risque de mourir par noyade ou de vous faire dévorer par les animaux aquatiques. C’est exactement cela l’internet. Pour aller vers l’internet, il faut d’abord savoir ce qui vous y amène. Nous y allons pour faire quoi ? Et comment vous comporter sur l’internet, d’abord pour éviter les pièges des escrocs. Ensuite, pour les jeunes, il y a des sites qui ne leur doivent pas être conseillés. Et c’est en cela que la journée du 10 février a été instituée pour que nous en tant que parents, éducateurs, puissions amener la jeunesse et les utilisateurs de cet outil de développement à savoir vraiment l’utiliser, à en faire un usage à bon escient.
Vous êtes le premier responsable de l’unité chargée de réprimer la cybercriminalité au Bénin. Est-ce qu’au niveau de la police nationale, quelque chose se fait réellement pour lutter contre ce mal ?
Comme vous le dites, le phénomène de la cybercriminalité est réel chez nous ici au Bénin. Pour aller un peu plus en arrière pour vous dire comment la police béninoise a commencé par être confrontée à ce phénomène, cela a commencé à partir des années 2.000. Pour certains ressortissants des pays limitrophes ayant été au contact de ce phénomène, on choisit notre pays comme terre d’asile, où des cybercriminels opèrent en toute quiétude. Et les nationaux, nos jeunes frères ayant vu leur train de vie grandir, ont tôt fait d’aller à leur école. Ainsi, le phénomène a commencé progressivement par prendre d’ampleur pour devenir ce que nous voyons aujourd’hui. Mais la police béninoise n’est pas restée les bras croisés. Déjà en 2008, la hiérarchie policière a pensé créer une cellule pour se spécialiser dans cette lutte. Mais, il se trouvait que cette cellule est incorporée dans la sous direction économique et financière qui avait déjà un champ d’action très vaste au point où, le phénomène se faisant de plus en plus grandissant, la cellule était chétive en face de cette mission qui lui a été confiée. Les autorités au haut niveau ont encore pensé revoir la stratégie et c’est ça qui a conduit à la création de l’Office central de répression contre la cybercriminalité par décret présidentiel pris le 13 mai 2013 en conseil des ministres. L’office étant créé depuis 2013, plus précisément en juin, à ce jour, nous avons fait une multitude d’opérations. Je vous avoue que les statistiques de 2014 sont révélatrices de ce que nous avons pu produire. Nous avons enregistré à la fin de l’année 2014, 278 cas d’escroquerie via internet. Malgré nos maigres moyens, nous avons appréhendé 120 délinquants que nous avons laissés à la disposition de la justice et qui sont placés sous mandat de dépôt. Mais, nous ne nous sommes pas arrêtés en si bon chemin. Nous avons également multiplié des descentes dans les cybercafés, puisque c’était le lieu de prédilection où les cybercriminels se refugient pour pouvoir commettre leur forfait. Nous avons également commencé par inviter les promoteurs de cybercafés à notre bureau pour les sensibiliser sur les dangers que nous sommes en train de courir tous, du fait de leur ignorance. Parce qu’en prêtant leurs installations aux cybercriminels, c’est l’image de notre nation qui est égratignée à l’extérieur. Et, je ne trahis aucun secret en vous disant que toute l’année 2014, les représentations diplomatiques béninoises à l’étranger n’ont pas cessé de nous saisir par rapport aux différentes plaintes que les expatriés vont leur déposer. Cela nous a amenés à commencer par réfléchir, appeler les promoteurs de cybercafés qui ne sont pas en règle à aller le faire au niveau de l’Atrpt qui est devenue aujourd’hui l’Arcep. Mais c’est encore une lutte qui est engagée, parce qu’ils ne nous comprennent pas malgré tout ce que nous faisons. Pour eux, ils peuvent s’installer en toute illégalité. Or, les textes sont là, clairs et ils doivent aller s’enregistrer à l’Arcep avant de commencer leur activité. Quand bien même ils remplissent cette formalité, ils doivent se rapprocher de nous pour qu’on leur indique comment ils doivent fonctionner. Je veux profiter pour lancer un appel à ces promoteurs de cybercafés parce qu’il est déjà arrivé que nous avons présenté des cyber-délinquants au procureur de la République avec des promoteurs de cybercafés. Oui, en tant que complices et ils doivent aussi répondre de leur forfait devant la justice. Parce que d’abord, ils ne se sont pas enregistrés et ils exercent en toute illégalité, dans la clandestinité. Vous comprenez que dans ces cas, on ne peut les traiter comme des complices. On parle en ce moment de complicité par la fourniture de moyens.
Disposez-vous de moyens performants pour détecter à temps les actes posés par les cybercriminels ?
A vrai dire, nous manquons cruellement de moyens. Il faut l’avouer, nous n’avons que notre détermination et le peu de moyens que le Dgpn arrive à nous fournir. Mais quand on dit cybercriminalité, il ne s’agit pas de moyens ordinaires. Il faut des moyens ultramodernes. Il faut des moyens performants et sophistiqués pour traquer les cyber-délinquants. Je n’irai pas jusqu’à donner des noms de certains matériels, mais nous manquons véritablement de moyens. Et la hiérarchie est déjà au courant. Régulièrement, nos rapports sont partis et nous espérons, puisqu’on nous a fait des promesses, que les mois à venir, nous soyons véritablement dotés de moyens. Parce que, avouons-le, nous nous sommes engagés dans un combat où les armes sont inégales. Les cybercriminels disposent aujourd’hui de moyens et s’en dotent au jour le jour pour mieux accomplir leur sale besogne. Autre chose, c’est qu’il est déjà arrivé que nous ayons surpris des promoteurs dans une complicité active. Cela veut dire qu’ils ont bien connaissance que ces individus sont des cyber-escrocs, mais comme cela leur procure de l’argent, ils leur prêtent leurs installations et ceux-ci les utilisent en toute quiétude pour escroquer des occidentaux et nos concitoyens. Je voudrais profiter de cette tribune pour leur faire comprendre qu’ils prennent d’énormes risques, chaque fois qu’ils se comportent ainsi. Ne faudrait-il pas qu’ils soient surpris le moment venu de se retrouver devant la justice pour répondre de leurs forfaits.
Est-ce qu’il y a une loi qui réprime ce crime ?
Le Bénin dispose d’un code pénal qui réprime l’escroquerie sous toutes ses formes. Mais en dehors de ce code, il se trouve que l’Assemblée nationale a pu doter notre Etat d’une loi : la loi 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin. Ce n’est que cette loi qui a prévu au niveau de son chapitre 15, une vingtaine d’articles pour réprimer le phénomène. Donc, c’est ça qui nous sert aujourd’hui de socle pour pouvoir lutter contre le phénomène. Mais je dois aussi préciser que cette loi comporte quelques insuffisances et nous nous retrouvons aujourd’hui en face de certaines manifestations qui ne sont pas prévues ou prises en compte sérieusement par ladite loi. D’où la nécessité pour notre législature ou les autorités en charge de légiférer de penser rapidement à doter notre pays d’une loi spéciale pour prendre en compte toutes les infractions liées à la cybercriminalité. Cela pourra véritablement nous aider dans la lutte que nous menons, parce que parfois, vous prenez les délinquants, vous faites la procédure, vous les envoyez… Aujourd’hui, il faut le dire, les magistrats nous soutiennent. Ils vont dans le même sens que nous, mais comme je viens de le dire, la loi n’a pas pris en compte tous les paramètres. Il arrive que face à certaines formes, le magistrat ne parvient pas à aller loin.
Dans la ville de Cotonou, combien de cybercafés opèrent encore dans l’illégale ?
Nous avons décidé d’enregistrer tous les cybercafés de Cotonou avant de penser aux autres villes de l’intérieur du Bénin. Il faut l’avouer, c’est un travail fastidieux car, notre office manque cruellement de moyens. Nous avons démarré l’opération d’enregistrement il y a à peine quatre mois, mais nous avons déjà recensé plus de huit cents (800) cybercafés clandestinement ouverts. Mais il faut reconnaître que ces cybercafés se créent clandestinement au jour le jour. Cela rend encore la tâche plus difficile.
Quels sont les modes opératoires des cybercriminels que vous avez arrêtés ?
La cybercriminalité est un ensemble d’opérations. Donc, le mode opératoire évolue selon chaque forme. Je vais vous parler de quelques formes. Je prends par exemple le cas de l’escroquerie à la vente de véhicules sur Internet. Nos jeunes frères vont sur les sites officiels de vente de véhicules, identifient un véhicule et contactent ensuite le réel vendeur comme s’il était un acheteur. Il demande alors au vendeur les papiers administratifs du véhicule, l’assurance. Le vendeur, ne doutant de rien, montre toutes ces pièces via Internet. Le cyber-délinquant prend possession desdites pièces, les modifie, prend l’image du véhicule sur le même site ou ailleurs. Maintenant, pour appâter les internautes, il casse le prix de vente du véhicule. Si le véhicule était vendu au départ à huit mille (8.000) Euros, le cybercriminel annonce quatre mille (4.000) Euros comme prix de vente. Dès qu’un acheteur voit le véhicule qui coûte 8.000 Euros ailleurs et 4.000 Euros ici, automatiquement, il saute sur l’occasion tout en croyant faire de bonnes affaires. Il prend contact avec le cybercriminel qui lui demande la moitié de l’argent et lui fait comprendre qu’à la livraison, il lui versera la moitié restante. Puisque le cybercriminel l’a déjà rassuré en fournissant toutes les pièces du véhicule, l’acheteur, ne doutant plus de rien, vire l’argent et attend la livraison du véhicule qui ne viendra jamais. Et ce même véhicule peut être vendu à des dizaines de personnes de cette manière.
De même, il y a le cas de l’escroquerie à la fausse annonce de prêt puisqu’il existe des prêteurs particuliers en dehors des institutions bancaires. Ce n’est pas une réalité africaine mais elle est très développée en Europe. Et, nos jeunes frères vont sur les sites où ces genres d’annonces sont publiés, les copient, les modifient à leur manière et les repositionnent sur le même site ou ailleurs avec des noms européens car, ils ne se présentent jamais comme Africains. Ainsi, ceux qui sont à la recherche de prêts se rendent sur le site et vont vers ceux qui appliquent un taux relativement plus bas. Après avoir choisi le cyber escroc qui lui a forcément présenté un taux bas par rapport aux vrais prêteurs, il entre en contact avec lui et ça commence. Le cyber-escroc lui demande certains frais relatifs à la signature du contrat, à l’ouverture de compte où l’escroc est supposé lui verser l’argent demandé, à l’assurance, les pénalités… ainsi de suite. C’est un piège sans fin.
Aussi, il y a le chantage par le Webcam, nos jeunes frères escrocs créent des profils de dames sur Internet. Ils cherchent ensuite les images de très jolies dames qu’ils mettent sur leur profil. Et ils vont ensuite à la conquête des femmes ou des hommes selon qu’ils se présentent comme des homosexuels ou des bisexuels. Une fois la relation engagée, c’est la supposée femme qui vous envoie des femmes qui présentent leurs parties sensibles. En retour, elle demande à son/sa correspondant(e) de faire de même. Naïvement, beaucoup de jeunes et même des responsables, tombent dans le piège. Une fois que le cyber-délinquant a en sa possession ces images ou ces vidéos, il change de langage et commence par vous faire chanter. Il commence par vous réclamer de l’argent selon la posture que vous lui avez présentée dès le départ. Il y a des gens qui ont déboursé jusqu’à trente millions pour que ces images ne sortent pas sur les réseaux sociaux. Plus grave, ils sont obligés de débourser de l’argent chaque fois que le cybercriminel réclame de l’argent. Il y a certains qui viennent se plaindre à nous, par contre, il y a d’autres qui ne veulent pas en parler et cela passe dans l’anonymat.
S’agissant d’escroquerie à la téléphonie, c’est une nouvelle trouvaille que nos jeunes frères cybercriminels sont en train d’utiliser pour escroquer énormément les concitoyens. Et là, ce sont les nationaux qui en sont souvent victimes. Ils vous contactent par téléphone et ce sont les indicatifs européens qui s’affichent chez vous. (C’est généralement les indicatifs de la France, Belgique et de l’Italie qu’ils utilisent. Mais en Afrique, ils utilisent les indicatifs de la Côte d’Ivoire, du Burkina-Faso, du Togo, ou du Gabon). Ils se présentent comme une personne à qui, autrefois, vous avez rendu service, puis ils font des recherches sur vous et vous diront à tel moment vous étiez à tel endroit. Ce qui est toujours vérifié. Vous ne pouvez pas reconnaître tous ceux à qui vous avez rendu service et ils vous diront qu’ils étudient désormais en France ou qu’ils ont été recrutés dans un laboratoire qui fabrique certains produits pharmaceutiques pour lutter contre des maladies en Afrique. Ils vont diront ensuite qu’ils ont besoin de matières premières qui se trouvaient au nord Bénin, mais avec la déforestation, on n’en trouve plus. Mais actuellement, on peut en trouver au Togo, au Ghana et en Côte d’Ivoire. C’est donc une opportunité d’affaires qu’il vous offre car, vous l’avez aidé dans le passé. Il va vous rassurer que vous ne dépenserez aucun franc, mais quand vous allez encaisser les sous, il faut penser à partager les intérêts avec lui. Il vous passe ensuite à un supposé européen propriétaire du laboratoire qui vous dira qu’il descend au Bénin dans quelques jours pour venir prendre les matières premières chez vous. Il vous met ensuite en contact avec un supposé chauffeur qui connaît bien l’endroit où se trouve la matière première recherchée car, il y avait conduit les gens de par le passé. On vous cite parfois les noms des personnalités ou hommes d’affaires qui ont réussi et ils vous diront que c’est ce circuit qui les a enrichis. Vous prenez alors contact avec ce chauffeur qui vous dit qu’il avait aidé en son temps des gens qui ont aujourd’hui l’argent mais qui n’ont jamais pensé à le récompenser. Donc, il n’est plus dans ça. Il va même vous amener à le supplier. Il va alors accepter et vous demander de lui transférer de crédit pour qu’il puisse appeler les fournisseurs sur le terrain. Il vous dira ensuite qu’il les a contactés et que certains laboratoires veulent prendre le stock disponible donc, de faire vite pour être le premier sur le terrain. Ensuite, il vous dira que s’il doit voyager, il va laisser un peu d’argent à sa famille, assurer son déplacement, son hébergement et sa restauration sur le terrain. Globalement, il peut vous demander de lui envoyer 500.000 F Cfa. Si vous envoyez cette somme, vous êtes tombé dans le piège. Il attend une journée et vous rappelle en vous faisant croire qu’il est devant les fournisseurs et d’autres laboratoires sont aussi là en train de discuter le produit et que c’est celui qui verse l’argent le premier qui partira avec le produit. Voilà qu’entretemps, le supposé expatrié Français ou Italien est déjà en route. Vous allez donc avancer les sous pour le récupérer chez ce dernier une fois à Cotonou. Ainsi, sans contact physique, des gens virent des millions de francs Cfa. Nous avons eu une plainte où la victime à viré cinquante quatre millions (54.000.000 F Cfa). Nous enregistrons des plaintes de un, deux, trois, quatre, dix, trente, quarante millions de francs Cfa.
Mais face à ces formes d’infractions, nous sommes confrontés à des difficultés, car les numéros que ces escrocs utilisent ne sont pas enregistrés auprès des opérateurs Gsm. Cela fait que quand nous commençons les enquêtes, on se retrouve dans le vide car, nous n’avons aucune identification. Cela complique alors les recherches au niveau de la police. Nous sommes en train de bousculer ces opérateurs Gsm pour qu’ils corrigent le tir parce que le décret qui les oblige à enregistrer leurs abonnés est clair, mais il n’a prévu aucune sanction au non respect de ces dispositions. Une fois que ces genres de plaintes nous parviennent, nous essayons de réunir tous les éléments nécessaires. Certaines aboutissent et nous mettons la main sur ces délinquants. Par contre, d’autres n’aboutissent pas.
Quels sont les impacts de la cybercriminalité sur notre économie ?
De l’intérieur, nous ne nous rendons pas compte de l’impact de la cybercriminalité sur notre économie. Mais la cybercriminalité nous détruit énormément à l’international. Si vous voyagez en tant que citoyen béninois vers un pays européen, essayez d’émettre un transfert d’argent vers le Bénin et vous verrez la réaction que les agents de ces institutions bancaires auront vis-à-vis de vous. Le Bénin n’inspire plus confiance car, quand vous émettez un transfert d’argent, vous n’êtes pas sûr que le destinataire le reçoive. Il y a un fort taux de détournement de transferts d’argent en direction des bénéficiaires béninois.
Comment procèdent-ils, ces délinquants ?
Il y a des logiciels sur Internet. Ces cybercriminels les téléchargent et les installent sur tous les postes du cybercafé. Ils attendent jusqu’à une semaine. Ils reviennent avec une clé Usb et copient tout ce que le logiciel a enregistré car, ce logiciel enregistre tout ce que vous tapez sur le clavier. Arrivé chez lui, il analyse tout ce que le logiciel a enregistré et si entre-temps, on vous a envoyé le mot de passe d’un transfert d’argent par courrier, il le découvre. Et une fois qu’il découvre le mot de passe, il est le premier à se présenter car, ils sont souvent de connivence avec certaines agences de Western Union. Il prend l’argent et il disparaît. Et quand vous allez vous présenter plus tard pour retirer votre argent, vous constaterez que les sous ont disparu du circuit. On vous dira que vous êtes déjà passé retirer vos sous. Evidemment, vous allez refuser mais ils vous sortiront toutes les preuves que c’est vous qui étiez passé faire l’opération. Donc, plus personne ne veut envoyer de l’argent vers ces réseaux de transfert parce qu’ils ne sont pas sûrs que l’argent parviendra à son vrai bénéficiaire. De plus, tout ce qui se présente sur Internet comme produits sortant du Bénin, suscite méfiance même si parfois, ce sont des honnêtes citoyens qui sont derrière. Il y a quelques années, l’Inde a interdit à ses opérateurs économiques d’entrer en relation d’affaires avec des Béninois via Internet. Donc, la cybercriminalité ternit l’image de notre pays.
En dehors de cet aspect, la cybercriminalité est en train de déscolariser la jeunesse de notre pays. Car les jeunes abandonnent les cours pour être dans les cybers. Parce qu’ils ont eu à constater que leurs amis qui ont abandonné les classes sont devenus riches du jour au lendemain avec de belles voitures, des appartements et des demoiselles de classe exceptionnelle. Donc, le taux de la déscolarisation est en pleine croissance à cause de la cybercriminalité. Certains parents sont complices de cette situation. Cette complicité peut être passive ou active. Elle est passive quand les parents voient la situation et ne réagissent pas. Elle est par contre active quand les parents eux-mêmes définissent les stratégies avec leurs enfants. Je crains alors pour l’avenir de notre jeunesse. J’invite les hommes politiques, les opérateurs économiques à se joindre à l’Office central de répression de la cybercriminalité (Ocrc) en nous dotant de moyens car, il ne faudrait pas qu’ils pensent que les cybercriminels prennent l’argent des occidentaux. Cela ternit l’image de notre pays et ce n’est pas bon pour les affaires. Si nous ne sommes pas crédibles, aucun partenaire ne nous prendra au sérieux, or à l’heure actuelle, aucun pays ne peut vivre en vase clos. Il faut alors que tout le monde se mette aux côtés de la police nationale pour que cette lutte contre la cybercriminalité soit nationale. C’est en agissant ainsi qu’on peut faire du Bénin un lieu où l’Internet est plus sûr.
Réalisation : Adrien TCHOMAKOU & Isac A. YAÏ