Dans le classement mondial de la liberté de presse 2015 publié hier par l’Ong Reporters sans frontières (Rsf), le Bénin est classé 84è. Et pourtant, Yayi Boni a pris le pouvoir quand le pays était 25è. En neuf ans de règne, c’est l’édifice du Général Mathieu Kérékou qu’il a saccagé.
Il ne reste plus grand-chose de la liberté de presse au Bénin. Le classement mondial Rsf 2015 le révèle à bien des égards. Le Bénin est désormais classé 84è après avoir perdu 9 places. Classé 75è en 2014, le pays dirigé par Yayi Boni a encore dégringolé. Quand on se réfère aux performances enregistrées par le passé, c’est au cours de ces neuf dernières années que le Bénin a plongé. Donc, sous le règne de Yayi. En 2006, quand l’actuel chef de l’Etat arrivait au pouvoir, le Bénin était 23è. Il lui a fallu une année pour faire chuter le pays à la 53è place en 2007. La dégringolade a ainsi commencé. Le Bénin était classé 70è en 2008, 72è en 2009, 70è en 2010, 79è en 2012 et 2013, 75è en 2014… Et dire que sous Mathieu Kérékou, un Général d’armée, le Bénin a été même le premier pays d’Afrique où la liberté de la presse est respectée. C’était en 2002. A l’époque, il avait occupé sur 139 nations, le 21è rang mondial (ex aequo avec le Royaume Uni), mais venait devant l’Autriche, le Japon, l’Espagne et l’Italie. Il n’était pas loin des Etats-Unis et n’était devancé que par trois pays en développement : la Slovénie, le Costa Rica et l’Equateur. Après cet exploit, le pays n’avait pas non plus sombré. De 2002 à 2006, il a plutôt stagné. Il était classé 29è en 2003, 27è en 2004, 25è en 2005, puis 23è en 2006… C’est à partir de cette année que la destruction de l’héritage de l’ancien Président a commencé. La tendance est alors clairement baissière sous Yayi Boni qui a développé des méthodes qui ont entravé l’épanouissement des médias. Il y a entre autres, les contrats signés par le gouvernement avec les organes de la presse privée. Cela n’a qu’un seul but : empêcher les journalistes de s’exprimer en leur servant la vérité du Palais de la République. Pressurés et même menacés, certains patrons de presse ont dû accepter le deal. Ce faisant, ils sont contraints de faire la propagande du régime.
La Télévision nationale caporalisée…
Ce rôle, la Télévision nationale l’a toujours joué depuis 2006. Sous l’impulsion des « hommes forts » du Palais, le Journal télévisé offre 30 à 40 minutes à Yayi et ses partisans sans que le Stéphane Todomè, directeur général de l’Ortb, et Wabi Boukary, directeur de la Télévision nationale, ne s’en émeuvent. Exaspérés, les journalistes haussent désormais le ton et dénoncent le bâillonnement dont ils sont victimes de la part du Pouvoir en place. Ils veulent faire leur métier tel qu’ils l’ont appris à l’université. D’autant que depuis 2006, ils n’avaient plus la possibilité de tendre leur microphone à l’opposition, d’organiser des débats contradictoires, de mener des investigations, de critiquer les pratiques maladroites du gouvernement… Ils sont systématiquement sous pression et menacés par les valets de Yayi. Tout ceci a emmené Annick Balley, l’ancienne rédactrice en chef, à jeter l’éponge en 2010. Ensuite, les autres agents de la Télévision ont crié leur ras-le-bol à travers une lettre adressée au directeur général à l’époque, Julien Akpaki. Ils avaient dénoncé les agissements de leur responsable et de son équipe, en particulier du directeur de la Télévision nationale, Stéphane Todomè, susceptibles de mettre à mal les acquis de la Conférence nationale des forces vives de la nation. Tout en les invitant à savoir raison garder « afin d’épargner à notre pays un autre foyer de tension en Afrique », ils les ont invités à revisiter quelques dispositions de la loi fondamentale du pays, notamment les articles 24 et 142 et le code de déontologie de la presse béninoise. Ils n’avaient pas non plus manqué d’illustrer leurs craintes par l’interdiction d’antenne à l’Union fait la Nation et les autres partis de l’opposition. La lettre était signée de Francis Zossou, Philippe N’seck, Nicaise Miguel, André Marie Johnson, Marc Tchanou et autres. Aujourd’hui, la jeune génération a pris le pouvoir. Ozias Sounouvou a même osé, en plein journal, interpellé le chef de l’Etat - qui venait de participer, à Paris, à la marche contre le terrorisme - pour plus de liberté d’expression et pour l’ouverture de l’antenne à des débats contradictoires inexistants sur la chaîne. « On aurait aimé que, pour aller jusqu’au bout de son engagement, le chef de l’Etat devienne Charlie Ortb. Charlie Ortb pour la liberté de la presse sur le service public de l’audiovisuel au Bénin. Liberté de la presse qui rime avec ouverture des antennes de la télévision nationale aux vrais débats contradictoires. Monsieur le président de la République, sauvez la liberté des journalistes à la télévision. Pardon pour cette impertinence. N’est-ce pas là aussi l’esprit Charlie ? », avait lancé le présentateur dans le Journal télévisé de 23h30. C’est la preuve que la chaîne du service public est vraiment embrigadée. Si des journalistes de la maison en viennent à lancer un cri de détresse pour exprimer le malaise professionnel et moral de la rédaction, c’est qu’ils sont vraiment persécutés. D’ailleurs, le personnel de la Télévision nationale avait déjà adressé trois pétitions à la direction pour réclamer un traitement équilibré de l’information et la liberté d’organiser des débats contradictoires avant ce coup réalisé par Ozias Sounouvou. Mobilisés, ses confrères espèrent toujours que cette prise de parole fera changer les choses.
Des journalistes en prison
Ces dernières années, les journalistes ont vraiment souffert le martyr sous Yayi Boni… Pas moins d’une dizaine de directeurs de publication ont été condamnés à des peines d’emprisonnement ferme de trois à six mois avec, souvent, des mandats de dépôt et des amendes de plusieurs millions de francs. Certains ont même été emprisonnés avant d’être libérés sous la pression des organisations faîtières. Durant 9 neuf ans le gouvernement et les députés proches de Yayi ont été les principaux bourreaux des hommes des médias. Ils n’ont jamais voulu de la dépénalisation des délits de presse. Il a fallu le lobbying sur plusieurs années des associations de presse et l’intervention de certains ministres éclairés pour convaincre les députés de voter fin janvier le code de l’information et de la communication. Le texte entérine la suppression en partie des peines privatives de liberté. Ce qui constitue une avancée notable pour la presse. Mais la promulgation par le chef de l’Etat est toujours attendue. La dépénalisation du délit de presse est guidée par le souci d’accorder une sécurité juridique au journaliste pour lui permettre de faire correctement son travail. C’est ce que Yayi Boni et son gouvernement doivent comprendre. Mais le chef de l’Etat n’y est pas encore. Lors de la cérémonie de présentation des vœux du nouvel an par les présidents des institutions, il a demandé au président de la Haac, une « répression plus forte pour limiter les dérives dans la presse ». Le calvaire n’est donc pas fini. Il faut d’abord qu’il quitte le Pouvoir à l’issue des dix ans de périple pour que la presse respire…
Epiphane Axel Bognanho
Quelques réactions
Gaston Zossou, Ancien ministre de la communication de Mathieu Kérékou :« C’est une dégringolade »
« Pour analyser la tendance d’une courbe qui a un sens, il faut tenir compte des données sur une période de 10 à 15 ans. Il peut y avoir de grands défis qui expliquent un certain nombre de situations. Il y a dix ans, avec un autre régime, nous étions 1er ex avec l’Afrique du Sud. En dépit des dents de scie ! La tendance depuis 2006, est globalement descendante. C’est une dégringolade, une catastrophe ! Les causes d’une telle situation sont directement liées à la qualité de la gouvernance, et au-delà des lois, il y a la personnalité des dirigeants. Il est socialement impossible d’agir de façon délinquante, soutenue dans le temps et de vouloir laisser la parole libre. Le besoin de museler la presse est directement proportionnel au niveau de déchéance des dirigeants. Quelqu’un qui se conduit à peu près bien, peut laisser libre cours aux médias et permettre à des gens de se prononcer sur ce qu’il fait. Mais quelqu’un qui se comporte autrement, éprouve le besoin de museler la presse. Celui-là ne voudrait pas que la presse fasse des reportages sur sa conduite pour révéler la vérité. C’est ma pensée ».
Me Brice Houssou, ancien président Upmb : « La Haac a montré son incapacité… »
« Ce n’est pas une surprise. On ne pouvait pas s’attendre à mieux. Lorsque l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (Ortb), qui est un organe du service public en vient à la propagande du gouvernement et des groupes politiques de l’Exécutif, cela ne peut qu’être ainsi. Il est vrai que dans le cadre de leurs activités, le président de la République et les membres du gouvernement bénéficient d’un accès illimité au service public de l’information. Mais, le constat est tel qu’au-delà des membres du gouvernement, ce sont les structures politiques soutenant le gouvernement qui ont un tel accès. A l’inverse, l’opposition est quasiment inexistante sur la chaîne télévisuelle du service public de l’information. On ne demande pas qu’il y ait un accès égalitaire entre les membres du gouvernement, les structures politiques soutenant le gouvernement et l’opposition. Mais, juste un accès de l’opposition au service public de l’information. La cause est imputable à la Haute autorité de l’audiovisuelle et de la communication (Haac), qui a démontré son incapacité, dans les actes, à rétablir l’équilibre. J’en veux pour preuves, les multiples pétitions, des journalistes de l’Ortb qui ont souhaité que la situation change. Les nombreuses luttes engagées par les associations professionnelles des médias depuis des lustres et qui ont conduit récemment au vote d’un Code de l’information et de la communication exempté des peines privatives de liberté, n’ont pas été menées pour que le Bénin soit classé à ce stade ».
Guy Constant Ehoumi, Président l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias :« On s’y attendait »
« On s’y attendait. C’est vrai qu’on a un code de l’information. Mais je crois savoir que Reporter sans frontière a tenu compte de ce que disent les populations par rapport à ce qu’est devenue notre chaîne de service public, la Télévision nationale. Par rapport à cela, les citoyens ont toujours condamné le traitement de l’information à sens unique où on ne voit que des gens d’un même camp défiler à la Télévision nationale. Ce sont des éléments qui font que nous reculons de façon drastique. Cette réalité nous attendait, et j’en étais convaincu. A cela s’ajoutent les restrictions de libertés, les formes de pression éparses où on ne peut pas rien dire sur le pouvoir sans craindre d’être poursuivi. Tout ceci a certainement contribué au recul considérable qu’on a noté dans le classement. Cela ne surprend pas outre mesure ».