Il se développe depuis quelque temps sur l’esplanade extérieure du Stade de l’amitié de Cotonou un phénomène. Les habitués de ce lieu l’ont déjà certainement constaté. Il s’agit des filles de joie qui, le soir venu, prennent d’assaut l’esplanade, à la recherche de potentiels clients...
Esplanade extérieure du stade de l’amitié de Cotonou ce samedi 14 février 2015. Il est 20 heures 30 minutes. Les mouvements en ces lieux de distraction par excellence de la population cotonoise s’intensifient. Le bruit assourdissant produit par les bars environnants, les sifflets des garde-vélos et les ronflements des engins s’entremêlent. Les badauds et autres à la recherche de l’air frais du soir prennent d’assaut l’esplanade. Les maquis et bars se remplissent ainsi que les parkings. Entre les automobiles stationnées, se dissimulent des silhouettes féminines aux allures étranges : coiffures extravagantes pour certaines, maquillage excessif pour d’autres, tenues dépravées… tout ceci offrent aux regards une multitude de couleurs, semblable à l’arc-en-ciel. Elles, se sont les belles de nuit, les filles de joie pour certains et pour d’autres, les prostituées. C’est désormais le lieu de leurs affaires. Elles viennent d’horizons diverses et s’exposent tous les soirs sur l’esplanade. Adossées aux voitures et manipulant leurs portables ou causant avec des badauds, elles attendent patiemment un potentiel client. Leur seule prière, « que ces propriétaires de véhicules reviennent vite » pour qu’elles puissent espérer trouver des clients. Aïcha est l’une de ces filles. Elle explique les raisons pour lesquelles elle est présente sur l’esplanade du stade de l’amitié. « Je suis ici pour me faire un peu d’argent. Si vous êtes intéressé, on discute du prix… sourire… », dit-t-elle, sans gène. Alors que notre discussion se poursuivait avec Aïcha et ses copines, un monsieur vient garer sa moto et d’un geste très fin, il appelle Aïcha. Certainement un client, mais pas le mieux disant pour Aïcha, puisqu’il est reparti sur ses pas après quelques minutes de discussion. La balade se poursuit donc. A quelques pas de Aïcha, une fille vient de se trouver un client. Elle monte à bord d’un véhicule qui démarre quelques minutes après et prend la direction du centre ville, sous les regards envieux de ses copines.
Victimes de bastonnades policières
Dans la quête de “leur pitance’’, il arrive que les travailleuses de sexe du stade de l’amitié fassent les frais des patrouilles policières. Elles essuient parfois des coups de matraques et font l’objet de chasse-poursuites par les forces de l’ordre. « Parfois, les policiers viennent nous chasser. Quand ils arrivent, ils nous pourchassent et arrêtent certaines parmi nous. Ils les emmènent à leur base et les tapent », raconte Bella, une copine de Aïcha. Et pourtant, elles n’hésitent pas à revenir aux mêmes endroits, quelques heures après le passage des policiers. Et bien, la raison est toute simple. « Nous nous sentons plus en sécurité ici. Ailleurs, il y a les délinquants qui viennent nous prendre notre argent. Ils nous tapent quand on n’en donne pas. Certains couchent de force avec nous sous peine de nous faire du mal », explique Bella. Mais elle confie aussi qu’elle exerce ce métier parce qu’elle a des charges à assumer telles que le loyer, une petite fille... En plus de leurs mésaventures, ces jeunes filles doivent faire face à certains clients indélicats qui n’hésitent guère à abuser d’elles. « Il y a des gens, quand ils finissent, ils ne veulent plus payer », explique-t-elle. Parfois, cette situation dégénère. Mais au dire de Lydie, une autre travailleuse de sexe, la solution est toute trouvée pour remédier à cette situation. Le client paie désormais la somme convenue avant l’acte. Mais aussi, elles disposent d’un arsenal sécuritaire composé de “gros-bras’’ pour ramener à l’ordre les indélicats. « Au pire des cas, quand ça nous dépasse, nous nous rassemblons pour taper la personne », ajoute-t-elle.
Un business inédit !
Alors que les heures passent et que nous poursuivons notre balade sur l’esplanade extérieure du stade, nous avons fait la connaissance de Silla. Elle est sur les lieux depuis 20 heures 30 mn. Elle vient d’empocher 16. 000 Fcfa après avoir satisfait deux clients. Elle compte chercher un peu plus de clients afin de se faire plus de recettes. Le minimum qu’elle réclame à un client, c’est 3000 Fcfa. Les prix varient selon la personnalité du client qui se présente, le lieu où l’on doit partir et surtout selon qu’il veuille faire usage de préservatif ou non. « Lorsque le client vient, il se rapproche et je lui propose un prix à débattre. Si c’est trop petit, c’est 3000 F. Quand c’est une voiture, je peux lui dire 15 000 et on débat. Quand il est à moto, je lance souvent 7000 ou 5000. Le prix peut aussi augmenter si vous voulez faire l’amour complet », confie-t-elle. Ainsi, comme elle, chacune pourrait rentrer avec une forte somme d’argent, en tout cas de quoi satisfaire ses besoins. Parfois, avec la complicité de certains gérants de bars à qui elles laissent leurs contacts téléphoniques. Ces derniers leur font signe quand le besoin se fait exprimer. Alors la tâche leur devient plus facile. Le travail de sexe ne nourrit alors pas que les filles de joie, elle nourrit aussi les "démarcheurs". Ceux-ci vont manager des clients pour elles, en vue de se faire des commissions. Boris, un garde-vélo qui s’adonne à cet exercice déclare pouvoir rentrer souvent avec un minimum de 5000 Fcfa quand la soirée est fructueuse. Raison pour laquelle, il l’a associé à son job. Mais ce faisant, le problème de la propagation du Vih/Sida avec ses corollaires se pose souvent, même si nombre d’entre ces filles avouent faire régulièrement leur dépistage et autres soins médicaux.
Entretien avec Rigobert Koutangni, commissaire de la Brigade des mœurs : "Je gère les plaintes des prostitués
Dans le but de réguler le comportement des citoyens dans la société, il a été créé la police des mœurs. A travers cet entretien, Rigobert Koutangni, commissaire de cette unité de la police nationale parle des actions menées pour sensibiliser tous ceux qui ont des comportements qui défient le bon sens.
Vous êtes le premier responsable de la Brigade des mœurs (Bm). Dites-nous, en quelle année cette unité a été créée et quelle est sa mission ?
La Brigade des mœurs a été créée en 2008. C’est une unité de la police nationale. Elle fait partie de la direction centrale de la police judiciaire. Elle s’appelait Brigade des mœurs et stupéfiants. Elle a été par la suite scindée en deux pour donner naissance à la Brigade de la protection des mineurs devenue Office centrale de protection des mineurs. Nous sommes une brigade à compétence nationale. Notre brigade est chargée de lutter contre les débauches et les déviances morales. Nous sommes chargés de rechercher, de constater, d’interpeller et d’arrêter toute personne auteur de comportements portant atteinte aux bonnes mœurs.
Vous êtes chargés de lutter contre les comportements portant atteinte aux bonnes mœurs. Et pourtant, ces comportements se font remarquer actuellement au niveau de la jeunesse.
Effectivement, ces comportements prennent d’ampleur dans les grandes villes et spécifiquement à Cotonou. Nous n’avons pas cessé de les inquiéter.
Pourquoi malgré vos interventions, ces comportements se font toujours observer ?
C’est le suivisme qui fait que cela continue car, les jeunes ont tendance à copier tout ce qui se passe ailleurs et qu’ils voient sur les chaînes de télévision, tout en oubliant que cela est contraire à nos mœurs.
En ce qui concerne la prostitution, elle prend d’ampleur car les femmes font aussi du suivisme. Elles veulent s’habiller et faire comme les femmes de l’Occident, sans tenir compte de nos réalités.
Concernant la prostitution, l’esplanade extérieure du stade de l’amitié est devenue le lieu de rendez-vous de ces filles et femmes travailleuses de sexe. Que faites-vous pour leur faire entendre raison ?
La prostitution au niveau du stade de l’amitié prend effectivement de l’ampleur. Ce qui est vraiment malheureux, ce sont nos sœurs béninoises qui s’adonnent à cette activité de nos jours. Elles ont pris la place des Nigérianes, Ghanéennes et Togolaises qui exerçaient ce métier avant. Chaque fois, nous essayons de les interpeller. Nous avons une base de données de ces femmes ici à notre direction. Malheureusement, nous ne pouvons pas faire grand-chose en dehors de les interpeller. Toutes les fois que nous essayons de les présenter au procureur, l’autorité judiciaire trouve que le fait de les envoyer en prison va créer plus de problèmes qu’il ne va en résoudre. On se contente donc de leur donner des conseils pour qu’elles se fassebnt suivre dans les centres de santé. Jusqu’à présent, aucune loi n’interdit la prostitution au Bénin, mais c’est le racolage qu’elles font qui n’est pas permis.
Quelle différence y a-t-il entre prostitution et racolage ?
Le racolage est le fait de rester sur un espace public à la quête de clients pour des relations sexuelles tarifiées.
Par contre, la prostitution amène les intéressées à rester quelque part sur place, bien référencées, pour recevoir les clients. Ailleurs, la prostitution est bien organisée et la prostituée paie des impôts.
Ce qui se fait à Jonquet il est de la prostitution ou du racolage ? Car, elles restent dans la rue pour chercher les clients, mais elles ont loué des chambres où elles mènent leurs activités.
Le fait de rester dans la rue constitue déjà le racolage. Si elles restaient dans leurs chambres et les clients viennent chez elles, on pouvait parler de la prostitution pure. Dans le même cas, ceux qui ont mis leurs chambres à leur disposition peuvent être poursuivis pour proxénétisme. Certes, la prostitution elle-même n’est pas interdite, mais tout ce qui gravite autour de la prostitution est puni afin de décourager cette activité
Votre unité s’occupe aussi de tout ce qui se passe dans les bars. Mais depuis quelques années, il y a la prolifération d’un type particulier de bars appelé Vip. Que faites-vous pour maîtriser tout ce qui s’y passe ?
Comme vous pouvez l’imaginer, beaucoup de choses se passent dans ces bars. Ces bars se multiplient actuellement dans la ville de Cotonou et si vous observez très bien, c’est les membres d’une communauté étrangère dont je tais le nom qui sont les promoteurs de ces bars Vip. Ils se cachent derrière des contrats de travail de serveuses de bar ou de danseuses pour soumettre des filles à des activités sexuelles tarifiées. Les difficultés que nous rencontrons le plus souvent est l’accès à ces bars Vip, car nous n’avons pas des moyens pour acheter des boissons excessivement chères qui se vendent à l’intérieur. Pour mener des enquêtes, il faut qu’on soit à l’intérieur et une fois à l’intérieur, il faut se faire servir et c’est ces moyens là que nous n’avons pas pour le moment. Mais nous n’avons cessé de les inquiéter.
Est-ce que ces filles qui signent des contrats et à qui on fait exercer des activités sexuelles tarifiées viennent porter plainte chez vous ?
Les plaintes que nous recevons souvent sont relatives aux bruits que ces bars Vip font. Mais les filles qui sont victimes de proxénétisme se plaignent rarement parce qu’elles sont consentantes pour des relations tarifiées. C’est quand elles ne sont pas d’accord de la manière dont le client les a traitées ou si le client ne paie pas le prix sur lequel ils se sont entendus qu’elles viennent se plaindre à nous.
Pouvez-vous nous donner un exemple de plainte que vous avez eu à traiter ?
Tout récemment, il y a une correspondance de l’interpol qui nous a saisis pour le cas de deux filles moldaves qui étaient convoyées au Bénin pour être serveuses dans un bar. Mais à leur grande surprise, arrivées au Bénin, on les a soumises à des activités sexuelles tarifiées. Déçues, elles ont demandé à partir dans leur pays et leur ambassade nous a saisis. Nous étions allés interpeller les auteurs qui ont reconnu les faits. On les a présentés au procureur, la suite, on n’en sait rien.
Votre unité s’occupe également de la sécurité dans les chambres de passage. Arrivez-vous à les contrôler comme il le faut ?
Sincèrement, on n’arrive pas à les contrôler, mais nous invitons de temps en temps les promoteurs de ces lieux à des séances de sensibilisation. Nous leur faisons comprendre que c’est une pratique contraire aux mœurs. Mais comme c’est déjà rentré dans les habitudes, nous continuons les séances de sensibilisation afin que ces promoteurs comprennent que ce sont des actes que nos mœurs n’ont pas encore autorisés. Il reste que nos députés légifèrent afin de mettre à notre disposition des textes qui nous permettront de réprimer ces genres d’actions. Si nous décidons aujourd’hui de combattre la prolifération des chambres de passage, nous risquons d’avoir toute la population au dos car, c’est déjà une habitude pour la grande masse, mais s’il y a des textes qui les cadrent, cela serait encore facile à gérer pour nous.
Voulez-vous dire qu’il n’y a pas de textes qui réglementent la création des chambres de passage au Bénin ?
Les promoteurs des chambres de passage se cachent sous le vocable d’auberge pour faire les chambres de passage. Vous savez que les auberges sont des "hôtels" à moindre coût. Cela permet à tous ceux qui n’ont pas assez de moyens de pouvoir s’héberger quand même. Il y a donc de textes pour la création des hôtels et auberges. Et c’est sous prétexte de vouloir créer des auberges que certains font des chambres de passage. Or, dans les hôtels et auberges quel que soit le nombre de temps que vous y passez, la loi exige qu’on vous enregistre, mais ce n’est pas le cas dans les chambres de passage. Cela fait qu’on ne sait pas, tout ce qui s’y passe. Cela crée donc une insécurité totale dans ces lieux.
Quel genre d’insécurité règne dans les chambres de passage ?
N’importe qui peut fréquenter les chambres de passage. Des voleurs qui arrivent dans une ville peuvent se loger dans des chambres de passage, concoctent leur plan, passent à l’action et disparaissent dans la nature. Il nous sera difficile de les retrouver car, ils n’étaient pas enregistrés au départ dans leurs lieux d’hébergement. Les chambres de passage constituent alors des réceptacles des grands bandits.
C’est aussi un lieu qui encourage l’infidélité
Exactement ! Raison pour laquelle, ceux qui viennent dans les chambres de passage ne peuvent pas accepter qu’on les enregistre. Si un promoteur exige l’enregistrement, il risque de ne plus avoir de la clientèle et c’est du manque à gagner pour lui. Généralement, ce sont des hommes mariés qui vont dans les chambres de passage et ils n’y vont pas avec leur épouse. Ils y vont avec leur maîtresse et parfois avec les femmes d’autrui. Vous voyez qu’ils ne peuvent pas accepter qu’on les enregistre.
Votre unité s’occupe aussi des alcooliques qui déambulent dans la ville. Arrivez-vous à les gérer ?
Beaucoup de nos patrouilles arrêtent ceux qui sont en état d’ivresse. On les fiche et quand ils se retrouvent un peu, on les relâche.
Est-ce qu’il y a une loi qui interdit la consommation de l’alcool ?
Les textes répriment l’état d’ivresse. C’est la raison pour laquelle nous les interpellons et les conduisons au commissariat.
Les buvettes naissent au jour le jour. Si les textes interdisent l’état d’ivresse, pourquoi ne pas interdire la création des buvettes ?
Aucune loi n’interdit la création des buvettes. Celui qui va boire dans une buvette et qui se soûle, une fois qu’il sort dans les rues, on le prend. Si en tant que tenancier d’une buvette, vous voyez quelqu’un manifestement ivre et vous lui servez encore de l’alcool, là on peut vous prendre et vous infliger des punitions. La loi interdit aussi qu’on serve de l’alcool aux mineurs. Ce n’est pas parce qu’ils veulent vendre qu’ils vont détruire les autres.
Quels sont les autres domaines d’intervention de votre unité ?
En dehors de ce qui concerne les mœurs, nous nous intéressons aux violences faites aux femmes et aux mineurs. Nous nous occupons aussi des cas d’abandon de foyers. Nous recevons alors ces plaintes.
Vous êtes une unité à compétence nationale. Avez-vous les moyens de votre politique ?
A vrai dire, nous n’avons pas de moyens car, nous sommes une unité naissante. Les moyens humains et matériels nous font défaut. Pour le moment, nous fonctionnons avec le peu que nous avons.
Un mot à l’endroit des Béninois
Je voudrais dire à mes sœurs que ce n’est pas la prostitution qui nourrit. Il faut qu’elles travaillent afin qu’elles puissent pour pouvoir manger à la sueur de leur front. Elles prennent assez de risques en se prostituant. Nous ne sommes pas là pour les harceler, mais pour assurer leur sécurité et surtout pour les conseiller. Si elles ont besoin de nos conseils, elles peuvent se rapprocher de nous. Nous pourrons les orienter vers des structures qui pourront les financer afin qu’elles quittent la prostitution pour exercer un autre métier
Rélisation :Adrien TCHOMAKOU, Isac A. YAÏ & Eustache AMOULE