Dix ans après son immobilisation à l’aéroport international Bernardin Cardinal Gantin de Cotonou, l’aéronef griffé « Barakah » a été déplacé, il y a un peu plus d’une semaine vers la plage de Cotonou. Une grande polémique est née au sein de l’opinion publique sur son déplacement. Qui a vendu l’appareil ? L’acheteur a-t-il rempli toutes les formalités ? A quoi va servir désormais l’épave ? Son emplacement est-il normal ? Votre quotidien, le Matinal s’est mis sur le dossier pour tirer tout au clair. Mais pour mieux comprendre le dossier, nous sommes retournés en arrière pour rafraichir la mémoire à nos lecteurs sur l’histoire de cet avion. Lisez le fruit de notre enquête d’il y a une semaine.
Cet avion de 345 places assis, vieux de plus de vingt-cinq (25) ans, selon nos informations, est la propriété de Abou Cheik, un jordanien. Il a été affrété par maître Souleymane M’béleck, un camerounais à travers une compagnie de voyage dénommé ‘’Cameroun Airlines’’. L’avion Barakah était au Bénin, en 2005, selon nos recoupements, pour transporter des pèlerins béninois à la Mecque (Djedda). Tout se passait sous la gestion des anciens ministres Omitchessan des transports, Mama Sika de l’intérieur et Zul Ki-ful Salami du plan. Au cours de notre enquête, nous avons reçu deux versions différentes. La première indique que l’appareil n’avait pas reçu l’autorisation requise (code sim) pour s’envoler du Bénin pour se rendre directement à Djedda et donc qu’il lui fallait transiter par le Cameroun avant de s’engager pour la Mecque. Il a réussi à faire le premier voyage et a déposé le premier groupe de pèlerins. Mais au second voyage, il été signalé et l’Arabie Saoudite a pris ses responsabilités en lui interdisant d’atterrir sur son territoire.
La seconde source indique plutôt qu’il s’agissait d’une panne technique qui ne permettait plus à l’avion d’effectuer le second voyage. Conséquence : les pèlerins sont bloqués et il fallait leur rembourser leurs fonds. Souleymane M’Béreck, l’affréteur s’est référé au propriétaire de l’appareil, Abou Cheick à qui il avait déjà payé les frais de location. Malheureusement, il n’a pu être remboursé. Les pèlerins, à travers le Conseil national d’organisation du pèlerinage à la Mecque ( Conopem) saisissent la justice pour l’aider à recouvrer ses fonds. Leur avocat a pour nom Maître Bédié Falilath Saïzonnou, que nous avons tenté, en vain de rencontrer.
Maître Souleymane M’Béleck constitue un avocat pour le défendre. Il s’agit de Maître Kossou avec qui nous avons eu un bref échange sur le sujet. Il a confirmé les faits et expliqué que ce dossier a été vidé et toutes les parties se sont pliées devant la décision de la justice. Pour lui, ce dossier est vraiment du passé. La bataille juridique a eu lieu. Le tribunal a désigné maître Sévérine Elisha, commissaire-priseur pour mettre en vente l’appareil, finalement dégradé techniquement. Contactée, elle a bien voulu se confier à nous mais n’a pu le faire, pour raison de réserve professionnelle. Mais elle a reconnu avoir géré le dossier en question jusqu’à la vente de l’avion à un Béninois.
Au cours de notre investigation, nous nous sommes rapprochés des responsables du Conapem (aujourd’hui Conaco-conseil national de coordination du hadj). Avec son président Amidou Ouro-Djeri et son secrétaire général, Bachirou Gbadamassi, nous avons échangé sur les conditions de remboursement aux pèlerins. « On nous devait 118 millions de Fcfa, mais en fin de compte, nous avons pris moins de dix millions de Fcfa », a déploré le président du Conaco. La raison, selon Me Kossou est simple. L’appareil s’est dégradé et a été vendu à un prix qui ne permettait pas de payer ce que chacun devait prendre. Bachirou Gbadamassi sg/Conaco a reconnu que le montant de vente ne permettait pas de leur payer ce qu’ils devaient percevoir pour le compte des pèlerins. Sur le prix de vente, nos sources n’ont pas été unanimes. Certains ont parlé de 55 millions de Fcfa, d’autres 60 millions et 70 millions de Fcfa. Aucun des avocats n’a voulu dire le montant réel.
Contacté au Cameroun, l’affréteur, Souleymane M’beleck a promis échangé avec nous au premier appel. Mais, à la fin, il n’a plus voulu nous décrocher. Finalement, on apprend qu’il est admis, il y a quelques jours seulement, dans le rang des huissiers de justice et s’apprêtait à prêter serment à Douala. Il était dans ses courses quand nous, l’avions joint au téléphone depuis le Bénin.
Toutes les tentatives pour joindre Abou Cheick, le propriétaire de l’aéronef, en Jordanie ont échoué.
Michael Kèkè, un jeune opérateur économique béninois a pu acheter l’avion en juin 2011 suite à la vente aux enchères lancée par le commissaire-priseur.
Le rôle de l’Anac
Nous avons intercepté deux courriers importants de l’Agence nationale de l’aviation civile (Anac) relatifs au même dossier. L’un fait cas de ce que Michael Kèkè a été saisi par l’Anac le 25 juillet 2014 par courrier n°1047/Anac/Mtpt/Dg/Dis/Sag/C-sa pour déplacer l’épave et libérer le domaine au plus tard le 31 Octobre 2014. Mais pour des raisons de formalités, l’intéressé n’a pu respecter le délai. C’est suite à une autorisation délivrée par la même Anac le 09 Février 2015 que le désormais propriétaire a pu ouvrir une sortie par derrière l’aéroport sur une longueur de 40 mètres pour sortir l’appareil. Dans le courrier N°0178, l’Anac expliquait au ministre des transports aériens que toutes les dispositions ont été prises par Michael Kèkè. Il a reçu une ordonnance du tribunal de Cotonou et a pris les mesures sécuritaires et engagements nécessaires pour sortir l’épave. Un tour à l’aéroport dans la journée du lundi 16 février 2015 nous a permis de constater que les travaux de remise en état de la clôture de l’aéroport sont en cours.
Qu’en est-il du domaine qu’occupe l’appareil actuellement ?
L’épave est actuellement sur la plage de Cadjèhoun, juste derrière l’aéroport de Cotonou et non loin du plus grand hyper-marché de Cotonou. Il occupe un vaste domaine situé à environ 300 mètres de la mer. Nous y avons vu des plans de cocotiers, certains détruits et d’autres, en terre. A la question de savoir si cet emplacement répond, du point de vue environnemental, le Dr Edmond Sossoukpè, Directeur général de l’Agence béninoise pour l’environnement (Abe), nous a donné quelques précisions. D’abord, il dit n’avoir pas été saisi avant que l’appareil n’échoue à la plage. Il nous a parlé en ces termes : « Le promoteur devait écrire au ministre de l’environnement qui, à son tour, va nous affecter le dossier et nous allons voir si les conditions sont respectées pour éviter la pollution physique et que tout est mis en œuvre pour l’évacuation de tous types de déchets sur les lieux. Mieux, nous avons un projet de boisement de la plage et déjà, nous avons mis en terre des plans de cocotier sur la plage. Là où, se trouve l’avion fait partie de notre projet. Nous devons forcément être saisi et délivrer une autorisation avant le démarrage de toute activité là. Si le promoteur n’est pas en règle, nous prenons les dispositions qui conviennent et prescrites d’ailleurs par la loi-cadre sur l’environnement en République du Bénin. Il devait saisir le ministère de l’environnement avant de sortir l’avion et le mettre à cet endroit. Mais à ce jour, on n’a reçu aucun courrier venant de lui. Nous attendons. Si ce n’est pas fait et que les activités démarrent, nous avons le droit de faire suspendre tout, selon ce que dit la loi. Car, il s’agit d’un projet qui va drainer du monde et nous devons veiller à leur sécurité environnementale ».
A la Mairie de Cotonou, nous avons pris contact avec le chef du département des affaires domaniales. Après l’avoir absenté à son service, il nous a joint au téléphone pour nous rassurer. Malheureusement, il n’a pu se prêter à nos questions. A la dernière minute, on apprend qu’il produit un rapport au Maire sur le même sujet et qu’il ne saurait parler à la presse avant le terme dudit rapport. Il était question de savoir si Michael Kèkè a pris contact avec ses services et reçu toutes les autorisations nécessaires avant d’installer l’avion à la plage.
Félicien Fangnon
Michael Kèkè, acquéreur de l’avion Barakah :« Je n’ai pas fait du faux, j’ai tous les papiers »
Nous avons été le 19è journaliste à le contacter ; mais à nous seul, il a accepté parler. Mercredi soir, dans un coin à la Haie-vive (Cotonou), nous avons rencontré Michael Kèkè, un jeune opérateur économique qui a dit qu’il a de grands rêves pour son pays. Il veut ouvrir « un avion-restaurant, comme c’est le cas au Ghana ». C’est un complexe de loisirs et de divertissement qui permettra aux Béninois de s’offrir de bons moments, selon ses propos. Mickland est aussi un projet pour créer de l’emploi à la jeunesse béninoise. Pour ce qui est des formalités, il rassure : « Je détiens une ordonnance de la justice, une autre de l’Agence nationale de l’aviation civile ( Anac). Avec la Mairie de Cotonou, je n’ai aucun problème. Est-ce que la Mairie a dit ne m’avoir pas autorisé à ‘implanter ce projet sur le site ? C’est un bail que j’ai fait et les documents existent. S’il y a du faux, que ceux qui veulent s’adressent aux structures compétentes. Je ne me reproche rien. »
Très rassuré, il poursuit : « Moi, j’ai un rêve et je n’ai pas la tête à ce que disent les gens. Ce que je sais, je ne peux pas sortir l’aéronef sans l’avis des autorités compétentes de ce pays. Je croyais avoir un projet pour mon pays mais les gens voient cela du mauvais côté. J’ai fait l’acquisition dans les règles de l’art et depuis près de cinq ans, mon investissement est là et pourrit. Je paie des frais d’entretien en l’air. Maintenant que je décide, avec des partenaires, certainement de lancer le projet, mes compatriotes se mettent à dire ce qui n’est pas. Ailleurs, il y en a, mais cela ne crée aucun problème. Avant de sortir cet appareil, c’est une commission qui a travaillé. Vous croyez que tous ceux là vont faire du faux ? Moi, je ne me reproche rien. Tous ce qu’on m’a exigé a été respecté. Je suis serein, je n’ai pas de soucis ».
F. F.
Extrait de la loi n°98_030 du 12 février 1999, portant loi-cadre sur l’environnement
en République du Bénin
Chapitre 2
Des installations et établissements de classe
Article 75 :
Toute personne physique ou morale, publique ou privée, propriétaire ou exploitante d’une installation doit prendre toutes mesures nécessaires pour prévenir et lutter contre la pollution de l’environnement, conformément aux dispositions de la présente loi et des textes d’application subséquents
Article 76 :
Les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, présentant ou pouvant présenter des dangers ou des désagréments importants pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, le milieu naturel, la conservation des sites et monuments, la commodité du voisinage ou pour la préservation de la qualité de l’environnement en général sont soumises à un audit environnemental.
En cas d’inobservation, le président du tribunal territorialement compétent peut, en référé, et sur requête de l’autorité compétente, ordonner la fermeture de l’installation.
Article 77 :
Les installations visées à l’article 76 sont réparties en deux classes suivant les dangers ou la gravité des nuisances pouvant résulter de leur exploitation.
La première classe comprend les établissements dont l’exploitation ne peut être autorisée qu’à la condition que des dispositions soient prises pour prévenir les dangers ou les désagréments visés à l’article 76. L’autorisation peut être également subordonnée à la réunion de certaines conditions notamment l’éloignement minimum de l’établissement, des locaux d’habitation, des immeubles habituellement occupés par des tiers, des établissements recevant le public, d’une voie d’eau ou d’un captage d’eau, de la mer, d’une voie de communication ou des zones destinées à l’habitation.
La deuxième classe comprend les établissements qui, ne présentant pas d’inconvénients graves pour la protection des intérêts visés à l’article 76, sont soumis à des prescriptions générales destinées à garantir la protection de ces intérêts.