La réforme de la sécurité sociale visant à proroger l’âge de départ à la retraite des Agents permanents de l’Etat, actuellement sur la table des Députés à l’Assemblée nationale, ne reçoit pas l’assentiment des partenaires sociaux concernés. Les centrales et confédérations syndicales y trouvent une bombe à retardement aux effets catastrophiques. Pour le Secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin, Dieudonné Lokossou, cette mesure qui, d’une manière ou d’une autre se justifie, va à coup sûr renforcer les inégalités sociales. Et pour résorber le chômage ambiant, l’idéal serait, selon lui, de renoncer au vote de ce texte. A en croire, le Secrétaire général de la Confédération des Organisations syndicales indépendantes, Noël Chadaré, le Gouvernement, au lieu de faire passer cette loi, devrait plutôt améliorer les conditions fiscales du secteur privé, afin que la question du chômage puisse être réglée.
Dieudonné Lokossou, Sg/Csa
« … J’estime que l’Exécutif a dû peser le pour et le contre avant de se lancer dans cette aventure… »
« La question de la prolongation de l’âge de retraite dont le projet de loi est à l’Assemblée nationale est à la fois bonne et mauvaise. Les concours qui sont organisés sont entachés de fraude. Et les chances pour les citoyens qui n’ont personne sont maigres. Donc, pour résorber le chômage ambiant auquel nous assistons de façon passive, l’idéal aurait été de laisser ce texte là, parce qu’il va pénaliser un grand nombre de citoyens. Après 55 ans de dur labeur, les forces s’épuisent et le rendement aussi laisse à désirer.
Le côté positif, après analyse, le Fonds national de retraite, qui n’enregistre que des opérations blanches, est déficitaire. C’est ceux qui sont en fonction qui cotisent pour ceux qui partent. Pour trancher, l’idéal aurait été que l’on se limite à 60 ans comme ça se fait déjà au niveau de la Caisse nationale de sécurité sociale où beaucoup de citoyens émargent et prennent leur pension de retraite. Même à 60 ans, ce n’est pas facile à gérer. Il y a des gens qui font des travaux durs, et à qui on ne peut plus demander plus. Déjà à 55 ans, les gens sont fatigués. Vous savez qu’on n’a pas toujours l’âge réel dans le pays. La plupart sont nés vers...les gens sont épuisés, et au finish, ils n’ont pas leur retraite. Même s’ils le sont, ils vivent très peu de temps, et c’est la mort, c’est le cimetière. Je ne sais pas si c’est une façon détournée de faire de l’économie, et j’estime que le gouvernement a dû peser le pour et le contre avant de se lancer dans cette aventure.
Il y a quelque temps ici, sous la pression de la Banque mondiale, on a obligé des jeunes à abandonner leur travail pour prendre des miettes. Et comme les gens n’ont pas appris à gérer, ces fonds qui ont été octroyés en guise de compensation ont été noyés dans des cérémonies ou des dépenses qui ne se justifient pas. Quelques années après, ils se sont retrouvés dans le besoin du travail. Moi, je ne sais quel est l’objectif visé. Je ne saurais l’apprécier ici, mais j’estime qu’à l’heure du chômage massif qui crée des inégalités sociales, il faut donner à chaque Béninois sa chance. Nous savons aussi que le Gouvernement subit des pressions. Donc, rien ne se fait ici sans l’ingérence du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. On ne peut pas concevoir que la Banque mondiale ait poussé les gens à la porte et qu’aujourd’hui, on décide subitement de proroger l’âge de la retraite des travailleurs de la fonction publique…
…Toutes les options sont possibles. Je ne souhaite pas une explosion sociale, parce que cette affaire de chômage est lancinante. C’est une bombe sociale à retardement. C’est des situations qui conduisent les jeunes dans la précarité. On est en train de se chercher. On n’a pas encore trouvé la solution. Je sais que nulle part dans ce monde, le Gouvernement ne peut offrir d’emploi à ses citoyens à 100%. Donc, il faut aussi penser à améliorer les conditions de fiscalité des sociétés privées, permettre aux entrepreneurs de créer l’emploi. Le partenariat privé doit être bien aiguisé pour prévenir les risques sociaux que notre pays court. Nous avons des pères de famille, des enfants qui sortis des Universités, qui sont encore à la charge des parents, qui sont devenus aussi des pères de famille. Ils n’ont pas de domicile, un peu comme des ‘’sans domicile fixe’’. On ne peut pas par exemple continuer de prendre en charge 5 enfants sur qui on a déjà dépensé tout le temps. Il faut supporter les enfants, les petits fils, le papa. On doit bien réfléchir, lorsqu’on pense à poser des actes qui ont trait au social »
Nöel Chadaré, Sg/Cosi-Bénin
« …la contractualisation du travail est …un danger pour l’emploi… »
« …Je crois que dans l’ensemble, il faut revoir le statut général des Agents permanents de l’Etat, parce que c’est un article qui date d’un certain temps. Il s’agit des dispositions qui consistent à proroger la durée de travail des agents de l’Etat, surtout que le contexte ne s’y prête pas. Le problème crucial que nous avons dans notre pays, c’est le chômage ambiant. Et donc, si on doit augmenter la durée de l’âge des Agents permanents de l’Etat, ça empêcherait de recruter suffisamment. En 2016, beaucoup d’Agents iront à la retraite. Pendant qu’on parle de chômage des jeunes, on n’emploie plus des gens et on veut plutôt proroger l’âge de la retraite. Il y a des explications qui sont données pour justifier cette intention, puisqu’il est dit que dans la sous-région, des Agents sont au-delà de 60 ans et c’est le Bénin qui fait l’exception et qu’il y a aussi la pression des bailleurs de fonds. Mais il y a problème. Quand nous avons des jeunes de 28 ou 29 ans et plus, sortis des écoles et universités, qui sont sans emploi, et que, dans le même temps, d’autres ont fait 30 ans de carrière, et qu’on veuille encore proroger leur âge de retraite, ça pose vraiment problème. Et on devrait réfléchir par 7 fois avant de poser cet acte. Mais je dirai que ce n’est pas seulement le recrutement des jeunes dans la fonction publique. Il faut aussi que le Gouvernement allège les charges fiscales du patronat pour qu’on règle la question de l’emploi des jeunes, qu’il revoie la loi sur le code de travail. Ça pourrait permettre de recruter encore plus de jeunes. Je pense qu’il y a des choses à faire avant de prendre des décisions comme celle-là.
Nous avons été approchés, nous avons été écoutés par la commission des lois. Nous avons dit notre avis, celui de la Confédération des organisations syndicales indépendantes (Cosi-Bénin). Il ne faut pas augmenter la durée du travail. D’abord, il y a pénibilité du travail. Je suis Professeur et je ne peux pas travailler au delà d’un certain âge. Ce qu’il faut faire aujourd’hui, ce n’est pas augmenter, mais faire en sorte que les « Retraitables », dès les premiers mois de leur retraite, puissent commencer par toucher leur pension. Tout le problème se situe à ce niveau. Si à un mois de leur retraite, ces agents arrivent à entrer en possession de leur carnet de pension, ils iraient avec plaisir à la retraite. Quand on sait que, une fois à la retraite, il faut mettre 12 ou 14 mois avant de recevoir son carnet de pension, cela devient un véritable chemin de croix. Tout ceci est une hantise pour les travailleurs qui se trouvent au seuil de la retraite. Beaucoup espèrent voir repousser le délai de ces souffrances C’est aussi un autre combat que la Cosi-Bénin compte mener dans les jours à venir. Il faut régler le problème à ce niveau et laisser les choses comme elles étaient. Il y a d’autres possibilités de recruter un grand nombre de jeunes sans créer des dégâts ».
Contractualisation du travail
« Aujourd’hui, il y a une contractualisation du travail. De plus en plus, on a plus de contractuels dans la fonction publique que d’Agents permanents de l’Etat. Et ça n’est pas bien. Les derniers concours en sont évocateurs. Le Gouvernement signe un contrat à durée déterminée, qu’il peut renouveler en tenant compte de certains critères. Il y a un combat que les travailleurs doivent mener. C’est un danger pour l’emploi, puisque ça vous enlise dans la précarité et ça ne vous permet pas de bénéficier de certains avantages que les Agents de l’Etat ont. Nous souhaitons alors que tous les travailleurs se mettent ensemble pour aller contre ces réformes. Le Bureau international du travail a d’ailleurs remarqué que, de plus en plus, le travail est contractualisé ».
Propos recueillis par Patrice SOKEGBE