Pour parler de la conférence des forces vives de la Nation, hormis Robert Dossou, président du Comité préparatoire des assises, sans aucune fausse modestie, il y a le professeur René Ahouanssou.
Pour mémoire, René Ahouanssou et Robert Dossou, furent les deux enseignants de l’Université d’Abomey-Calavi, élus commissaires du peuple (députés d’alors sous le PRPB), lors du scrutin du 28 juin 1989, dans la catégorie des représentants des différentes couches professionnelles. Ces deux personnalités, à leur demande, ont été reçus, en audience par le chef de l’Etat, mathieu Kérékou, le 28 juillet 1989.
Posément et méthodiquement, ils ont expliqué au président Mathieu Kérékou que la voie empruntée par son régime n’était pas la plus sage et qu’il lui fallait choisir la voie démocratique.
Dès lors certains observateurs avertis pensent que c’est ce jour-là que la citadelle PRPB, a amorcé sa chute.
C’est donc cet intellectuel de grand format que votre journal a rencontré pour décrypter l’évènement des 25 ans de la conférence nationale. Mieux, cet entretien est inédit, car depuis 25 ans, le professeur Ahouanssou, s’est éclipsé de la vie politique et n’a plus jamais fait de déclaration médiatique à ce jour.
Dans cette interview, après avoir passé au scanner les raisons qui pourraient expliquer l’état peu reluisant de notre démocratie, il n’a pas manqué de donner quelques mauvais et bons coups. Tout le monde en a eu pour son grade.
« Entre Kérékou, Soglo et Yayi, le choix est fait »
La conférence nationale a 25 ans. Aujourd’hui, au regard de l’état des lieux, quels sont les sentiments qui vous animent ?
J’ai des sentiments de déception. Une grande déception, parce que nous nous sommes éloignés des grandes orientations de notre Conférence nationale. Nous avons tourné le dos aux acquis de la conférence nationale. De 1989à 1990, le peuple béninois s’est dressé comme un seul homme pour affirmer sa volonté de souveraineté, de reconquête du pouvoir, parce que nous faisons de ceux qui pensent que le peuple est la source du pouvoir. C’est pour cette raison que nous avons déclaré la souveraineté de la Conférence nationale, et ses décisions exécutoires. C’est le moment de rendre un vibrant hommage au président Kérékou, qui les a suivies fidèlement.
Mais peu de temps après, nous avons commencé à tourner le dos à ces grandes orientations-là. Aujourd’hui, il ne reste plus rien de l’esprit de la Conférence nationale. Le peuple s’est vassalisé. Je dis bien, le peuple, lui-même, s’est vassalisé. Quant aux institutions de contre-pouvoir, elle sont devenues inefficaces.
En effet, dans notre idéal de 1989, c’était la réédition de la Révolution française en quelque sorte. Et nous avions un gros héritage dans lequel nous devions puiser pour redonner le pouvoir au peuple. Et ce pouvoir-là, nous l’avons conquis et redonné au peuple. Aujourd’hui, ce pouvoir a été repris au peuple et le peuple-même est complice de cette perte de souveraineté.
Monsieur le professeur, à l’analyse, cela veut dire que la Conférence a échoué ?
La conférence n’a pas échoué ! Ce sont les hommes qui se sont détournés de ses orientations, de l’esprit de 89, de l’esprit du renouveau démocratique. La conférence n’a pas échoué. L’héritage de la conférence est perdu dans les sables mouvants des intérêts personnels. Nous sommes habité par une grande déception, une grande tristesse. Parce que quand un peuple vit ce que nous avons vécu en 86, 87, 88 et 89, et que nous avons dit : « ça suffit ! », « trop, c’est trop », que nous avons reconquis le pouvoir, ce n’est pas pour le perdre après. Et quand nous qui avons décidé que les institutions de contre-pouvoir devraient empêcher le pouvoir de devenir arbitraire, c’est parce que sous le PRPB, le pouvoir était arbitraire, il n’y avait rien pour l’empêcher d’être et de rester arbitraire. Nous avons estimé qu’il fallait mettre en place les institutions de contre-pouvoir pour que le pouvoir arrête le pouvoir.
Les grands constitutionnalistes qui ont rédigé la Constitution du Bénin sont encore là aujourd’hui. Ils devraient se rappeler cette partie des lettres fédéralistes.
Vous savez que notre Constitution a été inspirée de la Constitution américaine ?
Plutôt d’inspiration française !
Non mon cher, nous avons hérité de deux Constitutions. De la Constitution française dans certaines de ses dispositions, et de la Constitution américaine dans certaines autres de ses dispositions. « Le pouvoir doit arrêter le pouvoir », c’est la pierre angulaire de l’édifice constitutionnel américain. Nous avons hérité de cela !
« Le discours sur l’état de l’Union » aux Etats-Unis, correspond au discours du chef de l’Etat sur l’état de la Nation au Bénin. Une date fixe pour la prestation de serment, c’est comme dans le système américain. Nous avons tout pris des Etats-Unis, tout pris également de la France et nous avons notre propre héritage. En terme clair, les institutions de contre-pouvoir ne sont pas en train de jouer leurs rôles.
La faute à qui ?
Nous vous en faites pas, nous allons distribuer les points. Nous commençons par la classe politique avec la notion de parti politique. En sociologie, un parti politique représente des intérêts bien identifiés. C’est pourquoi vous allez avoir le parti socialiste qui représente en France, une certaine mouvance, un certain idéal social. Et quand vous avez le parti travailliste en Grande Bretagne, c’est le parti des travailleurs : le Labor Party. Et quand vous avez le parti conservateur, c’était le parti des propriétaires terriens. Le parti républicain aux Etats-Unis, c’est le parti de la haute finance, des grandes entreprises, du capital. Et le parti démocrate, c’était le parti du peuple en général.
Aujourd’hui au Bénin, quels sont des partis qui représentent les couches sociales identifiées ? Les problèmes sont les mêmes dans nos pays sous-développés. Mais nous, notre idéal à l’époque, ce n’était pas le multipartisme intégral que nous avons déclaré. Mais c’était pour rester conforme à un système donné, à savoir que si nous disons multipartisme, le multipartisme ne peut pas être intégral ; il n’y a pas de multipartisme intégral. On ne peut pas avoir mille couches sociales dans un pays. Ne pouvant pas avoir mille partis politiques dans un pays, nous avions voulu deux partis politiques.
Pourquoi seulement deux ?
Du temps où nous avions trois partis politiques, deux se liguaient contre le troisième pour le renverser. Quand trois se chassaient sur la scène politique, on avait des coups d’Etat. Deux grands partis, c’était notre idéal, un idéal qui assure le jeu politique et qui s’assure l’alternance. En effet, quand un parti a échoué, il est plus facile de chercher à changer, non pas en allant chercher les leaders politiques au lampion, parce que le parti de l’opposition existe déjà avec ses structures, avec les portefeuilles comme en Grande Bretagne où le parti de l’opposition sait qu’à la prise du pouvoir après la victoire aux élections, tel doit être ministre des finances, ministres des Affaires étrangères. On devait avoir cette culture-là. Mais on ne l’a pas, chacun veut être président de son parti. Vous allez dans chaque quartier, vous avez des partis. Les partis naissent tous les jours, c’est comme des champignons, ça pousse, ça pousse, ça n’a même pas besoin de pluie pour pousser. C’est une erreur que nous avons faite. Mais l’erreur aurait pu être corrigée.
Par qui selon vous ?
Nous le disons avec beaucoup de sincérité, l’erreur aurait pu être corrigée avec le président Soglo qui, mettant l’accent sur la macroéconomie, faisait la politique des institutions de Breton Woods. Donc c’était la macroéconomie, c’était les grands équilibres. On perdait de vue l’individu. Mais le président Soglo a eu le grand mérite d’avoir rétabli les grands équilibres, d’avoir remis de l’ordre dans les finances publiques de la République. Et j’ai souhaité qu’il ait pu bénéficier d’un second mandat pour étoffer le tissu économique, pour que le Bénin commence son long voyage vers le développement.
Mais il a y eu un coup d’arrêt. Dans notre esprit, on voyait après le président Soglo, le président Houngbédji. Celui-ci allait faire une politique sociale, à savoir la redistribution. Le président Yayi parle aujourd’hui de prospérité partagée. Oui, le président Soglo ayant mis de l’ordre dans les finances publiques, ayant étoffé, remusclé, donné de la force en quelque sorte au tissu économique, nous aurions produit la richesse. Et le président Houngbédji viendrait tempérer un peu le capitalisme sauvage que les institutions de Breton Woods ont obligé le Bénin à embrasser en faisant une politique sociale faite de justice, de redistribution, une société à visage humain.
Votre rêve n’a pas été réalisé
Oui les choses se sont passées autrement. Nous avions fait mon rêve, il ne sera pas réalité et ça n’a pas été réalité.
Deux partis ? Pouvaient-ils contenir tout ce beau monde qui après la conférence se découvrait l’étoffe de président ?
On pouvait bel et bien retenir deux partis. C’est pour dire qu’il y avait deux tendances. La tendance du centre-droit que représenterait le président Soglo, la tendance du centre-gauche que représenterait le président Houngbédji. Le Nigeria plus grand que nous près de dix fois avait essayé de créer deux partis.
Mais l’expérience n’a pas prospéré dans un premier temps ?
Si ! L’expérience n’a pas fait long feu. Mais, après ils se sont rachetés et n’ont plus de problèmes à ce niveau. Il faut que nous entrions dans la logique que les partis politiques ne peuvent pas représenter toutes les petites différences que nous avons. Chaque village ne peut pas être représenté par un parti politique. Ce sont des grands intérêts économiques, sociaux, des couches sociologiques qui doivent être représentés par les partis politiques. La notion de parti politique est née en Grande Bretagne au 17ème siècle. Il y avait donc le parti de la Cour, c’est-à-dire le parti du roi. Il y avait le parti du peuple qui était représenté en ce moment-là par les puritains et autres. Donc la notion de parti nous est venue tout droit de la Grande Bretagne. Nous n’allons pas inventer la roue. Nous avons dit au président Kérékou que pour mettre une barque à l’eau, on se met de chaque côté : un groupe à droite, un groupe à gauche pour pousser la barque à l’eau. C’est cela notre idée de la démocratie, du jeu politique basé sur l’alternance, la transparence, avec des élections claires à date fixe dans un système qui est parfaitement huilé, au lieu de ce à quoi nous assistons et on sait même pas si on une liste électorale.
Vous étiez entrain de distribuer les coups ?
Ma deuxième source de grande déception, qu’ils acceptent mon réquisitoire, car nous allons leur manquer de respect. Nous voulons parler des députés. Ces gens qui sont peut-être par ailleurs honorables et respectables. Mais, à cause d’eux, nous sommes tombés dans une République des copains et des coquins. Les affaires dont on parle là, c’est des affaires de coquins. Les milliards que les uns et les autres réclament pour constituer la liste électorale, c’est inadmissible. Le président Ahomadégbé aurait parlé de gabegie. On n’a jamais vu faire des choses comme ça ! Mais les pays étrangers qui nous aident là, vous pensez qu’ils vont continuer à nous aider quand ils voient l’utilisation que nous faisons de l’argent ? Mais il faut savoir qu’ils prennent l’argent de leurs concitoyens qu’ils nous apportent ici pour nous aider à mettre en place notre système démocratique. Mais ils ne sont pas obligés de financer notre démocratie. C’est nous qui leur tendons la main. Et nous à leur place, ne mettrions plus un centime au Bénin. Quand l’ambassadeur d’Allemagne a critiqué notre classe politique, les députés lui sont tombés dessus à bras raccourcis. Mais il avait dit la vérité à l’époque.
Après les députés à qui le tour ?
Le peuple même, vendu, est devenu mou. Il faut que nous ayons le courage de voir les choses en face. Ce n’est pas l’idéal qu’on a voulu pour notre pays. Nous sommes déjà trop loin de l’idéal et le peuple même, vendu, a commencer par souscrire depuis à l’achat de conscience.
Maintenant, c’est quoi cette presse-là qui est aux ordres ? Il paraît que les journalistes n’ont plus le droit de présenter le journal, on vient leur arracher les papiers à la télé. Mais ce n’est pas possible. Où se trouve la HAAC ?
Selon vous, la presse elle devenue un appendice du gouvernement ?
La HAAC ne peut pas laisser ces choses-là. Non ! Cette institution est la garantie pour nous d’avoir la liberté d’expression. Malheureusement, nous constatons, à l’instar des autres institutions que la Haac est sous coupes réglées. Mais avant la HAAC, la Cour constitutionnelle est une autre paire de manches…….
En tant qu’angliciste, nous avons enseigné le système fédéral américain, la Cour constitutionnelle, ce n’est que neuf personnes. Mais quand ça dit « oui », c’est « oui » et quand ça dit « non », c’est « non » et chacun se tient à carreau.
Notre Cour constitutionnelle, on ne sait pas ce qu’elle fait, ce qu’elle dit. C’est nous qui avons décidé à l’université que le ministère de l’Intérieur n’organiserait plus les élections, pour éviter les fraudes, nous sommes déçus. Nous avions personnellement fait une communication écrite à l’Assemblée nationale révolutionnaire (ANR), demandant la création d’une commission électorale en 1989, pour exiger que désormais les élections ne soient plus organisées par le ministère de l’Intérieur, mais par une Commission nationale indépendante, autonome si l’on veut. Mais toujours est-il que, dans un souci de transparence, on a voulu que ce soit des gens intègres qui soient dans cette commission électorale.
Aujourd’hui, on ne sait pas ce que fait la Cena. Celle de 2011, a proclamé un K.O, entériné par la Cour constitutionnelle. Curieusement, avant les élections, et après les élections avant même que le comptage ne soit terminé, certaines rumeurs donnaient le score du président Yayi qui est de 53%. Ce résultat a été confirmé par la Céna et entériné par la Cour. Mais non, ce n’est pas pour cela qu’on a milité pour la Cena.
Et face à cela les voix commencent à se taire dans ce pays. En 1989, la lettre pastorale de l’Eglise catholique a été une référence, un moment fort dans la vie politique de notre pays. Est-ce que aujourd’hui, le clergé catholique a encore la poigne nécessaire pour dire non au pouvoir ? On a encore en mémoire rappelle, comme si c’était hier, le manifeste des magistrats en 1984 qui a été également un moment fort. Aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe ? Les voix s’éteignent les unes après les autres. On n’a que la voix du maître. Celle du président Yayi, seul maitre abord. A part lui, on a aussi celle des FCBE…. Il n’y a pas d’autres voix dans le pays ?
Mais les gens disent que c’est de votre faute. Des gens comme vous se sont éclipsés après la conférence et ont refusé de jouer les premiers rôles ?
(Rire). Nous avons notre caractère ! Par tempérament, nous sommes peut-être intimiste. L’action politique, ça me pèse ! Nous avions fait l’expérience, cela n’a pas été encourageant et nous avions préféré nous mettre à l’écart. Nous sommes professeur d’université, et si nous sommes heureux dans notre fonction de professeur, de celui qui professe des idées, c’est très important. Nous avions occupé de hautes fonctions à l’international, nous nous sommes senti vivre.
A l’international, surtout à l’Unesco, nous avions vibré par rapport aux problèmes de l’éducation. Mais, on a estimé que, pour une raison ou une autre, il fallait m’enlever de là. C’est pour dire que ce n’est pas seulement en politique qu’on peut servir son pays. Nous avions été à des conférences un peu partout dans le monde où nous avions pris la parole au nom du Bénin. Ce n’est pas seulement quand on est en politique, à faire les petites magouilles-là qu’on peut servir son pays. On peut bien le servir ailleurs.
Aujourd’hui à l’analyse, entre Kérékou, Soglo et Yayi, qui n’a pas respecté les recommandations de la conférence nationale ?
Vous avez la réponse à votre question !
Qui des trois ?
Entre Kérékou, Soglo et Yayi, le choix est fait. C’est le président Yayi qui a piétiné les décisions, les grandes orientations de la conférence nationale. Nous avions dit tout à l’heure que les institutions sont vassalisées, que le peuple s’est vassalisé que les journalistes sont aux ordres et ne peuvent plus parler, mais la presse ne peut pas être régentée. En 89, c’est nous qui avions suggéré la création de « Les amis de la presse libre ».
A l’époque, ‘’La Gazette du Golfe’’ avait été saisi à cause de mon article « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Le bureau politique du Comité central du PRPB, a décidé de saisir ce numéro. Nous avions protesté. Le ministre de l’Information d’alors, le président Ousmane Batoko a compris les raisons de notre protestation. L’idée a fait son bonhomme de chemin et si dans la foulée, à la conférence, on a cru devoir créer, à l’instar de la France, la HAAC au Bénin, mais la Haute autorité de l’audiovisuel et de la Communication.
Tout ce que nous entendons dire n’est pas à l’avantage de notre démocratie. Personne n’appelle encore le Bénin, le laboratoire de la démocratie. C’est le Sénégal et d’autres pays que l’on nomme berceau ou laboratoire de la démocratie en Afrique. On ne cite même plus le nom du Bénin. Le président Yayi a terni la réputation du Bénin. Le président Yayi, avec ces histoires d’empoisonnement, ces histoires abracadabrantesques, a terni l’image de marque du Bénin.
Pourtant, il a réalisé beaucoup en neuf ans pour le Bénin ?
Qu’est-ce qu’il a réalisé ? Nous ne savons pas.
Professeur son bilan est là ?
Nous disons que nous ne savons pas ce qu’il a réalisé. Si c’est le coton, nous ne savons pas combien de balles de coton nous avons, nous ne savons pas combien de tonnes de coton nous avons produit. Sous le président Soglo, il y avait une production consistante. On était à 600, 700 000 tonnes de coton. Aujourd’hui, on est à combien de tonnes de coton ?
Alors ! Par rapport à tout ce qu’on a mis dans la culture du coton, le rapport est simplement déséquilibré. Il est venu pour tuer la filière coton. Nous remarquons, à l’analyse actuelle des faits, que la filière coton est en train de mourir de sa plus belle mort. Les cultures vivrières, nous ne savons pas si on produit aujourd’hui autant qu’on produisait sous le président Soglo. Celui-ci, voulait faire du Bénin, la Suisse de l’Afrique. C’était une noble ambition. Et pour cela, il était parti au Botswana. Il a vu ce qui se faisait au Botswana. Il était parti aussi au Zimbabwe, il y a vu le niveau de développement de l’agriculture et a dit que le Bénin serait la Suisse de l’Afrique. Et tout était mis en place, tout se faisait pour que nous y parvenions. Nous avions un ministre du Développement rural, Adamou Ndiaye qui était un bon cadre. Nous le disons, sans être trop subjectif. En définitive, il y avait une direction que nous aimions bien.
En dehors de la liberté de ton de Soglo, pour ne pas dire son arrogance, le président Soglo avait l’attitude américaine de gestion. Chaque ministre est absolument responsable de son département et, en conseil des ministres, on vient rendre compte. Nous avions assisté personnellement sans être ministre à certaines de ces réunions là où on vient rendre compte de ce que l’on fait. Aujourd’hui, ce n’est que la voix de son maître, on n’a pas le droit de s’opposer à ce que dit le patron.
Ce que nous observons aussi, c’est que quand un ministre commence à entrer dans sa fonction, on l’enlève. C’est le cas de Monsieur Toléba, ministre de la Culture, il entrait dans sa fonction et avait commencé par donner une orientation à la politique culturelle. Paf, on l’a enlevé. C’est le cas de Flore Gangbo qui était ministre de la Santé. Nous avions commencé à sentir chez elle, la jubilation, parce qu’elle commençait à rentrer véritablement dans sa fonction. On l’a enlevée.
Chaque fois que quelqu’un veut briller, le chef de l’Etat, chef du gouvernement, le faisait sortir. Il met les gens sous l’éteignoir. Or, on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau. Mais c’est ce qu’il fait. Aucun ministre ne peut trancher aujourd’hui et parler avec autorité. Le président Yayi n’aime pas ceux qui ont de la personnalité, il n’arrive pas à les supporter. S’il a un complexe, c’est son problème, qu’il gère son complexe. Qu’il sache ce qu’il veut faire pour le Bénin, pour le service du Bénin.
Nous, nous sommes pro américain. Le chef de l’Etat, chef du gouvernement a ses ministres qui sont ses collaborateurs. Mais être collaborateur ne veut pas dire être esclave ; le collaborateur peut avoir des points de vue divergents et c’est en conseil des ministres que le ministre est autorisé à se prononcer sur sa vision. Ici, dès qu’on entre en conflit avec le chef de l’Etat, il faut sortir du gouvernement. On va où là ? On va où ? Enfin…..
Vous critiquez le président Yayi alors qu’il maitrise encore la situation
Nous regardons et nous déplorons. Mais nous constatons avec vous que nous ne voyons personne pour assurer la relève.
Etes-vous réaliste ?
Nous ne voyons personne ! Nous sommes désolé ! Mais tant qu’on attend l’aval de son maître, qu’on ne veut pas entendre les voix dissonantes qui veulent aussi se mettre au service de la République, quand est-ce qu’on va préparer l’alternance ?
Avec tout cet aréopage de personnalités , vous pensez qu’on ne prépare pas l’alternance ?
Quel l’aréopage de personnalités ? Mais c’est une cour de récréation. On se met autour d’une personnalité qui se reconnaît comme le leader de l’opposition. Le président Mitterrand a été longtemps dans l’opposition, il a fait plus de 40 ans dans l’opposition. Personne ne pensait que le Parti socialiste arriverait au pouvoir sans le président Mitterrand.
Mais il faut que les gens qui veulent servir la République sortent des rangs. Et ce n’est pas tout le monde qui va prétendre être candidat aux élections présidentielles. Non ! Il faut reconnaître à l’homme, l’autorité qu’il incarne, la légitimité morale et la légitimité politique, parce qu’il aura une formation politique derrière lui, parce qu’il va avoir un mouvement de convergence vers cette personne.
Pour être président de la République, on doit avoir des lieutenants, des gens qui parleront en votre nom. Tout cela fait partie de la culture de l’opposition. Mais il ne faudrait pas que tout le monde soit chef. Celui-ci doit sortir des rangs et parler en tant que chef, comme on disait Mitterrand, la force tranquille. Cette force tranquille doit s’imposer à tous et tous se mettraient autour de, aux côtés de, avec cette force tranquille pour assurer la relève, l’alternance.
Le président Yayi veut-il partir, ne veut-il pas partir ? Mais il entretient le flou sur sa volonté de rester ou de ne pas rester.
La décision de la Cour constitutionnelle en novembre dernier est assez claire là-dessus.
Il doit partir ? Mais pourquoi il organise des marches partout alors ? Et puis ses ministres disent n’importe quoi. « Après nous, c’est nous », « Après Yayi, c’est Yayi », ça veut dire quoi ? La Cour constitutionnelle devrait les rappeler à l’ordre. Le pouvoir n’est pas transmissible. Non ! Il n’a pas reçu le titre foncier du Bénin.
A un moment donné, nous avons senti le besoin d’avoir un homme qui a de la surface, qui a des relations à l’extérieur. Mais en fait de relations à l’extérieur, si l’ambassade du Danemark près le Bénin, a fermé, ce n’est pas avoir de la surface, ce n’est pas avoir des contacts à l’extérieur. Parce que ce sont des portes qui se ferment. Et quand lui-même chasse les opérateurs économiques, il veut construire le Bénin avec qui ? Avec son argent ? Mais si les opérateurs économiques ont peur de domicilier leurs affaires ici, si on les pourchasse, il veut faire le Bénin tout seul ?
Nous, on a vécu, on a fait du chemin sans lui, il est venu à un moment donné de l’histoire du Bénin. A un moment donné de l’histoire du Bénin, il va partir et d’autres vont assurer la relève. Mais qu’il ne les empêche pas de jouer le jeu. Le Bénin, c’est notre maison commune.
Il y a le rapporteur de la conférence nationale, le professeur Albert Tévoédjrè pour ne pas le citer, qui disait : « Nous avons vaincu la fatalité ». Au regard de la situation, avons-nous vraiment vaincu la fatalité ?
Nous avions vaincu la fatalité. Maintenant, la fatalité nous a rattrapés.
Comment ?
La fatalité nous a rattrapés, puisque nous sommes devenus les esclaves de notre propre histoire. Nous n’avons plus la possibilité d’agir sur notre sort, de déterminer le futur. La cacophonie qu’il y a l’Assemblée nationale, c’est cela la classe politique ? Nous avions vaincu la fatalité, puisque nous avions terrassé le monstre PRPB et nous sommes, comme le professeur Albert Tévoédjrè le disait en citant Aimé Césaire, « la négraille debout ». C’était vrai tout ça, mais où est la négraille debout aujourd’hui ? C’est la négraille couchée que nous sommes aujourd’hui. La fatalité est revenue nous conquérir. Nous n’avons pas conquis la fatalité, mais la fatalité est venue nous conquérir à travers les hommes.
D’abord, le chef de l’Etat, ses sbires et tous ceux qui sont autour de lui qui empêchent que la vérité se dise, le jeu politique de se jouer avec transparence et foi. Si les gens ont peur d’être enlevés, les gens qui disparaissent qu’on ne retrouve pas, c’est quoi ? Le Bénin est devenu le pays des ‘’Tontons Macoutes’’ ?
Vous exagérez, non, professeur ?
Mais je sais qu’il y a eu des tentatives d’enlèvement. Nous ne citerons pas le cas de Dangnivo, mais est-ce que cette affaire, a été tirée au clair ? Mais on ne peut pas avoir peur dans notre propre pays. Non !!! Le président Kérékou était là, nous on a été le voir, il nous a entendus, écoutés. Il aurait pu nous sortir du Palais de la République. C’est un homme ça. Et il a décidé qu’il fallait arrêter le massacre et redonner la parole au peuple par la conférence nationale.
Aujourd’hui, chacun a peur d’être enlevé. C’est quoi ça ? On n’est pas chez les ‘’Tontons Macoutes’’. On dit que la police fait des choses bizarres, juste pour nous donner l’assurance qu’elle est efficace. Quelle efficacité ?
Au regard de la situation, et 25 ans après la conférence nationale, comment faire pour un changement de cap ?
Nous ne citerons pas le cas du Sénégal. Le président Wade, qui ne voulait pas partir, avait en face de lui des hommes politiques de qualité. Nous les voyons, les hommes politiques du Sénégal.
Macky Sall est sorti vainqueur de cette compétition et a instauré au Sénégal, un régime qui répond, nous le supposons, aux normes de la démocratie et de la République. Qu’est-ce qui nous attend ici au Bénin ? C’est ce que nous avions déjà dit : il faut que la classe politique se ressaisisse, remettre la balle à terre.
Mais il y a une chose que nous voulons dire. Nous ne pouvons pas parler du nord et du sud dans ce petit pays. Le chef de l’Etat devrait passer devant la Haute Cour de Justice pour certaines de ses déclarations. Et nous sommes désolé que les magistrats, la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale, n’aient pas eu suite à ses déclarations, le courage de le traduire devant la Haute Cour de Justice. Il vaut mieux tenter de le traduire devant la Haute Cour de Justice. Il le fallait pour lui rappeler sa prestation de serment. Il est le symbole de l’intégrité nationale, il n’est pas le représentant d’une partie du pays. Il doit percevoir son rôle comme le symbole de l’unité nationale et non le représentant d’une partie du pays. Si nous qui sommes de Grand-Popo, nous disons que nous sommes le représentant de Grand-Popo et au pouvoir, nous allons faire quoi ? Représenter Grand-Popo ? Non ! Il faut qu’il se ressaisisse. On n’a pas été à l’école pour se comporter de la sorte. Ce discours-là est dépassé.
Le Bénin a donné des leaders à la FEANF. Nous ne pouvons pas cultiver le discours tribaliste, le discours ethnocentrique. Nous ne pouvons plus tolérer dans ce pays, ce genre de discours. Et quelqu’un qui a été à l’école, qui est un banquier, qui a étudié l’économie du développement, ne peut pas nous tenir ce genre de propos. C’est indigne de nous, c’est indigne de lui-même qui a un double doctorat. Nous sommes désolé.
La politique, c’est l’action morale au service du peuple, au service de la Nation. Je dis bien que l’action politique, c’est de l’action morale au service des gens, au service du peuple, au service de la Nation. On ne va pas fractionner le pays en sud, en nord, en ouest, en est. C’est le petit pays que le gouverneur Victor Ballot a pacifié, dont il a fait l’unité nationale. Ce n’est pas nous qui allons le fractionner à nouveau au 21ème siècle en parlant de sud et de nord. Et quand nous disons cela, nous le disons en même temps aux gens de l’Union fait la Nation qui disent que le pouvoir doit rester au sud. Ce n’est pas de ce discours-là que nous avons besoin. Nos partis politiques doivent être implantés sur toute l’étendue du territoire national et tenir un discours inclusif et non un discours d’exclusion. Si la classe politique ne sort pas de ces petites idées à la petite semelle, comment peut-on se développer avec de telles arguties ? Il faut qu’on arrête le discours politique pour adopter désormais le discours économique. Que devient le Bénin Alafia 2025 ? Qu’est-ce que cela est devenu ? Il y a des milliers d’étudiants qui sortent et qui n’ont pas d’emploi. La priorité, c’est de créer des emplois, créer la richesse et la prospérité pour ce pays. Ce n’est pas le discours politique qui va nourrir le peuple. Ce sont les actions économiques qui donneront des emplois, qui créeront la richesse, qui nous donneront une bonne assise. Voilà ! Nous étions au Koweït avec le professeur Nago.
Les hommes d’affaires du Koweït ont dit qu’ils ont choisi le Bénin pour sa démocratie, pour la paix qui y règne, qu’ils vont créer une compagnie aérienne basée ici au Bénin pour la sous-région pour le Golfe Persique. Aujourd’hui, nous ne savons pas où nous en sommes ?
Nous avons donc à repenser sérieusement notre avenir, à définir ce que nous voulons pour notre pays, comment nous devons jouer le jeu politique pour que nos enfants soient fiers de nous. Parce que nous avons hérité de notre pays, de nos pères, de nos ancêtres ; il faut que nos enfants soient fiers de ce que nous allons leur léguer. Nous n’allons pas leur léguer le chômage et la dette. Qu’ils viennent trouver un pays prospère, un pays heureux où chacun mange à sa faim, où chacun va à l’école.
Nous avons surfé sur le net tout à l’heure pour voir l’état de l’éducation pour tous, parce que l’éducation pour tous finit en 2015, donc cette année. Qui a fait le point de l’éducation pour tous, Monsieur Folly ?
Vous êtes parmi ceux qui doivent indiquer la voie à suivre ou le faire ?
Non ! Nous avions déjà cédé la place depuis plus de deux décennies. Non ça ne va pas ! Ça ne va pas ! Il faut qu’on sorte du discours politique pour nous attaquer aux problèmes essentiels de développement économique, de développement des infrastructures, de développement de l’enseignement primaire, secondaire, supérieur pour la formation de qualité des ressources humaines.
Vous ne voyez pas d’espoir pour notre pays alors que le professeur Tévoedjrè disait il y a 25 ans que nous avons vaincu la fatalité ?
Le pessimisme n’est pas une attitude normale. Le pessimisme n’est qu’une étape. Quand on dit qu’on a faim et qu’on reste assis, on meurt de faim. Le pessimisme est une étape désespérante. Nous n’allons pas rester les bras croisés et dire que nous allons vaincre la fatalité, alors que la fatalité nous a vaincus à nouveau. Depuis que le professeur Tévoédjrè s’est tu, c’est comme si le Bénin était tombé dans l’oubli. Parce que lui, c’était le ‘’fin limier qui veillait ’’. Il nous tenait en haleine, il nous rappelait notre devoir. Maintenant qu’il s’est tu, nous avons comme l’impression que le Bénin est devenu orphelin de père. C’est vrai, il est un homme fatigué, il a fait son temps. Mais nous constatons qu’il ne se prononce plus sur les grands problèmes.
Le président Zinsou est là, le président Kérékou aussi est là. Nous avons la chance d’avoir nos anciens présidents. Mais si celui qui est là au pouvoir ne veut pas écouter, s’il ne veut en faire qu’à sa tête….. on va le laisser faire et quand ça va aller dans le mur, on se rendra compte qu’on était parti dans la mauvaise direction.
Quand le président Kérékou s’est rendu compte en 89 qu’on allait droit dans le mur, il a dit : « arrêtons le processus. Repartons sur de nouvelles bases ». Aujourd’hui, 25 ans après, nous nous rendons compte que nous avons passé la vitesse arrière à vive allure. Nous avons fait du 100km/h en allant dans le sens inverse de la conférence nationale. C’est le sentiment que nous avons. Mais il nous faut nous relever, proclamer à nouveau que nous allons vaincre la fatalité en reprenant les jeux politiques là où ils se sont fourvoyés, en redonnant aux institutions leur authenticité, leur personnalité et leurs forces. C’est désolant que le chef de l’Etat dise du président de l’Assemblée nationale : « Quand je dis piii, il dit pan ». Ça veut dire quoi ça là ? C’est pour ça que nous avons mis les institutions en place ? Nous ne sommes pas découragés, le meilleur reste à venir.
Propos recueillis et transcris par Titus Folly
René AHOUANSOU
Titulaire du Doctorat à thèse unique de l’Université Paris Sorbonne (Paris IV) ,Monsieur René AHOUANSOU enseigne les études américaines à l’universitéd’Abomey-Calavi de 1982 à ce jour. Son parcours et sa formation universitaires luidonnent la conviction qu’il ne pourrait y avoir de développement sans la démocratie,synonyme de bonne gouvernance et sans l’éradication de la corruption.Monsieur René AHOUANSOU a pris une part active au débat politique qui aconduit à la conférence nationale des forces vives de février 1990 ; il a été le premierprésident de la Commission Spéciale de Vérification des Biens, de fin 1989 à 1990.Mais depuis, il observe le divorce croissant entre les idéaux de la conférencenationale et la pratique de la classe politique actuelle.Ajoutons que Monsieur René AHOUANSOU a été le Secrétaire Général de la Commission Nationale Béninoise pour l’UNESCO (CNBU) et représentant de l’ISESCOde 2006-2009.