Le département de Sociologie-Anthropologie de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) accueille, depuis hier mercredi 4 mars et ce pour trois jours, à l’Institut des Sciences biomédicales appliquées (ISBA) de Cotonou, les premières Rencontres Nord/Sud de l’automédication et de ses déterminants… Ces rencontres sont soutenues par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et l’Association universitaire de la Francophonie (AUF).
Les Rencontres Nord/Sud de l’automédication et de ses déterminants qui se déroulent depuis hier à Cotonou sont axées sur deux programmes de recherches interdisciplinaires. Il s’agit de Globalmed qui se déroule au Bénin, au Ghana et au Cambodge ; et Automed qui porte sur la France. ces rencontres visent à présenter les avancées enregistrées dans les différentes recherches portant sur l’automédication dans le monde, identifier des pistes de recherche novatrices et des questionnements renouvelés autour de l’automédication (variété des usages, déterminants, transmission des savoirs, pluralité des types de médicaments, circuits d’approvisionnement et de distribution, approche par le territoire…) ; puis à favoriser les échanges scientifiques Nord/Sud dans le domaine de la santé, de l’automédication et de l’auto-soin, tout en favorisant l’interdisciplinarité de ces échanges.
Pour le représentant de l’IRD au Bénin, Jean-Philippe Chippaux, ces rencontres ouvrent la voie d’une collaboration Nord/Sud mais aussi Sud/Sud dans un domaine de grande préoccupation. Il relève que l’automédication doit être appréhendée dans toutes ses dimensions pour ne pas en rester à une vue anecdotique. Une pratique aux causes variables qui relève de l’empirisme mais aussi du choix assumé d’y recourir pour faire face à des ennuis de santé, et qui a cours tant dans les pays du Sud comme du Nord, fait observer Jean-Philippe Chippaux.
Au professeur Maxime da Cruz, vice-recteur de l’Université d’Abomey-Calavi, de relever ensuite que ce colloque est une étape vers une étude intégrée des systèmes d’automédication. Pensant aux populations qui n’ont pas accès au système officiel de santé, et aux praticiens de la médecine traditionnelle ; et qui développent des pratiques quotidiennes pour faire face aux maux rencontrés sans forcément aller se confier aux médecins, il considère que la majorité de la population se soigne sans les conseils avisés des professionnels. Ce qui tient du faible niveau de revenus et de diverses pesanteurs sociologiques et culturelles. Aussi remercie-t-il le Département de Sociologie-Anthropologie pour la tenue du colloque, qui devrait jeter un regard nouveau sur cette problématique.
Quant à Pierrick Rousseau, représentant de l’ambassadrice de France près le Bénin, il a rappelé l’engagement des autorités françaises pour les soins de santé de qualité, avant de mettre en exergue la bonne qualité des instituts de recherches franco-béninois. Il retient que les programmes de recherche sont proches des préoccupations des populations.
Au nom du ministre de la Santé, Frédéric Loko, Directeur des Laboratoires, mentionne que l’automédication induit une utilisation irrationnelle des produits médicaux et peut donc entamer la santé des populations. Une pratique parfois tolérée sinon encadrée même par les pouvoirs. Ainsi plus de 4.000 médicaments sont en service sans prescription médicale, fait-il constater. C’est dire que la problématique est prégnante, plus encore depuis que le commerce électronique des médicaments est en vogue. Si elle amène les personnes à gérer elles-mêmes leur santé et à désengorger les hôpitaux et cliniques dans les pays du Nord, elle ne saurait être dupliquée sans précautions dans ceux du Sud, dans un contexte fait de trafic de faux médicaments… D’où l’importance de la réflexion sur l’automédication pour capitaliser les efforts des acteurs et scruter les recommandations qui sortiront du présent colloque.
Enjeux scientifiques des Rencontres Nord/Sud
Les professeurs Adolphe Kpatchavi du département de Sociologie à l’UAC et Véronique Guienne du CENS ont axés leurs propos autour du thème «Les enjeux scientifiques des conférences Nord/Sud de l’automédication». Ils développent que le médicament est devenu un objet essentiel pour analyser les populations contemporaines et que l’automédication place la société au cœur de plusieurs enjeux (économiques, socioculturels…) Dans un contexte où la pratique prend de l’ampleur et devient même le premier recours pour nombre de patients, ils notent que les pays du Nord sont aussi bien concernés que ceux du Sud. Aussi convient-il d’analyser les traits caractéristiques, à travers les similitudes dans les pratiques, de s’interroger sur le fait de savoir quand on est face à l’automédication subie ou choisie, sur les risques et les normes ; ainsi que les limites de cette pratique…
Pour identifier les pistes de recherche novatrices ; les conditions politiques, culturelles et économiques étant à prendre en compte par des équipes de recherche pluridisciplinaires et transdisciplinaires.
Ils prescrivent aussi que les dimensions transnationale et transdisciplinaire doivent être intégrées à l’approche afin de confronter les questions, les outils et les approches. Pour considérer le défaut d’accès aux soins de santé officiels, le choix délibéré de végéter dans un hybridisme sanitaire (tantôt dans l’automédication, tantôt dans les centres officiels), et la volonté assumée de recourir carrément à l’automédication, comme autant de causes expliquant le phénomène. Sans occulter qu’il y a bien de risques qui y sont liés. Le tout, étant saisi par des chercheurs de divers horizons professionnels aux fins d’une meilleure appréhension du phénomène pour y proposer les meilleurs outils d’encadrement.
Un livre à l’appui
«Anthropologie du médicament au Sud-la pharmaceuticalisation à ses marges» c’est le litre de l’ouvrage collectif lancé dans la soirée d’hier à l’Institut français de Cotonou. Paru en janvier dernier et coordonné par Alice Desciaux et Marc Egrot, il est écrit par une vingtaine de chercheurs en sciences sociales. Sous les éclairages de Roch Houngnihin, directeur adjoint au Département de Sociologie-Anthropologie de l’UAC et de trois chercheurs en poste à l’IRD, puis de Marc Egrot, il est révélé que ce livre permet d’expliquer ce qu’est la pharmaceuticalisation et en quoi une anthropologie du médicament au Sud permet de mieux comprendre ce fait social. En sus, Carine Baxerres a déconstruit la notion de contrefaçon pharmaceutique avant que Agnès Adjamagbo n’analyse comment les effets secondaires des contraceptions hormonales peuvent parfois conduire les femmes en Afrique de l’Ouest à la marge des normes biomédicales lors de leur décision d’utiliser ou non un contraceptif…