Le 8è Congrès panafricain s’est ouvert, hier jeudi 5 février à Accra, capitale du Ghana, en présence du président de la République, Boni Yayi. Ces retrouvailles entendent relancer le projet panafricain rangé dans les placards de l’histoire.
Dr Kwame Nkrumah, premier président du Ghana et chantre du panafricanisme disait ceci: «L’indépendance du Ghana n’a pas d’importance tant que toute l’Afrique n’est pas libre». Ce n’est donc pas un hasard si le 8è Congrès panafricain a choisi de se tenir, la veille de la célébration du 58è anniversaire de l’indépendance du Ghana. Ce grand rendez-vous des hommes et femmes qui se nourrissent encore de l’idéal des pères fondateurs, se veut celui du réveil du projet panafricaniste, mis sous boisseau depuis la tenue du 7è Congrès en 1994 à Kampala en Ouganda. «Notre réunion donnera un nouvel élan à l’idéal des pères fondateurs. Le panafricanisme est le travail des pères pour nous libérer et travailler à notre progrès. Ils ont voulu créer un lien pour atteindre la paix, mettre en place des conditions de vie digne pour nos enfants. Ce combat ne sera fini que lorsque nous serons culturellement et économiquement indépendants», avance John Dramani Mahama, président de la République du Ghana, à l’ouverture des travaux.
Il soutient qu’il y a toujours nécessité de suivre les traces des pionniers en créant l’espoir pour la génération future. La vision de Kwame Nkrumah, dira-t-il, c’est de construire une Afrique unie totalement libérée des influences extérieures, une Afrique qui parle de la même voix. « Il était convaincu que le chemin du développement est celui d’une Afrique unie qui commerce entre elle. Une Afrique qui garantit la libre circulation de ses produits du Cap jusqu’au Caire. Nkrumah n’a pas été convenablement compris de ses pairs. Nous luttons encore des décennies après lui pour réaliser les mêmes choses que lui. Nous sommes en train de le comprendre avec le regain d’activités actuelles au niveau de l’Union africaine », assure-t-il. Mais John Dramani Mahama reconnaît que la lutte pour le panafricanisme est aujourd’hui plus compliquée qu’auparavant car les défis du continent dans ce monde globalisé sont plus complexes. Il croit néanmoins en la jeunesse et à l’héritage dont tout Africain doit être fier.
«L’Afrique a été une grande civilisation qui va au-delà de l’imagination des autres civilisations. Ce continent est celui des Pyramides de l’Egypte, des Bantus, des Grands Empires du Ghana, du Mali. Nous devons apprendre notre civilisation et notre culture et en être fiers», martèle-t-il, arguant que le panafricanisme constitue un front uni qui doit aider les peuples africains à mieux utiliser leur héritage pour définir les voies d’espoir et améliorer leurs conditions. «Nous trainons encore l’héritage de l’esclavage et de l’apartheid et nous devons nous en débarrasser. Nous sommes à une nouvelle phase de notre lutte, celle qui doit pouvoir assurer la dignité à nos peuples. Nous devons être guidés par la vision de l’Afrique que nous voulons», assume le président ghanéen.
Libérer le continent !
Kahinda Otafiire, ministre de la Justice de l’Ouganda, président du Mouvement panafricain, décrie le profil parfait du panafricaniste. « Un panafricaniste, c’est quelqu’un qui croit en la liberté, la justice, le développement du peuple africain y compris ceux de la diaspora. Un panafricaniste doit défendre la cause des Africains et promouvoir leur autodétermination », indique-t-il, prévenant que si rien n’est fait, l’esprit panafricain va s’éteindre. Le défi du mouvement, poursuit-il, c’est d’assurer que les pays africains adoptent des politiques permettant aux Africains de jouir de leurs propres ressources. «Les ressources africaines doivent revenir aux Africains. Cela fait mal de voir des descendants africains se noyer dans la Méditerranée parce que ceux qui occupent des positions de leadership n’ont pas été capables de gérer à bon escient les ressources du continent », s’offusque-t-il. Bien qu’il se réjouisse des progrès économiques accomplis par le continent ces dernières années, il trouve que l’intégration des peuples reste encore un défi. «Nous créons des conditions draconiennes d’obtention de visa d’un pays africain à un autre sur des frontières définies de manière arbitraire par les colons.
Nous n’avons pas de passeport africain qui permette de manifester l’identité africaine. La véritable célébration de la mémoire de Kwame Nkrumah est de savoir que nous n’allons pas continuer à reporter à demain la constitution d’un gouvernement africain », défend-il, saluant au passage la mémoire de Mouammar Kadhafi. Le 8è congrès représente à ses yeux l’instrument idoine pour réfléchir et agir dans le sens de la reconquête de la dignité de l’homme africain et de son droit à une vie décente. Pour lui, la question du rôle du panafricanisme à l’ère de la globalisation doit occuper une bonne place dans les débats car, dit-il, l’Afrique doit gérer efficacement l’équation de son propre développement. Et de conclure : « Nous sommes là pour faire l’inventaire. C’est ici au Ghana que l’appel pour l’indépendance des Africains a été lancé, je crois que c’est ici que le mouvement panafricain sera réactualisé».
L’ouverture du congrès a enregistré la présence du vice-président de la République islamique d’Iran qui préside le Mouvement des non-alignés, d’un envoyé spécial du président algérien Abdel Aziz Bouteflika et du Premier ministre équato-guinéen, Vicente Ehate Tomi, qui ont tous marqué leur adhésion à la renaissance du panafricanisme.
Yayi appelle à sa réinterprétation
Le 8è Congrès résonne pour le président de la République comme un appel à la génération consciente africaine à reprendre le flambeau des pères fondateurs du panafricanisme. « Accra est une étape importante de la marche du peuple africain. L’indépendance du Ghana a été une étape décisive pour le mouvement d’émancipation des peuples africains », souligne-t-il, rendant hommage aux pionniers qui ont, au-delà des clivages politiques et idéologiques, rêvé d’une Afrique unie et intégrée. Il est donc temps, soutient Boni Yayi, de procéder à une analyse rétrospective de la marche du continent vers son émancipation. Le 8è congrès panafricain, précise-t-il, se donne comme mission de créer un cadre d’échanges entre les leaders africains, les intellectuels, la jeunesse et les femmes pour jeter un regard sur les 50 dernières années, scruter l’horizon futur au travers de la vision 2063 de l’Union Africaine, opiner sur la citoyenneté africaine, la libre circulation, et mobiliser les peuples contre le néo-colonialisme. Il appelle à une réinterprétation du panafricanisme du 21è siècle à l’aune des nouveaux défis qui interpellent le continent et ceux de la nouvelle «Afrique que nous voulons».
Le jeu pour lui en vaut la chandelle, tant le besoin pour marquer une pose et redéfinir les bases du panafricanisme est grand. «Je reste persuadé qu’au-delà de nos diversités et de nos divergences, nous saurons aujourd’hui plus que par le passé tirer les enseignements nécessaires de nos succès et de nos échecs pour faire face aux défis qui sont les nôtres pour cette Afrique d’espoir et d’espérance portant les germes d’un monde plus juste», affirme-t-il. Le chef de l’Etat poursuit que progressivement l’Afrique s’emploie à relever des défis économiques, avec une croissance qui a quintuplé ces dix 20 dernières années. Mais il ajoute aussi que beaucoup de défis restent à relever. «Aujourd’hui, il faut unifier les Africains du continent et de la diaspora, en organisant une unité politique, dans le sens d’un partage d’histoire et d’un destin commun», conclut-il.
Le premier congrès panafricain a été organisé en 1919 à Paris, sous l’auspice des chantiers du panafricanisme tels que Williams Dubois et Marcus Garvey. Ce mouvement d’émancipation du peuple africain a inspiré la lutte contre la colonisation, l’indépendance des pays africains et la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). Des leaders africains tels que le Ghanéen Kwame Nkrumah, l’Ougandais Julius Nyerere, le Guinéen Sékou Touré, l’Ethiopien Hailé Sélassié, le Sénégalais Cheikh Anta Diop, le Malien Modibo Kéita ou encore l’Egyptien Nasser ont été les chantres du panafricanisme.