C’était suite à une déclaration commune avec Adrien Houngbédji, Bruno Amoussou et Antoine Kolawolé Idji que Rfi avait interviewé le président maire Nicéphore Dieudonné Soglo le 20 mars 2008. Dans cette déclaration commune, ces hommes, en dehors de Me Adrien Houngbédji, qui ont contribué à l’élection de Boni Yayi en 2006, soulignent que « la démocratie béninoise se trouve gravement menacée». Et ceci seulement deux ans après l’avènement au pouvoir du successeur de Mathieu Kérékou. Plus de sept ans après, les propos tenus par l’ancien Président de la République sont plus que jamais d’actualité. Bien malin pourrait lever le doigt et jurer que Yayi ne va pas réviser la Constitution et refuser de partir du pouvoir en 2016. La classe politique est en ébullition. La télévision nationale consacre tout une édition de son journal aux activités du Chef de l’Etat, de ses ministres…L’opposition a beau réclamer de se faire voir au moins quelques secondes sur les antennes de la télévision de service public, ce n’est pas demain qu’elle gagnera ce combat. Les marches de soutien et remerciements sont toujours légion. Avec le recul, on se rend compte que Nicéphore Dieudonné Soglo a été un visionnaire de ce que le régime du Changement devait faire subir aux Béninois. Pour la gouverne de tous, nous publions l’intégralité de cette interview du président Nicéphore Dieudonné Soglo à Rfi réalisé le 20 mars 2008.
Intervention de Nicéphore Dieudonné Soglo à Rfi (Nouvelle publication)
Bonjour Monsieur le Président.
Oui. Bonjour
Pourquoi dites-vous que la démocratie béninoise est gravement menacée?
Je crois que, depuis quelques temps, dans notre pays, à notre grande surprise, l’homme que nous avons aidé vraiment à succéder à Mathieu Kérékou ne croit absolument pas à la démocratie. Il pense fondamentalement que les peuples noirs ne sont pas mûrs pour la démocratie. C’est ce que disait un Président célèbre de votre pays.
Jacques Chirac ?
«C’est un one-man-show permanent sur les quatre chaînes de télévision. On ne nous montre que des soutiens apportés au chef de l’Etat, meetings, marches, messes, création de groupuscules. .. Alors on est stupéfait.». Oui comme vous le savez. Mais là, il applique ce qu’il a vu de mon point de vue au Togo. Hier un universitaire du Togo a dit sa surprise de voir à quel point les programmes de télévision nationale du Bénin ressemblaient comme deux gouttes de larmes à ceux de la télévision togolaise au temps béni d’Eyadema Père. C’est un one-man-show permanent sur les quatre chaînes de télévision. On ne nous montre que des soutiens apportés au chef de l’Etat, meetings, marches, messes, création de groupuscules. .. Alors on est stupéfait. Je le dis d’autant plus que le Togo est en train de faire un effort que nous avons salué. Le jeune Faure est en train avec tous les partis politiques de jeter par-dessus bord les oripeaux de ce qui avait malheureusement handicapé ce pays ami frère. Vous savez que le Togo nouveau du temps d’Eyadema-Père, la nouvelle marche du temps d’Eyadema-Père, le Timonier, le guide, tout ce qui venait du Zaïre, eh bien, on a le sentiment que nous avons repris tout cela à notre compte. Le Togo nouveau est devenu le Bénin Emergent. Il y a des marches incessantes de soutien comme au bon vieux temps dans le pays voisin. Nous n’avons pas un guide, un timonier, mais nous avons un messie.
Donc ce qui vous inquiète le plus ce sont les atteintes à la liberté de la presse ?
Absolument. Mais non seulement ça. Ce sont les atteintes à la liberté tout court. Même maintenant comme le dit l’écrivain Couao Zotti, il y a des professions de circonstances qui se développent : il y a des marcheurs, des rassembleurs, des lecteurs de motions, des porteurs de haut-parleurs et même des fournisseurs de pure water, les sachets d’eau qu’on mobilise pour étancher la soif des marcheurs. Alors on se frotte les yeux et on se demande « ça se passe ici dans notre pays ? ». Eh bien, il a un peu le complexe d’Œdipe : tuer le Père pour exister.
Alors, vous êtes très sévère, hein. N’y a t il pas quand même une démocratie au niveau électoral ? Est-ce que les législatives de l’année dernière n’ont pas été transparentes ?
Je vais vous dire ceci sur Yayi Boni. C’est un membre de notre parti que j’ai envoyé précisément à la Boad. Eh bien, il a un peu le complexe d’Œdipe : tuer le Père pour exister. Je suis un peu surpris mais je me dis que ce qui nous parait fondamental c’est de sauver la démocratie. Sans démocratie, il n’y a pas développement.
Est-ce que justement sur le plan des élections, de la transparence, ce sont des choses fondamentales. Est-ce que la au moins y a-t-il pas encore de démocratie dans votre pays ?
Non. D’abord il y a l’achat de conscience qui est devenu quelque chose d’ahurissant. Les membres du gouvernement alors que nous ne sommes pas en période électorale se promènent, distribuent de l’argent. Maintenant les microcrédits sont utilisés, parce que la misère est là après 10 ans de Kérékou, pour essayer d’acheter les consciences des populations. C’est le président lui-même qui distribue cet argent-là. Mais j’ai dit, nous allons barrer la route à ça. Faites-moi confiance.
Le mois dernier, le président Georges Bush est venu à Cotonou, il a félicité le président Yayi Boni pour ses efforts en faveur de la bonne gouvernance. Est-ce que ce n’est pas le signe que tout n’est pas mauvais dans la politique de Yayi Boni ?
Quand Bush est passé, c’est vrai qu’il était surpris de ne pas me voir à l’aéroport. Il m’a envoyé un cadeau. J’ai dit, si vous êtes bien informé, qu’il y a un mauvais tournant que prend actuellement notre pays et je ne peux pas cautionner ça. «C’est une technique que Mobutu a utilisée».
Il y a quand même des hommes d’affaires corrompus qui sont poursuivis et ont été jetés en prison.
Ce n’est pas à moi qui ai poursuivi Cissé qu’il faut dire cela. Ce qui a fait que j’ai le sentiment que c’est devenu ce que faisait Kérékou sous la Révolution, tous les mercredis, on faisait kin go : on a envoyé une mission d’inspection, on a constaté qu’il manquait 20.000 F ici, 100.000 F par là. C’est une technique que Mobutu a utilisée. On peut dire que c’est une technique du pouvoir maintenant.
egrettez-vous d’avoir appelé à voter Yayi Boni contre Houngbedji ?
Non, c’est-à-dire que, honnêtement, j’ai dit entre plusieurs maux, il faut choisir le moindre.
À l’époque, vous pensiez que Yayi Boni était le moindre mal.
A mon avis oui. «Mais depuis, voilà, il fait ce qu’il veut. Je dis non. Il s’est trompé de pays et d’époque»
Aujourd’hui, vous avez changé d’avis ?
Non je pensais que bon avec le temps, après tout, quand vous avez un enfant que vous avez aidé à grandir. Vous le laissez faire son expérience, c’est-à-dire avoir des succès et des échecs. Mais à partir d’un certain niveau, tous ceux qui l’ont aidé à venir au pouvoir, ceux qui ont mis de l’argent… ceux qui politiquement l’ont aidé… J’ai signé un accord avec lui. Il m’a dit que c’est un chiffon de papier. Alors là, j’ai perdu la face.
Vous voulez dire que Yayi Boni n’a pas respecté l’accord de gouvernement que vous avez signé avec lui ?
Ça c’est un secret de polichinelle. Et nous n’avons pas été les seuls à avoir signé des accords qu’on a ensuite considérés comme des chiffons de papier.
C’est-à-dire qu’il était prévu que vous ayez un certain nombre de postes ministériels et Yayi Boni n’a pas tenu parole. C’est bien ça ?
Non, pas seulement. Il y avait surtout des réformes fondamentales. Il fallait une liste électorale informatisée. C’était la première des choses qu’on avait demandées. Sans compter qu’il fallait respecter les lois sur la décentralisation. Il se promène dans les municipalités comme si nous étions ses sous-préfets. Il n’avertit personne. Alors que c’est à la Conférence Nationale que nous avons décidé de transformer les sous-préfectures en municipalités. Mais depuis, voilà, il fait ce qu’il veut. Je dis non. Il s’est trompé de pays et d’époque.
Nicéphore Soglo, merci.