Voyager de Hillacondji à Cotonou n’est pas chose aisée quand il s’agit en l’occurrence de le faire par un moyen de transport en commun. Une observation des mots de passe utilisés entre conducteurs et agents de sécurité publique avec la complicité des passagers, montre la réalité de la corruption sur cette voie inter-état.
" Je ne sais combien ces hommes de rang vont me prendre tout au long de ce trajet " s’interroge Roger, un conducteur de taxi qui pratique la route Hillacondji-Cotonou. Comme Roger, beaucoup d’autres conducteurs de taxi sont bien conscients de cette réalité et apprêtent approximativement le montant total à donner aux forces de l’ordre et autres douaniers en poste sur la voie. A bord de son véhicule de cinq places immatriculé AR 4653 RB, Roger s’ébranle de la gare routière de Hillacondji pour Cotonou à 15 h20 ce 29 juin 2013 avec cinq passagers. L’un est assis à ses côtés et les quatre autres (trois hommes et une femme), en arrière.
Le passager, en compagnie du conducteur devant, un Nigérian, déclare avoir acheté les deux places assises à côté de Roger, le conducteur. Ce dernier acquiesce. Le premier arrêt intervient une dizaine de minutes après et c’est le poste de douane d’Agoué avec ses panneaux indicatifs. Le chauffeur s’arrête, sort de son véhicule, ouvre la malle arrière, montre du doigt le contenu aux deux agents civils qui viennent en aide au douanier assis dans sa cabane. Ces deux agents s’approchent du véhicule, observent le contenu de la malle arrière : " Rien de prohibé dans les bagages " lance Roger, tout confiant, à ces deux agents civils qui ordonnent au chauffeur de partir. Tout joyeux, Roger reprend place au volant. Tout commence bien pour lui. " Tu as remis combien ? " cherche à savoir un passager. " Rien ! " répond le conducteur qui remonte légèrement le volume d’écoute de son poste récepteur. Trois minutes plus tard, au poste de contrôle de Azionkou-Kondji à Agoué, une barrière disposée, deux militaires avec armes au point, font signe au conducteur de s’arrêter. L’un d’eux, appelé le " chef " sifflet à la bouche, est reconnu par un passager, l’échange de civilités s’en suit. Le conducteur descend du véhicule avec ses pièces et un billet de 500 F.
Le " chef ", conduit le chauffeur loin à quelques cinq mètres du véhicule, saisit les pièces par sa main gauche, tente de les feuilleter, tiens le billet dans son poing et tend les pièces du véhicule au conducteur qui les prend avec le sentiment d’une mission accomplie. Le conducteur retourne dans son véhicule et démarre ; un jeune positionné près des barrières, libère le passage.
Le conducteur poursuit son trajet
Au poste de péage et pesage de Grand-Popo, le conducteur s’immobilise afin de se soumettre au contrôle des agents de la douaneIl s’arrête, sort de son véhicule et se dirige vers les agents qui ne font pas attention à lui. Il rentre dans son véhicule et poursuit sa route. A Agatogbo au poste de contrôle douanier, les agents en poste ont l’œil sur le taximan qui s’arrête et se rend chez eux sans les pièces de son véhicule. Après échanges entre les deux parties, Roger glisse un billet de 1000 F dans les mains du douanier le plus proche de lui. Il rejoint son véhicule et s’en va. Au volant, le taximan ne répond pas aux passagers qui lui demandent pourquoi il a payé. Le voyage continue.
A la sortie de Ouidah, les panneaux signalent la présence des officiers de la Crs (Compagnie républicaine de sécurité). Ici, l’un des deux agents en faction au bord de la voie rechigne à prendre ce que lui tend le conducteur et réclame un billet : " Il faut déposer un billet " a-t-il lancé à son vis-à-vis qui jette un coup d’œil sur son véhicule avant de sortir le billet réclamé. Roger reprend place au volant la mine légèrement renfrognée, signe qu’il ne s’attendait pas à cela. Le débat qui se menait avant la descente du conducteur s’estompe. Furieux, le taximan éteint le poste récepteur.
Pare-brise arrière inexistante
Roger traverse le poste de péage de Ouidah sans problème. A quelques trois kilomètres de là, les gendarmes en poste à Ahozon, sont concentrés sur un véhicule 4x4, rempli de bagages, dont les pièces ne sont pas à jour. Le chauffeur poursuit son chemin. " Dieu merci " marmonne-t-il.
Désormais, il est sûr de rejoindre Cotonou sans difficultés, mais c’est sans compter sur la détermination des agents de police. A Atrokpocodji, deux policiers sur une moto de couleur blanche, font de grands gestes pour arrêter le conducteur qui finit par stationner. Il descend du véhicule avec ses pièces, la peur au ventre et se dirige vers les agents de police. La série de questions-réponses sur l’absence de pare-brise arrière du véhicule du conducteur démarre. En lieu et place du pare-brise, le conducteur s’est servi de sachet et de ruban adhésif. Au bout de quinze minutes de discussion, Roger remet 2000 F. Le chauffeur se dirige vers son véhicule avec des pas visiblement lourds. Une fois dans son véhicule, il prend quelques secondes pour réfléchir, puis redémarre.
’’25 mn de discussion, 4000 F’’
Le conducteur fait son entrée dans la ville de Cotonou. Pour lui, plus rien ne peut l’arrêter avant le parking de Tokpa. Mais, au signal du feu rouge, au niveau du carrefour Marina, un des policiers installés sous l’arbre à quelques mètres des feux tricolores, se rapproche du taximan. " Les pièces s’il vous plaît ", lance l’agent de police. Roger remet les pièces et s’efforce de stationner son véhicule juste avant les feux tricolores. Il rejoint les agents de police. Les discussions commencent. Il est question du remplacement du pare-brise du véhicule. Les agents en uniforme se montrent intraitables. Roger perd totalement le sourire.
Les mains croisées, il réfléchit, fait des propositions tout en jetant de temps à autre, un coup d’œil sur son véhicule. Il a finalement payé 4000 F pour pouvoir retirer ses pièces. Les passagers s’impatientent ; la seule femme n’en peut plus au risque de faire un voyage inutile. Elle finit par laisser le montant du trajet auprès d’un autre passager qui le transmet au chauffeur à son retour. Les yeux bien rouges. Roger ne répond plus à aucun passager sur cet incident. Les derniers voyageurs, à 18 h 43, font leur entrée sur le parking de Tokpa et disparaissent. Le chauffeur raconte sa mésaventure à ses pairs et charge d’autres passagers en direction de Porto-Novo.