La salle de conférence de la Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung, sise au quartier « Les Cocotiers » à Cotonou, a abrité le jeudi 18 juillet 2013 une conférence-débat dénommée « soirée politique » sur le déclin de la filière coton au Bénin. Les réflexions se sont cristallisées autour de l’étude réalisée par la Plateforme des acteurs de la société civile du Bénin (Pascib) sur le thème « la filière coton au Bénin : regards et analyses prospectives de la société civile ».
Pour introduire le sujet, il y a eu d’abord l’allocution de M. Constantin Grund, représentant résident de la Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung au Bénin. Le but de cette « soirée-politique », a-t-il dit, « c’est d’encourager un dialogue inclusif sur les conclusions et interrogations majeures que pose l’étude conduite par la Pascib sur la filière coton au Bénin ».
Selon cette étude dont les conclusions ont été présentées par M. Aurelien Atidégla, la filière coton au Bénin est depuis 2002 en proie à de nombreux problèmes liés principalement à l’approvisionnement en intrants, à la qualité de ces intrants, au non-respect des règles établies par les différents acteurs privés, et les difficultés de l’Etat à jouer son rôle régulateur, rendant de plus en plus critique l’espoir d’une relance durable de la production. Poursuivant son exposé, M. Atidégla a mentionné que cette crise a atteint son paroxysme durant la campagne 2011-2012 et s’est traduite par des contestations et tensions entre l’Etat, les producteurs et le secteur privé.
Qu’est-ce qui peut bien être à l’origine du déclin répété de cette filière qui fait vivre près de 50 % de la population avec 40 % d’emplois en milieu rural ? Qu’est-ce qui est à l’origine du déclin de cette filière qui génère également 45 % des recettes fiscales de l’Etat ? C’est autour de ces questions que les réflexions se sont focalisées au cours de la « soirée-débat ». Et visiblement, la Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung a vu juste en engageant ce dialogue.
La responsabilité de l’Etat
De l’avis des membres du panel constitué à l’occasion, on retiendra essentiellement qu’il y a une forte intrusion du politique dans la filière. « Il n’y aura pas de solution aussi longtemps qu’il y aura d’instabilité dans les prises de décisions », estime l’honorable Candide Azannaï qui déplore le fait que ces instabilités manquent d’objectivité. « Dans la gestion de la filière coton, l’Etat a créé des règles compliquées et a par la suite démissionné de son rôle de contrôleur, d’arbitre pour chausser les crampons de joueur. Il faut repenser complètement l’organisation de la filière », déclare pour sa part M. Hyppolite Koukou, secrétaire général de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin. Plusieurs autres intervenants à l’image de l’honorable Edmond Zinsou, du Doyen Benjamin Soudé…sont également revenus sur le rôle que doit désormais jouer l’Etat dans la gestion de la filière coton au Bénin pour éviter les collusions secteur public/secteur privé. Toutes ces observations rejoignent les résultats auxquels est parvenue l’étude du Pascib. « L’Etat prend un décret autorisant la Sonapra à participer à l’appel d’offres pour l’importation des intrants coton en décembre 2006. Ce qui est contraire à certaines précédentes décisions gouvernementales sur la même question. L’arrêté interministériel du 18 février 2005 n’avait pas pris en compte la Sonapra sur la liste des sociétés importatrices et distributrices agréées des intrants coton pour les cinq campagnes successives… », a révélé Aurélien Atidégla. Selon lui, la prise de ces décrets successifs a fragilisé les organisations paysannes cotonnières qui ont perdu dans la foulée toute capacité à défendre leurs intérêts.
Dans ses propos, le Représentant du Gouvernement a reconnu la pertinence des observations faites par les uns et les autres.
Comme solutions, l’étude du Pascib préconise, entre autres, de travailler à améliorer la gouvernance de la filière coton à travers la transparence dans les procédures ainsi que la prévisibilité pour réduire les incertitudes pour les investisseurs.
Les vérités de Candide Azannaï à Boni Yayi
Invité à se prononcer sur le déclin de la filière coton au Bénin, l’honorable Candide Azannaï a fustigé la manière dont est gérée cette filière depuis que le Président Boni Yayi est venu au pouvoir. Pour lui, les causes de ce déclin sont à rechercher dans l’inexistence d’un cadre macropolitique clairement défini et d’une option macroéconomique rigoureuse. Pour Azannaï, nous devons cesser de tricher. « Il n’y aura pas de solution aussi longtemps qu’il y aura d’instabilité dans les prises de décisions », a-t-il dit. Voici ses observations.
« Pour le développement, il faut avoir une matrice macropolitique dans laquelle on va déployer des options, des choix politiques. Le problème ici, c’est de se demander si le politique a le droit de tout faire dès lors que l’option économique faite à la conférence nationale est le libéralisme économique. Et pour répondre à cette question, je dirai non ! Pour ma part, le politique doit agir en fonction de l’option faite à la conférence nationale. Lorsque nous acceptons que nous avons fait l’option du libéralisme économique intégral, il n’existera donc plus de politique qui puisse manœuvrer hors de ce cadre tracé et consacré par la Constitution du 11 décembre 1990. Le deuxième problème que j’évoquerai est lié au choix économique que nous devons faire après avoir tracé l’option. Ce choix doit être compatible avec le choix politique. Et on ne peut se développer qu’à partir d’une modélisation de ces deux concepts. Pas de modélisation, pas de résultats probants. On ne gagne pas par hasard en économie et en macroéconomie. La macroéconomie est de la science pure et le politique doit s’appuyer là-dessus. Quand je vois les résultats auxquels est parvenue l’étude réalisée par la Plateforme des organisations de la société civile du Bénin sur la filière coton, nous ne devons pas être surpris du déclin qu’enregistre ce secteur. D’abord, ce qu’on a est déjà trop. C’est un miracle que nous ayons ces résultats. Au Bénin ici et c’est valable pour tous les secteurs, nous devons cesser de tricher avec les quatre repères que sont le public, le privé, le rural et l’urbain. Aussi longtemps que nous allons tricher et avec la macropolitique, et avec la macroéconomie sur ces repères, nous n’aurons aucun résultat, nous ne serons compétitifs nulle part. A l’étape actuelle du pays, c’est dans le rural que nous déployons la production agricole alors que ce rural très vaste, face à cet urbain très petit, est atrophié en termes d’attractions, d’intérêts au détriment de l’urbain hypertrophié. Tant que nous n’allons pas avoir une modélisation pour repenser ces choses, nous auront des problèmes. Et nous ne devons donc pas nous étonner des résultats obtenus dans la filière coton puisque ce sont ces repères qui sont paramétrés dans ce secteur de notre économie. Lorsque je prends les polémiques sur le coton, j’en ris beaucoup parce que nous ne savons pas souvent de quoi nous parlons. Lorsque nous prenons la filière coton, nous devons être très sérieux. Si nous continuons à nous amuser, nos producteurs vont fuir le secteur et nous n’aurons plus de produits de rente. Lorsque je me projette au plan international et je regarde les grands débats autour de la subvention du coton à l’OMC et à Bruxelles, je me demande si le politique béninois sait vraiment de quoi il parle. Il n’y aura pas de solution aussi longtemps qu’il y aura d’instabilité dans les prises de décisions. Et l’instabilité dont il s’agit ici n’est pas une instabilité objective, mais une instabilité mafieuse, subjective introduite par le politique. Qu’est-ce qui s’est passé depuis ? Si je suis content aujourd’hui, je signe un décret. Et si demain je ne suis pas content, je prends un autre décret pour désorganiser tout ce qui a été mis en place. C’est ce que vit la filière coton au Bénin sous la gouvernance du Dr Boni Yayi. Cela s’appelle de la navigation à vue. Dans les solutions préconisées, il a été dit qu’il faut que les organisations paysannes se réorganisent sur des bases neutres. Non ! Il n’y a pas de neutralité dans les affaires. Ne soyons pas naïfs. Dans les solutions à apporter, il nous faut vraiment être très rigoureux ».