Me Jacques Migan, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Bénin ne veut pas rester en marge du débat qui se mène aujourd’hui autour de la révision de la Constitution du 11 décembre 1990. Dans un raisonnement scientifiquement cohérent, il balaie du revers de la main les arguments des Yayistes. Pour lui, l’inflation d’institutions aussi budgétivores qu’inefficaces n’apporte rien à notre pays.
« Je ne suis pas d’avis qu’on intègre une Cour des comptes, une CENA ou un Médiateur de la République dans la Constitution du Bénin. L’inflation d’institutions aussi budgétivores qu’inefficaces n’apporte rien à ce pays ». C’est par ces propos que l’ancien Bâtonnier a planté le décor de sa démonstration. Concernant cette fameuse Cour des comptes qu’agitent les Yayistes, Mme Migan estime qu’il y a déjà une Chambre des comptes auprès de la Cour Suprême ». « Nous avions opté pour un système juridique unitaire où la Cour Suprême coiffe tout le système judiciaire et juge autant en matière administrative qu’en matière de comptes. Le Code de procédure civile qui vient d’être voté et promulgué prend en compte ce fait. Voilà que tout à coup il faudrait créer une institution budgétivore pour assurer une masse de travail quasi insignifiante. N’est-ce pas paradoxal ? », a fait observer l’ancien Bâtonnier. Poursuivant ses propos, il dira « qu’il n’est pas requis du Bénin de créer une Cour des comptes, mais d’organiser une juridiction des comptes avec des prérogatives déterminées et des privilèges garantissant un fonctionnement efficace ». Pour lui, la question est de savoir s’il faut après la Haute Cour de Justice organiser encore une institution juridictionnelle budgétivore et créer une nouvelle caste de privilégiés. S’agissant de la Céna, la démonstration de Me Migan pour justifier qu’il est inutile de la constitution-naliser est imparable. « Dans ce pays, pour ne pas vacciner le chien enragé, on le tue ou on accuse son maître de sorcellerie. Quand on ne veut pas réformer le code de procédure pénale pour interdire aux magistrats du Parquet et aux juges d’instruction d’abuser de la détention préventive, on crée les para-juristes pour engloutir des aides internationales. Et comme la solution était mal trouvée, on essaye désormais d’inscrire dans la constitution des principes qui subissent tellement d’exception que seule la loi est un cadre adéquat pour les organiser », a dit de façon imagée Me Migan ; pour lui, il est temps de regarder les problèmes en face, de chercher leurs causes réelles et d’y apporter des solutions adaptées. « Les placébos, les palliatifs ne sont que des fuites en avant qui dégradent toujours plus la situation et rendent difficile toute solution véritable », a-t-il déclaré sur ce point relatif à la constitutionnalisation de la Céna. Pour lui, la Céna est « le symbole du manque de confiance entre nos acteurs politiques. Mais elle a échoué dans sa mission parce que son mode de composition était vicié et les hommes ont perdu certaines valeurs d’honnêteté et de dévouement à ce pays ». « Ce n’est pas en faisant de la Céna une institution constitutionnelle qu’on résoudra ces questions ; au contraire, le problème du choix des hommes est déplacé à un niveau où la solution va être difficile à trouver », a conclu Me Migan. « La verve d’un homme, sa capacité rhétorique, la mode institutionnelle ne doivent pas conduire à donner vie constitutionnelle à un processus alternatif de règlement de litige dont l’existence signifie la faillite de la justice, la carence du service public et de l’Administration, l’absence de débat d’idées et de société au plan politique. On ne peut pas continuer dans ce pays d’alimenter des institutions budgétivores alors que les recettes fiscales sont insuffisantes à couvrir les dépenses de l’Etat. C’est une course stupide vers l’appauvrissement, l’asservissement ou la faillite. En 20 ans d’existence, dites-moi qui la Haute Cour de la République a jugé dans ce pays », a fait remarquer Me Migan sur la question relative au Médiateur de la République.
« La constitution a prévu les conditions de sa révision »
« Je rappelle que la constitution a prévu les conditions de sa révision à travers des articles précis. L’amendement de la constitution, l’adaptation de la constitution, la révision de la constitution n’entraînent pas de changement de République. On cite le cas du Sénégal et de la Russie où les dirigeants de ces pays à travers des tripatouillages de la constitution s’accrochent au pouvoir. On peut rajouter les cas de Biya au Cameroun, Campaoré au Burkina, Tandja au Niger, Gbagbo en Côte d’Ivoire. Ces actes que posent ces chefs d’Etat s’appellent un coup d’Etat politique constitutionnel. Le Bénin, après avoir rejeté les coups d’Etat militaires, ne peut se permettre de renouer avec de telles pratiques. Je ne juge pas utile qu’on ajoute à l’actuelle constitution un nouvel article pour contrer les velléités d’un Président qui a fini ses deux mandats et tenterait d’être à nouveau candidat. Les articles 42 et 44 ont permis l’alternance qui a amené le Président Boni Yayi à être aujourd’hui Chef de l’Etat. Malheur à celui qui voudra les remettre en cause pour se maintenir au pouvoir. Le peuple béninois accorde beaucoup de prix à ces deux articles qui ont fait leur preuve. Il serait difficile de les modifier voire de les contourner », pense Me Migan qui appelle les Béninois à la veille citoyenne pour exiger la correction préalable de la Lépi avant toute consultation du peuple, avant toute révision de la constitution ; et en cas de révision de celle-ci, qu’on ne touche pas aux articles 42 et 44.
La RB, la loi référendaire…
L’article 154 al. 2 qui dispose que « pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision doit être voté à la majorité des trois quarts (3/4) des membres composant l’Assemblée Nationale », puis la position des députés de la RB par rapport au projet gouvernemental de révision de la constitution ont aussi préoccupé Me Jacques Migan. « La RB est prête à soutenir le Gouvernement dans ses réformes à condition que certains principes démocratiques ne pâtissent pas desdites réformes. Au nombre de ces principes, les droits civiques dont celui du droit constitutionnel de vote à tous les Béninois en âge de voter ; un audit circonstancié de la Lépi est exigé par la RB », a rappelé Me Migan qui déduit de ce préalable que les députés RB peuvent ne pas s’associer à la révision de la constitution en vertu de l’article 154 si le Gouvernement ne procède pas au préalable à l’audit de la Lépi. Pour contourner cette difficulté, le Gouvernement pourra recourir au référendum en vertu de l’article 155 de la constitution. Mais pour ce faire, il lui faudra la majorité des quatre cinquièmes des membres composant l’Assemblée Nationale, a rappelé Me Migan qui s’est demandé si en l’état le pouvoir peut-il compter sur les députés FCBE pour recourir au référendum dans le cadre de la révision de la constitution ? Selon lui, il y a trois priorités à satisfaire avant toute révision de la constitution. La première est la révision de la Lepi. La deuxième priorité est d’ordre socio-économique. Dans les marchés, dans les ménages, le mécontentement est général, le moral complètement bas. Tout coûte cher. Le tiers de la population n’est plus en mesure de satisfaire ses besoins fondamentaux. La précarité est ambiante. Le peuple s’est simplement appauvri. La troisième priorité, c’est la concertation populaire pour recueillir un large consensus national des Béninoises et des Béninois sur la révision de la constitution à travers leurs représentants.
« La constitution n’est pas seulement politique. Elle est aussi le reflet d’une idéologie sociale, d’un consensus communautaire. Ainsi, une large concertation s’impose avant toute révision de la constitution. Il faut un débat contradictoire pour son évaluation. Je rappelle que le Bénin dispose pour les besoins de la révision de la constitution de juristes de haut niveau, compétents et indépendants. Il serait inutile de faire appel à des experts internationaux. Lorsque les trois priorités précitées seront prises en compte, la révision de la constitution se fera presque à l’unanimité », a conclu Me Migan.