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Le Matinal N° 4150 du 23/7/2013

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Recours contre la suspension de l’accord Etat béninois-Aic: La Cour se déclare incompétente
Publié le mercredi 24 juillet 2013   |  Le Matinal


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Le recours en inconstitutionnalité introduit par le président de l’Association interprofessionnelle du Coton (Aic) à la Cour constitutionnelle ne peut prospérer. La Haute juridiction s’est déclarée incompétente pour examiner la décision du Conseil des ministres suspendant l’Accord-cadre signé entre l’Etat béninois et l’Aic le 07 janvier 2009. Lire la décision Dcc 13-070 du 11 juillet 2013 publiée à cet effet.


La Cour Constitutionnelle,

Saisie d’une requête sans date enregistrée à son Secrétariat le 10 mai 2012 sous le numéro 0884/063/REC, par laquelle Monsieur Mathieu Gbeblodo ADJOVI, Président de l’Association Interprofessionnelle du Coton (AIC), forme un recours en inconstitutionnalité contre la Décision du Conseil des Ministres suspendant l’Accord-cadre signé entre l’Etat béninois et l’Association Interprofessionnelle du Coton le 07 janvier 2009 » ;

Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;

Vu la Loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour Constitutionnelle modifiée par la Loi du 31 mai 2001 ;

Vu le Règlement Intérieur de la Cour Constitutionnelle ;

Ensemble les pièces du dossier ;

Ouï Maître Simplice C. DATO en son rapport ;

Après en avoir délibéré,

Contenu du Recours

Considérant que le requérant expose : « … l’Association Interprofessionnelle du Coton (Aic) est au Bénin, la seule organisation interprofessionnelle de la filière coton et comprend :

- la famille des producteurs de coton du Bénin représentés par le Conseil National des Producteurs de Coton (Cnpc) ;
- la famille des égreneurs représentés par le Conseil National des Egreneurs de Coton (Cnec) ;
- et celle des Importateurs et Distributeurs d’Intrants représentés par le Conseil National des Importateurs et Distributeurs d’Intrants Coton (Cnidic).
Aux termes de l’article 4 de ses statuts, l’Aic est le cadre de concertation entre les familles professionnelles membres de la filière coton et a pour objet entre autres de :
- contribuer au développement durable de la filière coton au Bénin ;
- faciliter les relations entre les partenaires de la filière et la concertation entre l’Etat et tout organisme en vue de promouvoir le développement de la filière coton.
C’est donc dans l’optique d’une meilleure organisation de la filière coton que des Accords-cadres sont signés entre l’Etat et l’AIC.
Il y a lieu de préciser que eu égard à l’article 147 de la Constitution de 1990, l’Association Interprofessionnelle du Coton (Aic) trouve son origine dans le Programme d’Ajustement Structurel que le Bénin signa avec le Fonds Monétaire International, mais également dans la Lettre de Déclaration de Politique de Développement Rural (Ldpdr) du 31 mai 1991 confirmé en 2001 par l’Etat Béninois…
Le dernier Accord-cadre qui régit la filière coton a été signé le 07 janvier 2009 entre l’AIC et l’Etat Béninois représenté par le Ministre de l’Economie et des Finances, le Ministre du Commerce, le Ministre de l’Industrie, le Ministre des Transports Terrestres, des Transports Aériens et des Travaux Publics et le Ministre de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme.
Ledit accord-cadre a pour buts essentiels :
- de mettre en place un règlement général d’organisation et de fonctionnement de la filière fondé sur les accords conclus entre les familles professionnelles, membres de l’interprofession ;
- de définir le rôle et les prérogatives de l’Etat et du secteur privé dans la filière coton. » ;
Considérant qu’il soutient : « Cet Accord-cadre a été contradictoirement homologué par le Jugement n° 006/09-1ère CH. CIV du Tribunal de Première Instance de Cotonou le 08 janvier 2009, conformément à l’article 29 de l’Accord-cadre signé entre l’Etat et l’AIC le 07 janvier 2009.
Se fondant sur une prétendue polémique relative aux statistiques de coton graine produit au titre de la campagne 2011-2012, le Conseil des Ministres présidé par le Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, en ses séances extraordinaires tenues les mercredi 25, samedi 28 et dimanche 29 avril 2012, a suspendu l’Accord-cadre signé le 7 janvier 2009 entre l’Etat et l’AIC et homologué contradictoirement par Jugement n°006/09 du 8 janvier 2009.
Cette décision du Conseil des Ministres a été notifiée à l’Association Interprofessionnelle du Coton par exploit d’huissier le 4 mai 2012 à la requête du Secrétaire Général du Gouvernement. » ; qu’il poursuit : « L’article 3 de la Loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin dispose :
« Tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour Constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ».
La suspension par le Conseil extraordinaire des Ministres présidé par le Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, de l’Accord-cadre du 7 janvier 2009 est contraire aux dispositions des articles 59, 125, 127 et 147 de la Constitution » ;

Considérant qu’il développe :

« I - La suspension, par le Conseil des Ministres présidé par le Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, de l’Accord-cadre du 7 janvier 2009 est contraire à l’article 59 de la Constitution.

L’Accord-cadre du 7 janvier 2009 a été conclu entre l’Etat et l’Interprofession du Coton.
L’Etat partie s’est dépouillé de son imperium, pour être soumis à égalité avec l’Interprofession du coton, aux stipulations de l’Accord-cadre.
L’Accord-cadre ayant fait l’objet d’une homologation contradictoire par Jugement n°006/09 du 8 janvier 2009, les obligations des parties trouvent dès lors leur force contraignante dans ce jugement qui :
- rappelle en ses motifs que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ;
- constate souverainement qu’au cours des débats, toutes les parties ont confirmé leur intention d’être liées par ladite convention ;
- donne force exécutoire à ladite convention.
En conséquence, l’Accord-cadre tient lieu de décision de justice qui a force de loi entre les parties.
L’Etat est indivisible. Il est partie au jugement ; il ne peut se revêtir de son impérium pour suspendre l’exécution du jugement alors que la Constitution, en son article 59 dispose : « Le Président de la République assure l’exécution des lois et garantit celle des décisions de justice ».
A ce titre, le Président de la République doit veiller à ce que les décisions de justice soient exécutées dans l’intérêt général.
Il en résulte que le Président de la République et les membres du Gouvernement qui composent le Conseil des Ministres, en décidant de suspendre l’exécution du Jugement n°006/09 du 08 janvier 2009 portant homologation contradictoire de l’Accord-cadre, ont violé l’article 59 de la Constitution.

II- La suspension par le Conseil des Ministres présidé par le Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, de l’Accord-cadre du 7 janvier 2009 est contraire aux articles 125 et 127 de la Constitution.

L’article 125 de la Constitution dispose : « le Pouvoir Judiciaire est indépendant du Pouvoir Législatif et du Pouvoir Exécutif. Il est exercé par la Cour Suprême, les Cours et Tribunaux créés conformément à la présente Constitution. «
L’article 127 de la Constitution dispose : « Le Président de la République est garant de l’indépendance de la justice ».
Il est acquis que l’Accord-cadre du 7 janvier 2009 a fait l’objet d’une décision de justice, le Jugement n°006/09 du 8 janvier 2009 rendu par le Tribunal de Première Instance de Cotonou.
Le Conseil des Ministres, en décidant de suspendre l’Accord-cadre signé entre l’Etat et l’AIC, a pris la décision de suspendre l’exécution du Jugement n°006/09 du 08 janvier 2009.
Une telle décision constitue une ingérence du Pouvoir Exécutif dans le fonctionnement normal du Pouvoir Judiciaire et donc une violation du principe de la séparation des pouvoirs consacré par les articles 125 et 127 de la Constitution.

III-La suspension, par le Conseil des Ministres présidé par le Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, de l’Accord-cadre du 7 janvier 2009 est contraire à l’article 147 de la Constitution.

Aux termes de l’article 147 de la Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. »
Comme précité, le Programme d’Ajustement Structurel a été signé par le Bénin avec le Fonds Monétaire International pour la mise en place du transfert de certaines activités relevant du domaine public au secteur privé.
La suspension de l’Accord-cadre est une violation de l’engagement pris par le Bénin vis-à-vis du Fonds Monétaire International et est contraire à la Constitution » ; qu’il demande en conséquence de dire que « la décision du Conseil extraordinaire des Ministres en ses séances des 25, 28 et 29 avril 2012 portant suspension de l’Accord-cadre signé entre l’Etat et l’AIC le 7 janvier 2009 est contraire à la Constitution particulièrement aux dispositions des articles 59, 125, 127 et 147 de la Constitution. » ;
Considérant que le requérant a joint à sa requête les pièces suivantes :
1- Copie Accord-cadre du 07 janvier 2009,
2- Copie Jugement n°006/09 1èrech CIV du 08 janvier 2009 du Tribunal de 1ère Instance de Cotonou portant « homologation d’Accord-cadre » ;
3- Signification le 04 mai 2012 par Maître Maxime René Assogba, Huissier de justice, au Président de l’Association Interprofessionnelle du Coton (Aic), de correspondance référencée n°261/PR/SGG/C du 03 mai 2012 du Secrétaire Général du Gouvernement relative aux décisions prises par le Conseil extraordinaire des Ministres du 29 avril 2012, objet du Relevé n°08/PR/SGG/extra/Com du 29 avril 2009 ;

Instruction du Recours

Considérant que par Correspondance n°013-c/CC/PT du 14 mai 2012 rappelée par celle n°019-c/CC/PT du 27 juillet 2012, puis par celle n° 1147/CC/PT du 20 août 2012, Monsieur le Président de la République a été invité à faire parvenir ses observations à la Cour en précisant notamment si le principe de l’Accord-cadre entre l’Etat Béninois et l’Association Interprofessionnelle du Coton est lié à un accord avec les Institutions de Bretton-Woods ;
Considérant qu’en réponse, le Secrétaire Général du Gouvernement, Monsieur Eugène Dossoumou, écrit : « Par les présentes écritures, valant réponse à la mesure d’instruction, je viens présenter devant la Haute Juridiction les observations du Gouvernement à propos du recours en inconstitutionnalité contre la décision du Conseil des Ministres portant suspension de l’Accord-cadre signé entre l’Etat béninois et l’Association Interprofessionnelle du Coton (Aic), le 07 janvier 2009.

I- Irrecevabilité du recours de l’Aic sur le fondement de l’article 3 alinéa

L’article 3 alinéa 3 de la Constitution du 11 décembre 1990 reproduit à l’identique l’article 3 de la Constitution dahoméenne du 08 avril 1968. Selon le Professeur Maurice Glèlè, principal auteur des deux textes constitutionnels de 1968 et 1990, les dispositions contenues dans l’article 3, alinéa 3, sont inspirées de la « procédure de l’Amparo « qu’on trouve dans les Constitutions mexicaine et espagnole. Dans ces deux pays la Procédure de l’Amparo était réservée aux seules personnes qui ont directement et immédiatement éprouvé des effets de la violation des « garanties » octroyées par la Constitution du fait d’un acte ou d’une omission de l’autorité. En Espagne, le recours qui a pour objet, un acte émanant d’autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou de tout autre ordre ne protège que contre des droits individuels (cf. M. Glèlè, la « Constitution ou Loi fondamentale « in Pierre François Gonidec et Maurice Ahanhanzo Glèlè ; Encyclopédie Juridique de l’Afrique, tome 1, Nouvelles Editions Africaines, 1968, P.49).
La procédure de l’Amparo contenue dans l’article 3 alinéa 3 de la Constitution du 11 décembre 1990 a très tôt fait l’objet de plusieurs applications par la Haute Juridiction constitutionnelle.
Seuls les règlements et les actes de l’Administration qui ont pour fondement une disposition constitutionnelle ou contre lesquels le requérant invoque un grief d’inconstitutionnalité peuvent être déférés à la Cour Constitutionnelle.
Dans plusieurs décisions de principe, la Haute Juridiction a apposé une fin de non recevoir aux demandes de contrôle de légalité.
La Haute Juridiction s’est déclarée incompétente pour connaître une sanction disciplinaire infligée à un Agent Permanent de l’Etat (Dcc 95-006 du 02 février 1995).
De même, dans la Décision DCC 96-022 du 25 avril 1996, la Cour Constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour connaître de l’interdiction faite par un Préfet aux responsables de sécurité publique de se mettre à la disposition des huissiers de justice en cas de réquisition pour l’exécution des jugements définitifs.
Dans la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, les actes administratifs pouvant faire l’objet de saisine de la Haute Juridiction ont été définis et appliqués de façon restrictive.
Ainsi, la Cour Constitutionnelle a refusé de connaître la décision du Conseil des Ministres portant annulation de la décision de réhabilitation et de réintégration prise par le Ministre de l’Intérieur (Dcc 96-033 du 26 juin 1996).
De même, la Haute Juridiction s’est déclarée incompétente pour connaître la décision du Conseil des Ministres portant refus de restitution d’un hôtel nationalisé sous l’ancien régime, au motif qu’il s’agit d’un contrôle de légalité (Dcc 96-032 du 26 juin 1996). La Cour Constitutionnelle a également refusé de connaître la constitutionnalité de la décision administrative de radiation des effectifs de la Fonction Publique prise en Conseil des Ministres le 27 mai 1992 (Dcc 96-007 du 19 janvier 1996).
Dans la Décision Dcc 96-036 du 18 juillet 1996, la Haute Juridiction s’est déclarée incompétente pour connaître de l’inexécution d’un arrêté de restitution d’une parcelle anciennement confisquée au profit des forces armées.
La compétence de la Chambre Administrative de la Cour Suprême pour connaître les décisions du Conseil des Ministres a été confortée par le droit positif béninois. Et en l’espèce, l’article 948 du code de procédure, civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes dispose : « la chambre administrative de la Cour Suprême est juge de droit commun en premier et dernier ressort des décisions prises en Conseil des Ministres ».
L’imprécision terminologique de l’expression acte administratif qui figure à l’alinéa 3 de l’article 3 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, peut avoir pour effet de rendre justiciable de la Cour Constitutionnelle, l’ensemble des résultats de l’activité de l’Administration.
La Haute Juridiction pourrait ainsi absorber l’essentiel du contentieux de légalité et de l’excès de pouvoir porté devant le juge administratif.
C’est pourquoi, je sollicite qu’il plaise à la Haute Juridiction d’affirmer et de consolider l’interprétation de la disposition de l’article 3 alinéa 3 donnée par sa jurisprudence antérieure et de se déclarer incompétente pour connaître de la mesure de suspension de l’Accord-cadre. » ;

Considérant qu’il poursuit :

« II- De la prétendue violation de l’article 59 de la Constitution

La Loi n°2009-12 du 07 août 2009 portant Code des Marchés Publics et des Délégations de service en République du Bénin ne contient pas le terme « Accord-cadre ».
Par contre, l’Accord-cadre fait l’objet d’une définition dans l’article 1er du Code des Marchés Publics et autres contrats de la République Française : « l’Accord-cadre est un contrat conclu entre un ou des pouvoirs publics adjudicataires (Etat, Etablissements publics, Collectivités territoriales…) et des Opérateurs économiques publics ou privés…
Le régime juridique de l’Accord-cadre est exactement le même que celui des Marchés Publics, d’où la soumission de l’Accord-cadre au Code des Marchés.
L’Accord-cadre conclu entre l’Etat béninois et une personne morale de droit privé représentée par l’AIC est un contrat administratif qui a pour objet de gérer la filière du coton.
Les règles qui gouvernent l’exécution du contrat administratif présentent une certaine originalité par rapport aux principes fondamentaux du droit privé. Cette originalité tient à l’ampleur des prérogatives de la puissance publique qui dispose du pouvoir de direction, de sanction, même de modification unilatérale ou du pouvoir de résiliation. Tous ces pouvoirs appartiennent à l’Administration même lorsqu’ils ne sont pas expressément prévus par le contrat (cf. Jean Rivero, Précis Dalloz, droit administratif, Paris 1990, p.160).
Les règles qui gouvernent le contrat administratif ne sauraient être contenues dans une homologation par le juge civil.
C’est donc en usant de son pouvoir de direction, de contrôle et en usant de ses prérogatives que le Gouvernement du Bénin a suspendu l’Accord-cadre et ce, dans l’intérêt général.
Ce pouvoir qui a pour motif l’intérêt général dont dispose l’Etat béninois et qui existe même dans le silence du contrat est une nouvelle manifestation de l’unilatéralisme qui constitue une originalité du droit des contrats administratifs surtout lorsque l’intérêt général est en cause.
Cette prérogative est d’ailleurs reconnue par l’article 5 de l’Accord-cadre qui affirme la responsabilité de l’Etat dans les infrastructures d’intérêt général.
De son côté, l’article 4 dispose : « Sont considérées comme activités du secteur public, les activités d’intérêt général que les personnes privées ne peuvent assumer et qui concernent … suivi et contrôle des prix, contrôle du respect des normes ».
La consécration la plus nette de l’existence de ce pouvoir qui peut aller jusqu’à la résiliation unilatérale est sans doute l’Arrêt d’Assemblée du 02 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval (Dalloz 1958, p.730, note A. de Laubadère).
L’Accord-cadre a même prévu en son article 3 les prérogatives de l’Etat pour rétablir l’ordre public au sein de la filière en cas de menace ou de déstabilisation de celle-ci.
En effet, l’article 3 de l’Accord-cadre prévoit que « l’Etat exerce la plénitude de ses pouvoirs de police générale ayant pour objet d’assurer la santé, la sécurité des biens et des personnes ainsi que la plénitude de ses pouvoirs de police spéciale. L’Etat dispose des pouvoirs les plus étendus pour garantir le bon fonctionnement du marché. A cet effet, il prend toutes les dispositions tendant à prévenir les actes susceptibles d’entraîner l’exercice d’une concurrence déloyale entre les opérateurs privés et à assurer la loyauté des transactions. »
L’intervention de la mesure de suspension est justifiée par l’idée directrice que lorsque des changements surgissent dans les besoins du public, l’Administration doit pouvoir, si cela devient nécessaire, faire intervenir ses prérogatives et même mettre fin au contrat qu’elle a passé.
La gestion de la filière coton par l’AIC dans le cadre de l’Accord-cadre n’a pas atteint les résultats escomptés en termes d’augmentation, de compétitivité de la filière et d’amélioration des revenus des producteurs.
Ainsi, malgré les mesures incitatives évaluées à plus de 70 milliards de Fcfa déployés par le Gouvernement béninois, de nombreux dysfonctionnements ont entravé le bon déroulement de la campagne cotonnière 2011-2012.
Par exemple, le Projet d’Assainissement et de Relance de la Filière, financé à concurrence de 5 milliards de FCFA par l’Etat, avec pour objet de produire à terme 500.000 tonnes de coton graine, s’est soldé par une production insignifiante de 174.000 tonnes selon l’Aic.
A cela s’ajoutent les problèmes de mal gouvernance enregistrés par l’Aic et qui se traduisent par :
- Le non respect des pouvoirs régaliens de l’Etat, notamment, la publication des statistiques de production, le contrôle de qualité et le classement de coton graine ;
- l’absence de transparence sur les maillons de la filière ;
- la mauvaise gestion par l’Aic des subventions accordées par l’Etat ;
- les conflits d’intérêt au sein des différentes familles de l’interprofession ;
- les sous pesages des productions cotonnières ;
- le démantèlement des Organisations Paysannes en particulier leur faîtière etc.
L’ensemble de ces dysfonctionnements et leur ampleur allaient conduire inéluctablement au démantèlement de la filière coton au Bénin, voire compromettre l’économie nationale et entraîner par conséquent l’insécurité, les troubles à l’ordre public.
En somme, la gestion de la filière coton par l’AIC est un échec.
C’est pourquoi, l’Etat a pris la mesure de suspension qui relève des prérogatives de la puissance publique.
Je sollicite qu’il plaise à la Haute Juridiction de constater que la décision du Conseil des Ministres de suspendre l’Accord-cadre AIC ne viole pas l’article 59 de la Constitution » ;

Considérant qu’il ajoute :

« III- De la prétendue violation du principe de la séparation des pouvoirs consacré par les articles 125 et 127 de la Constitution.

La règle de la séparation des pouvoirs s’entend aussi de la séparation des autorités administrative et judiciaire. Cela signifie que les tribunaux de l’ordre judiciaire ne peuvent connaître des actes de la puissance publique.
L’Accord-cadre signé entre l’Etat Béninois et l’AIC est un contrat administratif qui acquiert force exécutoire dès sa signature. L’homologation intervenue en vertu de l’article 29 de l’Accord-cadre est un acte superfétatoire dépourvu de toute valeur juridique.
La règle de séparation des pouvoirs signifie que les tribunaux judiciaires ne peuvent connaître des litiges relevant du droit administratif.
S’il est vrai qu’il n’existe pas au Bénin la dualité des ordres de juridiction et que c’est la Cour Suprême qui coiffe l’ensemble des tribunaux, il faut aussi reconnaître que le Bénin a choisi de confier le contentieux administratif à une chambre administrative qui fonctionne selon des règles autonomes et qui est saisie en première et dernière instance de litiges administratifs.
L’Accord-cadre, contrat administratif, est de la compétence du juge administratif, c’est-à-dire de la Chambre Administrative de la Cour Suprême. Ainsi, de la compétence juridictionnelle découle le droit applicable en vertu de l’adage « la compétence suit le fond et le fond suit la compétence ».
Je sollicite qu’il plaise à la Cour Constitutionnelle de constater que la suspension par le Conseil des Ministres ne viole pas les articles 125 et 127 de la Constitution. » ;

Considérant qu’il précise :

« IV- La décision du Conseil des Ministres n’est pas contraire à l’article 147 de la Constitution

Les engagements de l’Etat béninois vis-à-vis du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale sont contenus dans la lettre de déclaration de politique de développement rural signée en mai 1991 à Washington et se résument en trois points essentiels à savoir :
i- recentrer les organes de l’Etat sur les missions régaliennes et de service public ;
ii- promouvoir le secteur privé en lui transmettant les activités à caractère commercial ;
iii- renforcer de façon durable la contribution du secteur cotonnier au développement de l’économie nationale et à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales.
Au total, l’ensemble des engagements pris par l’Etat béninois vis-à-vis des Institutions de Bretton-Woods ont été tenus et se sont traduits par :
- la libéralisation et la privatisation des sous secteurs des intrants, d’égrenage et de commercialisation primaire du coton graine ;
- le transfert de l’ensemble des activités à caractère commercial, industriel et de production, ainsi que des responsabilités dévolues aux acteurs privés ;
- le recentrage de l’Etat sur les fonctions dites régaliennes et de service public.
Il apparaît ainsi clairement que l’Accord-cadre ne figure pas au nombre des engagements souscrits par l’Etat. Mieux la Lettre de Déclaration de Politique de Développement Rural (Ldpdr) n’est pas un traité au sens de l’article 147 de la Constitution qui dispose : « les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie ».
Dans la Décision DCC 30-94, la Cour Constitutionnelle a jugé que l’accord de crédit n°22-83 BEN relatif au deuxième Programme d’Ajustement Structurel (Pas II), signé le 12 juillet 1991 ratifié par Décret n°91-224 du 04 octobre 1991, publié au Journal Officiel le 05 octobre 1991, ne peut être supérieur aux lois internes que sous réserve de son application par l’autre partie … et que des annexes à un « accord en forme simplifiée » ne constituent pas un traité au sens de l’article 147 de la Constitution.
Je sollicite qu’il plaise à la Haute Juridiction de constater que le moyen tiré de la violation d’un engagement international est inopérant. » ; qu’il conclut :
« Au regard de tout ce qui précède, je sollicite qu’il plaise à la Haute Juridiction :
• de déclarer le recours de l’AIC sur le fondement de l’article 3, alinéa 3 de la Constitution irrecevable et de se déclarer incompétente ;
• de constater qu’il n’y a pas violation de l’article 59 de la Constitution ;
• de dire et juger qu’il n’y a pas violation des règles de la séparation des pouvoirs prévues par les articles 125 et 127 de la Constitution ;
• de constater qu’il n’y a pas violation d’un engagement international. » ;
Considérant qu’en complément à cette réponse, le Secrétaire Général du Gouvernement ajoute : « Peu sont les citoyens qui croient que le Fonds Monétaire et la Banque Mondiale imposent des réformes aux Etats.
Dans leur statut, ces institutions financières internationales sont interdites d’imposer des réformes aux Etats. Leur rôle consiste à accompagner des Etats qui les sollicitent dans leur programme de réforme.
L’Accord-cadre signé entre l’Etat béninois et l’Association Interprofessionnelle du Coton (Aic) est un arrangement voulu et décidé par le Gouvernement dans l’espoir d’améliorer, à travers le secteur privé, la productivité, le revenu et concourir ainsi au bonheur des producteurs. Tel n’a pas été le cas de cet Accord-cadre après plusieurs années de mise en œuvre.
Quiconque croit que c’est du fait des Institutions internationales ne défend que ses intérêts égoïstes et personnels. C’est le devoir de l’Etat de défendre l’intérêt général à fortiori l’intérêt des producteurs. Or, cet Accord-cadre ne lui permet pas d’atteindre cet objectif.
La crise de confiance entre les producteurs et l’AIC est une preuve irréfutable dont il faut aller faire le constat sur le terrain… » ;

Analyse du Recours

Considérant que le requérant demande à la Cour de dire que la décision du Conseil des Ministres en ses séances des 25, 28 et 29 avril 2012 portant suspension de l’Accord-cadre signé entre l’Etat et l’AIC le 7 janvier 2009 est contraire aux articles 59, 125, 127 et 147 de la Constitution ;

Considérant que les articles 59, 125, 127 alinéa 1 et 147 de la Constitution disposent :

Article 59 : « Le Président de la République assure l’exécution des lois et garantit celle des décisions de justice » ;

Article 125 : « Le Pouvoir Judiciaire est indépendant du Pouvoir Législatif et du Pouvoir Exécutif.
Il est exercé par la Cour Suprême, les Cours et Tribunaux créés conformément à la présente Constitution » ;

Article 127 alinéa 1 : « Le Président de la République est garant de l’indépendance de la justice. » ;

Article 147 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie. » ;

Considérant qu’il résulte des éléments du dossier qu’un Accord cadre en date du 07 janvier 2009 a été conclu entre l’Etat Béninois et l’Association Interprofessionnelle du Coton (Aic) ; que ledit Accord en son article 29 stipule : « Le présent Accord-cadre et tout avenant y relatif feront l’objet d’homologation par le Tribunal de Première Instance de Cotonou » ; que sur la base de cette disposition, les deux parties ont par requête conjointe en date du 08 janvier 2009, saisi le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Cotonou qui a rendu le Jugement n°006/09 -1ère C. Civ en date du 08 janvier 2009 ; que se fondant sur ce jugement, le requérant soutient que « l’Accord-cadre tient lieu de décision de justice qui a force de loi entre les parties » et que l’Etat, partie au jugement « ne peut se revêtir de son impérium pour suspendre l’exécution du jugement » ; que le « Président de la République doit veiller à ce que les décisions de justice soient exécutées dans l’intérêt général. » ;

Considérant que l’homologation est « une approbation judiciaire à laquelle la loi subordonne certains actes et qui, supposant du juge un contrôle de légalité et souvent un contrôle d’opportunité, confère à l’acte homologué, la force exécutoire d’une décision de justice » (Cf. Gérard Cornu, Voc. Jur., Puf, Paris 2012, p. 507) ; qu’à défaut de cette prescription légale, l’homologation s’analyse comme un jugement de donné acte ; que dans le Jugement n° 006/09-1ère C.Civ en date du 8 janvier 2009, le juge précise « qu’il y a lieu de leur en donner acte » ; que le jugement de donné acte est « un jugement qui, à la demande d’une ou plusieurs parties, se borne à faire état d’une constatation, d’une déclaration, telles qu’un accord, une confirmation, une réserve, sans en tirer immédiatement de conséquences juridiques. Dépourvu de caractère juridictionnel, il n’a pas l’autorité de la chose jugée. » ; (Cf. Lexique des termes juridiques 2013, 20e édition, Dalloz, Paris, p. 529).

Considérant que l’Accord cadre en date du 07 janvier 2009 intervenu entre l’Etat béninois et l’Aic, conformément au jugement de donné acte, demeure un contrat administratif dont l’appréciation, pour autant qu’elle ne porte pas sur la violation des droits humains et libertés fondamentales, ne rentre pas dans le champ de compétence de la Cour Constitutionnelle tel que défini par les articles 114 et 117 de la Constitution ; que dès lors, il échet pour elle de se déclarer incompétente ;

Decide

Article 1er.- La Cour est incompétente.

Article 2.- La présente décision sera notifiée à Monsieur Mathieu Gbeblodo Adjovi, Président de l’Association Interprofessionnelle du Coton (Aic), à Monsieur le Président de la République et publiée au Journal Officiel.

Ont siégé à Cotonou, le 11 juillet deux mille treize

Messieurs Théodore Holo Président

Zimé Yérima Kora-Yarou Vice-Président

Simplice C. Dato Membre

Bernard D. Degboe Membre

Mesdames Marcelline-C. Gbeha Afouda Membre

Lamatou Nassirou Membre

Le Rapporteur, Simplice Comlan Dato

Le Président, Professeur Théodore Holo

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