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Entretien avec le juriste Serge Prince Agbodjan, auteur du recours contre les propos du Chef de l’Etat: « La décision de la Cour est une victoire morale pour moi»
Publié le mercredi 24 juillet 2013   |  levenementprecis.com




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Serge Prince Agbodjan : J’ai reçu notification de la décision DCC13-071 du 11 juillet 2013 dans laquelle la Cour répondait à ma requête déposée le 03 août 2012 et qui sollicitait, sur le fondement des articles 36, 41 et 35 de la constitution, le contrôle de constitutionnalité de certaines paroles tirées de l’entretien du président Boni Yayi au cours de l’interview dénommée « Boni Yayi à cœur ouvert » diffusée sur l’ensemble des chaînes de télévision et en rediffusion le 02 août 2012 sur la télévision nationale.

Je constate que la Cour a suivi mon argumentaire, a accepté mes moyens et a trouvé comme moi que le président de la République a violé la constitution notamment l’article 36 et a donc décidé de nous informer de ça. Ce qu’il faut retenir de cette décision, c’est que, premièrement, la Cour a pris du temps pour rendre la décision. Moi, ma saisine datait du 03 août 2012, la Cour a rendu sa décision le 11 juillet 2013 donc environ un an. Donc, certainement que la Cour, dans les mesures d’instruction, a essayé de prendre l’avis des personnes impliquées pour sa décision. Deuxième chose, la Cour a fait une jonction de ma requête avec celle que j’ai déposée le 11 août 2012, c’est-à-dire une dizaine de jours après, lorsque je déferais aussi devant sa juridiction la conférence de presse du Front citoyen pour la sauvegarde des acquis démocratiques qui aussi, au cours de cette conférence avait eu des propos que j’appelais des propos pas conformes à la constitution.

Je n’ai pas compris. Mais la Cour a fait une jonction des deux et a tranché. Et dans la décision, vous constatez que, au même moment où le président de la République violait la constitution, le Front citoyen aussi violait la constitution pour ses propos. Mon sentiment est que je suis heureux parce que cette décision redonne encore la valeur à cette grande responsabilité qu’est le président de la République dans une nation. Cette décision permet encore une fois à ceux qui auront la responsabilité de diriger notre pays, de savoir que c’est vrai qu’ils sont des hommes.

Mais à partir du moment où ils prennent la responsabilité d’être notre président, d’être le Chef de l’Etat, ils doivent prendre une certaine hauteur par rapport à la situation. Donc, c’est vrai qu’ils sont des hommes, mais ils ne sont pas des hommes comme tout le monde. Ils sont des hommes à part entière parce que, eux, ils auront la responsabilité de drainer toute la population, de nous aider à nous unir et de nous aider à vivre dans la paix ; ce que le président de la République a dit la veille du 1er août 2012 n’était pas digne d’un président de la République. Heureusement que la Cour l’a sanctionné. Je dis que je suis heureux parce que, au lendemain de cette déclaration du président, il y a eu des gens qui se sont mis à soutenir une démarche comme celle-là. Des gens se sont mis dans la rue et ont marché pour soutenir ça.

C’est d’ailleurs tous ces comportements qui m’ont amené à déférer cette décision devant la Cour constitutionnelle. Et pour moi, j’insiste beaucoup, ces personnes qui se sont trouvées dans les marches, doivent s’excuser maintenant que la décision de la Cour a été rendue. Ces personnes-là qui sont autour du Chef de l’Etat et qui ont fait des déclarations pour soutenir ce qu’il a dit le jour-là, doivent s’excuser auprès du peuple parce qu’on ne peut pas être en train de supporter quelqu’un et ne pas lui dire la vérité. Moi, je crois que la meilleure manière pour soutenir quelqu’un, c’est de pouvoir lui dire la vérité.

Ne pensez-vous pas que dans la réalité, cela semble impossible ?
Lorsque la personne fait mal, il faut le lui dire. Je crois que, dans l’ensemble de la population, personne ne se retrouvait dans ce qui avait été dit le jour-là. Donc, trouver des gens, sous prétexte que c’est la démocratie pour soutenir ça alors qu’on pouvait clairement dire au chef que ce n’était pas bon ce qu’il a fait et permettre au chef de trouver d’autres possibilités pour pouvoir s’excuser parce qu’il n’a pas besoin de venir à la télévision pour s’excuser mais peut poser des actes qui montreront au peuple qu’il était emporté et qu’il voudrait vraiment faire un mea culpa pour qu’on comprenne. Mais, voir des partisans qui ont soutenu cette démarche, c’est ça qui m’avait un peu gêné. Et je suis heureux aujourd’hui parce que ces gens-là ont compris que ce que le Chef de l’Etat a dit n’était pas acceptable. Et c’est ce qu’a confirmé la Cour constitutionnelle dans cette décision. J’en suis heureux et je souhaite que cette décision soit une référence pour ceux qui auront la responsabilité de diriger notre pays pour qu’ils puissent savoir qu’ils ne peuvent pas tout faire, tout dire comme on a l’habitude de le constater.

Quelle suite réservez-vous désormais à cette décision ?
Moi, je ne suis qu’un simple requérant, un requérant qui a joué mon rôle de citoyen que la constitution m’a donné au niveau de l’article 3. Moi, j’ai fait ce que je dois faire pour qu’on sanctionne de pareilles déviances. Maintenant, les interprétations arriveront. C’est aux personnes impliquées de tirer les conséquences de cet acte-là. De toutes les façons, le président de la République est une personne assermentée. Donc, pour l’instant, je ne me mets pas dans une polémique sur la conséquence de l’acte de la Cour. Pour moi déjà, c’est déjà une victoire morale, le fait de condamner le président de la République pour des propos tenus. Donc, pour la suite, j’espère que ceux qui sont chargés de l’exploiter, s’ils veulent l’exploiter, l’exploiteront. De toutes les façons, aujourd’hui, nous avons dans notre jurisprudence béninoise une décision aussi importante qui condamne les propos du président de la République en exercice lorsque ces propos ne respectent pas la personne humaine, ne respectent pas son semblable.

En tant que juriste, pensez-vous qu’un député peut éventuellement se prévaloir de cette décision pour traduire le Chef de l’Etat devant la Haute cour de justice ou un citoyen réclamer la réparation de dommages ?
Les textes de la République sont clairs. Je ne peux dire aujourd’hui toutes les conséquences qu’on peut tirer de cette décision. Ce qui est sûr, c’est que le président de la République a violé la constitution, la constitution qu’il a prêté serment de respecter. Pour la suite, c’est encore des institutions de pouvoir engager des procédures. Moi, je ne sais pas si ce sont des procédures qui peuvent venir. On n’a jamais eu une procédure de ce type-là. Moi, je crois que c’est aux institutions de jouer pleinement leur rôle. Si un député engage la responsabilité du Chef de l’Etat sur cette base, il y a des institutions régulièrement compétentes notamment encore la Cour qui doit vérifier si c’est suffisant pour pouvoir engager la responsabilité personnelle du Chef de l’Etat. Mais, nous reconnaissons au premier niveau que le Chef de l’Etat ne devrait pas faire ce qu’il a fait-là, ne devrait pas dire ce qu’il a dit-là. Il y a une décision qui le confirme. La suite, je ne sais pas.

Est-ce que les béninois peuvent engager une procédure par rapport aux dommages qu’ils ont eus ? Si quelqu’un démontre devant les juridictions que ce que le Chef de l’Etat a dit ce jour-là lui a créé des dommages, s’il a un intérêt à agir, il agira. C’est parce que, moi, je trouve qu’on ne peut pas le faire que j’ai saisi la Cour. Pour le moment, je me limite-là pour l’instant. Certains ont déjà dit que c’est suffisant pour dire au président de s’excuser devant le peuple. Dire à un président de s’excuser, c’est déjà une sanction aussi grave. Ce qui est certain, c’est que la décision a condamné ces propos-là qui sont des déviances qu’un président de la République ne devrait pas avoir lorsqu’il est en face de sa population puisqu’il est pour tout le monde et non pour une petite partie.

Pour l’avenir, quelles conséquences pourrait donc avoir cette décision ?
Dans l’avenir, toutes les personnes qui ont la grande responsabilité d’avoir des responsabilités dans notre pays doivent savoir qu’il y a des limites à toute chose. Ça, c’est la première grande conséquence. Deuxième conséquence, c’est que cette décision commence à crédibiliser plus ou moins la haute juridiction qu’est la Cour constitutionnelle parce qu’on vient de sortir d’un mandat. Moi, je n’ai pas d’appréhensions pour l’instant. Mais je dis ‘’du courage’’ aux membres de la Cour et on verra la suite parce que certains pensent que c’est déjà très bon comme départ. Mais, on verra la suite, parce qu’une juridiction reste une juridiction dans la clarté de ses décisions et dans la suite qu’elle donne à celles-ci.

On a vu des juridictions ici qui ont fait des revirements en moins de trois mois sur leurs propres jurisprudences. Donc, je crois qu’il faut soutenir une action pareille qui dit le droit. En réalité, le droit ce n’est pas des incantations, c’est des pratiques, c’est des textes et notre constitution reste immuable. Moi, je me réjouis toujours de cette constitution malgré tout ce qui se dit. Si je prends les dernières décisions de la Cour, ce qui se passe au Bénin, vous ne le trouverez pas dans d’autres pays. Si vous prenez la France, par exemple, il n’est pas possible qu’un citoyen puisse déférer devant la juridiction constitutionnelle une décision le comportement du président de la République. C’est toujours un groupe de personnes, un quorum, un quota. Mais, au Bénin, tout le monde peut le faire.

Moi, je fais mes recours comme tout le monde peut le faire. C’est une force terrible que nous avons par rapport à cette constitution. Et je souhaiterais que toutes les reformes que les gens envisagent n’altèrent pas cette force-là que notre constitution a. Certains s’étonnent de constater que de simples citoyens peuvent déférer des comportements de ce type devant la juridiction et que la juridiction ait le courage de dire que l’autorité a mal fait. Je crois que c’est une approche essentielle pour notre démocratie et je suis convaincu que, de jour en jour, nous verrons la beauté, la clarté de notre constitution que j’admire beaucoup parce que j’ai fait beaucoup d’études comparées et je trouve – en tout cas sur certains plans – que notre constitution reste l’une des meilleures.

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