L’avènement et la gestion du Pouvoir de Yayi inspirent de sérieuses réflexions. Dans une analyse, Bellarminus Kakpovi, enseignant à l’université d’Abomey Calavi et Docteur en communication politique, compare les débuts de Yayi à aujourd’hui. Il tire la conclusion selon laquelle le Bénin est passé d’une démocratie en liesse en 2006 à une démocratie en détresse en 2015. Ce drame trouve aussi des repères sous le règne de Lois Bonaparte.
Le 19 mars 2006, les 4.027.795 d’électeurs béninois régulièrement inscrits par la Commission électorale nationale autonome (Céna) étaient convoqués pour désigner, entre Maître Adrien Houngbédji et Docteur Boni Yayi, le successeur du Général Mathieu Kérékou. Auréolé du soutien de la plupart des 18 autres candidats du premier tour, Yayi Boni est élu avec un score de 74,51%, jamais obtenu dans l’histoire démocratique béninoise. Les Béninois venaient d’enfanter, sans le savoir, leur Napoléon III car, la gestion qu’il fera de ce sacre, témoignera de nombreuses similitudes avec les pratiques de Charles Louis Bonaparte surnommé Napoléon III. Celui-ci, jadis, finît par lancer un projet de révision constitutionnelle qui sonna le glas de la deuxième République. A onze mois de la fin du mandat de Yayi Boni, osons la comparaison.
Louis Bonaparte Napoléon III et Thomas Boni Yayi, même dévolution du pouvoir politique…
L’élection de Boni Yayi avec un tel score ressemblait, à s’y méprendre, à un succès “électoral” brejnévien. Et pourtant, nous sommes au Bénin, pendant longtemps qualifié de “modèle de démocratie” (Richard Banegas, 1997, p. 23), ou de “laboratoire de démocratie en Afrique (BabacarGuèye, 2009, pp. 5-26) ou encore comme ayant réussi une transition exemplaire (Prudent Victor Topanou, 2012, p. 16) et unique (Francis Laloupo, 1993, pp. 89-113 ; Jean-Baptiste Monkotan, 1991, pp. 41-53).
Sous d’autres cieux, ce score aurait suscité débats et analyses en comparaison à des succès similaires à travers le continent et le monde. On en serait ainsi arrivé à opiner et, à minima, à émettre des hypothèses sur les stratégies, les forces et les faiblesses qui pourraient caractériser une telle légitimation populaire. Et peut-être, aurait-on aperçu en filigrane les traits et les allures du Président du Bénin. Ce que d’aucuns prennent pour pas loin d’un régime autoritaire aujourd’hui, aurait pu être pointé du doigt, du moins sous forme de crainte et d’inquiétude. Que nenni ! L’enthousiasme et la ferveur du succès d’une alternance réussie, sans coup férir, ont presque indiqué une seule attitude : celle de féliciter le nouvel élu à la tête du Bénin. L’élection de Yayi Boni est alors saluée de toutes parts, de l’Afrique en France, de la France en Afrique, de l’Asie en Amérique et vice-versa… En clair, le Bénin venait d’être incontestablement et inconsciemment victime de sa belle image politique à l’international : pays démocratique tout comme l’était la France qui a plébiscité Napoléon III.
En effet, 20 décembre 1848, Napoléon III est proclamé vainqueur du scrutin des 10 et 11 décembre avec un score de 74,3%. Première ressemblance majeure ! Si, au 19ème siècle, il profita des suites de la Révolution française pour se faire plébisciter, deux siècles plus tard, au Bénin, Yayi Boni comprend le degré du désir de voir et de sentir autre chose, manifesté et clamé par ses compatriotes. Il en tire le concept qui sert de fondement et de locomotive à sa campagne et plus tard, même d’axe principal pour son programme de gouvernement. Le concept du changement a ainsi vu le jour et enfourche le slogan « Ça peut changer, ça doit changer, ça va changer ». Sa stratégie fut imparable. D’autant plus que Adrien Houngbédji, son principal challenger, mit aussi en musique un slogan certes, mais, moins accrocheur, autour du même concept de changement : « Le monde change, changeons le Bénin ! ».
Deux enfants rois adoptant des métastases de corpus idéologiques quasi semblables : Du positionnement idéologique …
En France, au lendemain de son élection, Napoléon III institua le bonapartisme comme idée politique forte de son pouvoir. Le bonapartisme incarnait, comme le rappelle le politologue Pascal Delwit (2013, p. 98), la modernisation économique avec notamment la mémorable révolution industrielle conduite du haut. Au Bénin, trois concepts font jour : changement, refondation et dictature du développement. Creux et vides de contenu, ces concepts de Yayi Boni se caractérisent plus par ce que Guy Hermet appelle, parlant des autoritarismes, « une sentimentalité romantique du retour aux valeurs ancestrales » (Guy Hermet, 1985).
Justement, le 29 janvier 2011 au stade de l’amitié de Kouhounou, annonçant sa candidature, le président sortant déclarait en substance : « Je le répète, notre pays traverse depuis longtemps une crise des valeurs, la perte de nos repères ». Durant toute la campagne électorale de 2011, il en a fait son vademecum. Ainsi, le 5 mars 2011 à Sè, en plein meeting, il lança, dans un style à la limite décousu : « Je vous supplie, écoutez-moi bien. Je suis à Sè, un arrondissement qui me paraît très important, je vous le jure au nom de Dieu tout puissant ; ce que j’ai résumé, c’est que nous nous écartons de nos valeurs spirituelles, éthiques et morales qui, jadis, faisaient la fierté, le fondement de notre République. Le Béninois n’aime pas le Béninois ». La vraie question ici est de savoir s’il était vraiment étranger à cette perte de valeurs. Soit !
À la déification de la fonction présidentielle…
Tout comme le président Louis-Napoléon qui reprit l’apparat impérial, Yayi Boni se considère comme le dieu du Bénin comme il l’a exprimé clairement, quelques mois seulement après son élection, devant les étudiants de l’université de Parakou. Et son caractère d’enfant roi, comme diraient les psychologues, n’est pas pour favoriser les choses. Mais un enfant roi, une fois au pouvoir, devient inévitablement un adulte tyran (Didier Pleux, 2012). Et Yayi en est la preuve tangible : susceptible, impulsif, allergique à la contradiction, autoritaire, centré sur lui-même, indifférent ou presque à son entourage. Il installe ainsi un régime plus directorial que dictatorial mais la frontière ici, reste extrêmement ténue. Et le musellement de la presse nationale, l’augmentation du nombre de procès et de (ex) prisonniers politiques (Fagbohoun, Adovèlandé, Adihou, Vodounou, Moudjaïdou, Dagnon…) ainsi que l’avènement des exilés politiques dans notre pays (Talon, Bocco, Rodriguez, Agbo, Houssou…) confirment ce relent de dictature qu’il faut craindre et dont il faut surtout préserver, au plus vite, le Bénin.
Et à l’infantilisation du peuple
Enfin, si l’Etat, fort, sous Bonaparte mena la révolution industrielle par le haut, au Bénin, l’Etat tel que géré par Yayi, fortement fragilisé, est utilisé pour infantiliser les Béninois. Yayi Boni n’a-t-il pas déclaré lui-même vouloir « faire le bonheur des Béninois contre leur gré » ? De quoi surprendre les Bamiléké du Cameroun qui nous apprennent sagement qu’ « on ne peut laver un enfant qui refuse de se frotter le corps ». Sous cet enfant roi, rapports clientélaires, régionalisme, populisme (Bellarminus Kakpovi, 2013), violence politico-verbale contre les adversaires politiques et scandales financiers itératifs sont devenus le projet politique du prince-président.
Des révisions suspectes de Constitution…à la fin tragique … ?
En 1851, trois ans après son élection plébiscitaire, Charles Louis Bonaparte décida, unilatéralement, de réviser la constitution française qui lui interdisait d’être à nouveau candidat. Il prit le risque de provoquer la mort clinique de la 2ème République. Face aux résistances de la classe politique française dont certains de ses plus proches, Bonaparte orchestra, le 2 décembre 1851, un triste coup d’Etat, dispersant violemment les manifestations. Des adversaires (dont Victor Schoelcher) et manifestants furent arrêtés et condamnés. Il rétablit le grand empire règnant de façon autoritaire sur la France. Mais en 1870, il fut rattrapé par les événements. L’Assemblée vota le 1er mars 1871 sa déchéance et les forces vives de la Nation française le contraignirent à la renonciation et à l’exil où il mourut le 9 janvier 1873.
Au Bénin aussi, Yayi Boni est obsédé par la révision de la Constitution, si chère à ses compatriotes. Il souhaite constitutionnaliser la cour des comptes et la CENA. Mais les hauts juristes du pays estiment que point besoin de réviser la Constitution à cet effet. Mais Yayi Boni persiste. Au dernier congrès de sa coalition politique en février, il décide, avec ses laudateurs, de maintenir le projet de révision au bureau du Parlement. On peut, sans doute, être admiratif de sa témérité. Mais cette tenacité a un prix et il est souhaitable que ses conseils politiques essaient de lui expliquer que la révision peut intervenir et qu’il peut se célébrer comme étant le fossoyeur de la République mais à la fin, le peuple finit toujours par se révolter, tôt ou tard et à prendre sa responsabilité. Et comme Napoléon III, le prince-président pourrait se retrouver emporté par la vague ; ce qu’on ne peut guère lui souhaiter ! A lui de choisir !
Par Bellarminus Kakpovi
Enseignant à l’université
Docteur en communication politique