La filière des crevettes au Bénin, depuis 2009 à ce jour, est quasi-inexistante, faute de son suivi rigoureux et d’un contrôle régulier par les autorités compétentes. Malgré les mesures correctives proposées par l’Office Alimentaire Vétérinaire (OAV) suite à la crise de 2002, le défaut de l’encadrement officiel condamne la filière à un inévitable déclin.
Depuis 2009 à ce jour, l’on assiste à une chute vertigineuse de la filière des crevettes au Bénin. Manquant cruellement de la réglementation nationale nécessaire en matière de production et, en l’occurrence, de l’encadrement rigoureux des producteurs et pêcheurs, cette filière est actuellement quasi-inexistante. On déplore même l’absence d’usines de transformation accréditées et bien équipées. Seule une usine de transformation et d’exportation continue actuellement de tourner. Cet état des lieux ressort des propos du Chef Service Contrôle qualité et Suivi des produits de la pêche et des filières halieutiques, en service à la Direction des pêches (DP) de Cotonou, M. Benoît Adéké. Témoin vivant de la crise de la filière, il rappelle que le rapport de l’Office Alimentaire Vétérinaire (OAV), après son inspection suite à la crise, aurait pu sauver la filière. Dans ses propositions, ce bras technique opérationnel de la Direction Générale de Santé et de protection des Consommateurs (Dg/Sanco) européens, créée au sein de la Commission Européenne en 2002, avait reproché au Bénin des insuffisances au niveau de la règlementation officielle et de l’organisation des contrôles de la filière crevette. Le rapport d’inspection avait souligné comme défaillances : des lacunes de la législation béninoise en matière d’hygiène et de contrôle des produits de la pêche, le manque de ressources humaines (en quantité et en qualité), l’absence d’autorité compétente, le manque de laboratoires accrédités par l’UE pour contrôler les normes de sécurité appliquées aux crevettes. Des pratiques inacceptables telles que l’utilisation du chlore et d’additifs comme le sulfite « sans que leur dosage, la fréquence de bains et les méthodes de contrôle ne soient maîtrisés », la non-application de plans Hazard Analysis Critical Control Points (Haccp) avaient été relevées. Le Haccp consiste par exemple à analyser les dangers et à maîtriser les points critiques de la chaîne de production dans les entreprises exportatrices, puis le non-respect des bonnes pratiques en matière d’hygiène et de l’environnement, au niveau des petits producteurs et petits commerçants intermédiaires.
Des mesures correctives non suivies
Aux lendemains de la publication du rapport de l’Oav qui qualifiait les crevettes béninoises de non conformes aux normes internationales, donc non exportables vers l’Union Européenne (Ue), le Gouvernement béninois avait décidé, le 11 juillet 2003, d’une auto-suspension de commercialisation des crevettes vers cette destination. Pour M. Benoît Adéké, c’est une décision pour éviter le risque d’être frappé d’embargo par le système européen. Plusieurs mesures correctives ont été ensuite enclenchées pour relever la filière. Il s’agit notamment des formations conduites successivement par le Programme de l’UE pour l’amélioration de l’état sanitaire (Psfp) de 2005 à 2007, le Programme belge d’appui à la filière halieutique (Adefih), le Projet d’appui au secteur privé (Pasp) conjointement dirigé par l’UE et la Ccib, le projet Adex de la Banque mondiale placé sous la tutelle de la Ccib, ainsi que diverses formations organisées par la Direction des pêches. Toutes ces mesures ont profité aux pêcheurs de crevettes et acteurs intervenant dans la transformation des crevettes notamment les mareyeuses/mareyeurs qui procèdent à l’achat, à la conservation, à la transformation (fumage, séchage, salage, etc.) et à la commercialisation des crevettes. Les usiniers (propriétaires des sociétés agréées) pour produire et exporter les produits de la pêche vers l’Union Européenne), et collecteurs (personnes intermédiaires entre les mareyeuses/mareyeurs et les usiniers qui collectent les produits de la pêche dont les crevettes destinées à l’exportation, les conditionnent et les acheminent aux usines) n’ont pas été du reste. Il s’agissait, à travers ces formations, de leur donner les outils nécessaires en matière de conditions appropriées de pêche, traitement et conservation des crevettes pour garantir une production de qualité. Hormis ces meures, il a été procédé également à l’installation de deux Bases Obligatoires de Contrôle (Boc) sur le lac Ahémé (2007-2009) et un autre au Port de pêche artisanale de Cotonou ainsi qu’au démarrage du projet de construction d’un laboratoire national qui serait chargé de contrôler les produits agroalimentaires dont ceux halieutiques et en l’occurrence les crevettes en vue de leur exportation favorable vers l’Europe. Le Laboratoire Central de la Sécurité Sanitaire des Aliments (Lcssa) en a découlé. Lors d’une seconde mission d’évaluation au Bénin en 2009, l’Oav, tout en soulignant qu’il restait des efforts de mise à conformité à fournir par le Gouvernement béninois, avait néanmoins constaté et apprécié les prodiges faits par celui-ci pour donner les qualités internationalement exigées aux crevettes béninoises.
Mais juste après ce rapport positif, une négligence du secteur s’est installée, a confié M. Benoît Adéké. Pour lui, ce suivi rigoureux de la filière effectué par le Gouvernement, de 2003 à 2009, a subitement laissé place, et ce jusqu’à ce jour, à un manque criard d’encadrement du secteur et à un laisser-aller notoire.
Le déclin
La plupart des insuffisances relevées par la mission de l’Oav en 2002 concernant le manque d’encadrement de la filière et de ses acteurs persistent actuellement, empêchant ainsi celle-ci de décoller effectivement. Selon les insistances du Chef Service Contrôle qualité et Suivi des produits de la pêche et des filières halieutiques, M. Benoît Adéké , on assiste encore à une insalubrité des berges lagunaires servant à la pêche de crevettes au Bénin notamment le lac Ahémé, le lac Nokoué et la lagune de Porto-Novo qui sont les trois grands plans d’eau servant à la pêche de crevettes sur le territoire béninois. Cette insalubrité de l’environnement de production, l’utilisation de techniques de pêche prohibées, le manque de formation des pêcheurs et l’inexistence d’usines de transformation accréditées et bien équipées, font que les crevettes qui sont pêchées, depuis 2009 à ce jour, sont à 90% non exportables vers l’Union Européenne. Les 10% qui franchissent les frontières proviennent de la région de Sô Ava. Mais cette quantité de production exportable demeure très résiduelle pour satisfaire le marché européen et garantir une exportation nationale rentable. Pourtant, le Bénin figure dans la liste unique des pays exportateurs de produits de pêche vers l’UE ; notre pays a reçu, le 1er février 2005, la certification de l’Union Européenne à exporter ses crevettes vers le marché européen. Mais à l’heure actuelle, sur les trois entreprises béninoises autorisées à exporter les crevettes vers cette destination, une seule continue de le faire. Il s’agit de l’entreprise Diax qui, selon les chiffres fournis par le Chef service Contrôle qualité et suivi de la pêche et des filières halieutiques (Cscsppfh) de la Direction des pêches, n’a exporté en 2012 que 26 tonnes de crevettes contre seulement une (1) tonne cette année. Il confie n’avoir pas délivré à Diax, de 2009 à 2013, plus de 10 certificats d’exportation. Ce qui veut dire qu’en quatre (4) ans, moins de 3 tonnes de crevettes par semaine ont été exportées. Quant aux deux autres entreprises béninoises exportatrices que sont Crustamer et Frais Surgelés Glace (FSG-Bénin), elles n’exportent actuellement plus rien vers l’UE. Selon les statistiques, Crustamer exportait 700 tonne an avant l’auto-suspension ; mais elle est passée de 25 tonnes environ, après la levée, à moins de 2 à 3 tonnes par an ces dernières années. De ce fait, on peut conclure que depuis la levée, en juillet 2004, de l’auto-suspension faite par le Bénin un an plus tôt, l’exportation en crevettes de toutes ces structures vers l’Union Européenne ne cesse de baisser de façon considérable à partir de 2009, jusqu’à être actuellement inexistante pour deux sociétés, et partielle pour Diax. On en déduit que le Bénin ne fait pas une gestion judicieuse de sa position de 3è pays africain autorisé en 2009 (après le Maroc et l’Afrique du Sud) à avoir accès au système complet de l’UE en matière d’exportation. En dépit de cette troisième place, depuis 2009, l’on n’assiste plus à des efforts gouvernementaux de relance effective de la filière. Pourtant, le Sénégal et le Ghana qui n’ont accédé à ce système qu’en janvier 2011, ainsi que la Côte-d’Ivoire arrivée en février-mars 2011, exportent respectivement au moins plus d’une centaine de tonnes de crevettes par an.