Lui, il est déjà emporté par l’impitoyable océan d’indifférence, d’incompétence et de mépris, en compagnie de femme, enfants et belle sœur. Dans un pays qui peine à assurer ses aptitudes républicaines. Une dame disait, il y a quelques jours, avec passion et conviction sur une radio locale (Tokpa fm) que le Titanic-Bénin a déjà heurté l’iceberg en référence au célèbre film de Léonardo DiCaprio. Peut-être a-t-elle été mue par les statistiques les plus affolantes sur les indices de développement ou sur le vécu quotidien de ses compatriotes face au cauchemar du mal-vivre. Mais le cas de notre confrère disparu il y a deux ans n’a rien à voir avec le taux de croissance à géométries variables ou les classements des organismes internationaux de plus en plus alarmistes pour le Bénin. Cette fois-ci, c’est l’effondrement de la plupart des fondements de la République dont rendre justice et protéger les citoyens, qui interpelle les consciences.
Deux années donc après l’effroyable drame, les questionnements sont demeurés en l’état. Toujours personne pour dire pourquoi la gendarmerie n’a pas scellé les lieux du drame où a été découvert le mini charnier. Rien sur comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu la moindre enquête de police encore moins des tests chimiques sur des restes d’aliments retrouvés sur place. Pas davantage d’éléments sur la suite judiciaire donnée au dossier. Inimaginables, les arguments officieux faisant état d’un manque de réactifs appropriés à cet effet. En pleine République indépendante depuis plus d’un demi-siècle ! Pour le cabinet du procureur près le tribunal de Porto-Novo, ces « individus » n’ont jamais existé ni de leur vivant ni à leur mort. Cerise sur le gâteau lorsqu’on apprend que depuis deux ans les parents ne parviennent pas à mettre la main sur le fœtus extrait du ventre de la femme et officiellement gardé à la morgue du Chd-Ouémé. Les anthropophages seraient peut-être venus faire des emplettes. La région n’est-elle pas réputée pour être un fief du trafic de restes humains ? Pauvre de Christophe !
Libre aux courtisans de tout acabit de trouver des motifs d’espérer dans cette atmosphère de spleen généralisé. Mais Houngbo et ses compagnons ont cessé d’espérer. Il est même écrit qu’on ne ferait jamais leur deuil puisque la République se refuse de connaitre la vérité. Si le navire-Bénin tenait encore à un gouvernail, ses confrères « survivants » ne passeraient pas le restant de leur vie à s’interroger sur ce qu’il adviendrait d’eux-mêmes dans un mois, dans un an. Comment échapper, en effet, à la lancinante question : « à qui le tour » ? Une hantise de tous les instants puisque chacun sait que son sort aurait pu être pareil à celui des damnés de cette horrible nuit du 25 juin 2011. Chacun a en gardé désormais un aperçu. La mobilisation de toute l’Assemblée nationale, de plusieurs ministres, du médiateur de la République, de toute la presse nationale voire internationale n’y ont rien fait.
Je vois de petits malins railler le journalisme d’investigation face à l’impasse de l’enquête judiciaire. Ceux-là feignent d’oublier que ces genres de concept n’ont de sens que dans une République normale où l’investigateur dispose d’interlocuteurs crédibles à la gendarmerie, à la police, au parquet, au gouvernement, au parlement et dans la population. Quels résultats d’investigation dans un pays où personne n’est responsable lorsqu’un fœtus sous main de justice disparait ? Lorsque l’Etat ne se sent aucune responsabilité vis-à-vis de l’opinion publique même après un choc aussi terrible ? On demande d’ailleurs à quoi serviraient des résultats d’investigation pour une République qui ne veut rien savoir.
On aurait tellement voulu que les tiens et toi reposiez en paix…